Chapitre 2 – Analyse environnementale et éco-conception des
2. Analyse environnementale des TIC
2.1. Equipements électroniques
Les produits électroniques sont des assemblages de nombreux composants
hétérogènes, étant eux-mêmes issus de combinaisons de nombreux procédés. Un
simple téléphone de bureau peut par exemple contenir 247 composants et faire
intervenir 145 opérations différentes (Andrae et al., 2005). Il existe plus de 100 types
de composants électroniques différents, chacun étant décliné en plusieurs grades
(Ueno et al., 1999). La fabrication d’un semi-conducteur (transistors de 50nm) peut
elle-même faire intervenir plus de 200 étapes de production (Plepys, 2004). Celle d’un
wafer de 300mm/45nm peut faire intervenir plus de 350 étapes (dont 220 différentes)
et 170 substances différentes (Baudry et al., 2012).
L’analyse environnementale d’un semi-conducteur, à cause de l’étendue et de la
complexité du périmètre à prendre en compte, est en elle-même un challenge, et
nécessite des innovations méthodologiques afin de réduire des coûts d’analyse
inenvisageables (Krishnan et al., 2004; Boyd et al., 2006; Baudry et al., 2012). Le fait
que la production microélectronique utilise des intrants non conventionnels en
constitue l’une des raisons principales. Elle fait par exemple intervenir des substances
à des grades ultra-purs nécessitant la purification d’un grand volume de matières
premières à l’aide de procédés dont les exigences énergétiques peuvent largement
dépasser ceux des procédés de fabrication à des grades plus usuels, mais qui restent
pour autant encore peu explorés (Plepys, 2004). Il est à ce titre intéressant de
constater que les produits finaux ne représentent plus dans ce secteur qu’une très
42
faible part des flux mis en jeu dans la production, ceux-ci pouvant dépasser de
plusieurs ordres de grandeur les flux de produits finalement utilisés (Williams et al.,
2002; De Grave et al., 2006). Un exemple emblématique en est le silicium, dont la
production pour l’électronique nécessite 160 fois plus d’énergie que la production à un
grade standard (Williams et al., 2002). La production microélectronique requiert de
plus des environnements de production à hauts niveaux de pureté, mobilisant des
quantités importantes d’énergie (Krishnan et al., 2008) dont l’allocation aux produits
pose des problèmes méthodologiques (Baudry et al., 2012).
Les équipements électroniques sont donc des assemblages complexes de composants
dont la fabrication fait intervenir de nombreux procédés. Leur analyse requiert donc
des quantités importantes de données. De plus, outre le nombre important de flux à
modéliser, c’est également le nombre d’intervenants dans la chaîne de valeur qui pose
problème, les opérations étant disséminées dans un tissu dense de fournisseurs, ne
réalisant chacun qu’une petite partie de l’ensemble (Scharnhorst, 2006), et pris dans
un contexte très concurrentiel favorisant peu l’échange de données. L’analyse
environnementale d’équipements électroniques ne peut donc faire l’économie de
l’utilisation de données pouvant rendre compte de la diversité des composants
existants et de la complexité des chaînes de valeurs dont ils sont issus. Deux écoles
tentent de répondre à cette question : la « Process-Based Life Cycle Assessment »
(P-LCA) et l’« Input/Output based Life Cycle Assessment » (IO-(P-LCA)
40.
2.1.1. Analyses par P-LCA
Historiquement, les premiers éléments à avoir été renseignés dans les bases de
données environnementales sont des matériaux et des procédés de base dont la
variabilité technologique peu importante permet avec une faible erreur de recourir à
des données génériques. La prise en compte de composants dans ces bases de
données est plus récente et, par conséquent, plus restreinte, moins mature. Dans le
domaine microélectronique, la génération de ces données se heurte au grand nombre
des composants et à la complexité de leur analyse environnementale. De plus, la
production microélectronique est soumise à des cycles technologies rapides, si bien
que les données disponibles sont rapidement obsolètes (Schischke et Griese, 2004;
Baudry et al., 2012). Les évolutions technologiques ont donc débouché sur un large
panel de composants et de technologies qui peinent à être représentés dans les bases
de données environnementales (Krishnan et al., 2004; Andrae et Andersen, 2011).
Le tableau 4 expose le nombre de composants électroniques représentés dans les
principales bases de données. L’exemple de la base ecoinvent est parlant : alors qu’un
grand nombre de technologies de circuits intégrés sont disponibles, la base de
données ecoinvent n’en compte que deux modèles génériques (circuit intégré de type
logique ou de type mémoire). Les bases de données EIME et Gabi sont quant à elles
plus représentatives de la diversité des composants existants, mais pas
nécessairement des dernières technologies. A l’extrême, certaines bases ne
contiennent aucune donnée sur des composants électroniques.
40
Pour une description de ces méthodes, de leurs divergences et de leurs avantages comparatifs, voir l’annexe1, section 3.2 « Inventaire ».
43
Enfin, les bases de données existantes peuvent offrir des possibilités de paramétrage
qui ne tiennent pas toujours compte des critères les plus pertinents. Par exemple, il est
généralement supposé dans les logiciels d’ACV que l’impact d’un procédé est
proportionnel à la masse de la pièce à réaliser. Or, pour certains procédés, le poids du
produit influe moins sur l’impact environnemental que le débit de production
(Bonvoisin et Thiede, 2012). Un autre exemple en est le paramétrage de l’impact de la
production des circuits intégrés par leur poids, paramètre étant moins influent que la
surface de la plaque de silicium qu’ils contiennent (Andrae et Andersen, 2010).
Base de données Nombre de composants
électroniques représentés41 Producteur / Commanditaire
EIME Database V10 (2009)42 160 Bureau Veritas (FR)
Gabi Database 200643 128 PE International (DE)
Ecoinvent V2.2 (2010)44 33 ecoinvent Centre (CH)
MEEuP45 12 European Commission (EU)
Buwal46 0 Swiss Packaging Institute (CH)
US LCI47 0 National Renewable energy
Laboratory (US)
Tableau 4 - Nombre de composants électroniques représentés dans les bases de données existantes.
De fait, la maturité des bases de données est encore faible. Ces dernières ne se basent
pas toutes sur les mêmes choix méthodologiques – notamment en ce qui concerne
l’étendue du périmètre d’étude – leurs données pouvant ainsi montrer des différences
significatives pour un même flux de référence (Andrae et Andersen, 2010).
2.1.2. Analyses par IOLCA
L’application de la méthode P-LCA requiert d’importantes quantités de données, dont
nous venons de discuter la faible disponibilité. Malgré l’assise dont bénéficie cette
méthode dans la communauté scientifique, où elle est reconnue comme la méthode la
plus précise d’analyse des impacts environnementaux, son applicabilité semble donc
se limiter aux produits simples (Millet et al., 2007). L’analyse de produits issus de
l’industrie microélectronique, nécessitant l’inclusion de l’ensemble des activités en
amont de la chaîne de valeur – par ailleurs en évolution rapide – requiert des efforts
de collecte sans aucune mesure avec les bénéfices attendus d’une telle étude. La
réalisation d’analyses de cycle de vie peut donc passer en pratique par la définition
d’un périmètre d’étude réaliste, à travers des règles de coupures qui peuvent être
41
Le calcul du nombre de composants électroniques représentés dans ces bases de données ne tient pas compte de la redondance de certains composants électroniques. Par exemple, le type de composants ‘résistance’ peut faire l’objet de plusieurs entrées, selon ses différentes déclinaisons. Le chiffre indiqué ne mesure donc que de manière très indirecte la couverture des types de composants et la précision de la représentativité technologique de ces entrées.
42
http://www.ecoinvent.ch/, consulté le 3 mai 2012.
43
Electronics Extention Database.
http://documentation.gabi-software.com/2_externalDataProvider.html, consulté le 3 mai 2012.
44 http://www.codde.fr/files/EIME_LCI_database_V11.0_LIST_OF_CONTENT.xls, consulté le 3 mai 2012.
45
(Kemna et al., 2005).
46
http://documentation.gabi-software.com/2_externalDataProvider.html, consulté le 3 mai 2012.
44
jugées arbitraires, et mener à négliger une part significative des impacts (Reap et al.,
2008). L’IO-LCA répond à ce problème en permettant de rendre compte de l’ensemble
des flux amont, sans avoir à définir de règle de coupure et à mener une collecte de
données pharaonique.
Krishnan (2004) propose ainsi d’utiliser un méthode hybride P-LCA et IO-LCA (tiered
hybrid analysis) pour analyser l’impact de la production de semi-conducteurs. Toutes
les activités internes et les activités amont dont l’impact environnemental est présumé
spécifique ou important sont décrites avec des données P-LCA. Celles-ci permettent
d’atteindre une meilleure précision que les données IO-LCA, mais sont plus coûteuses
à recueillir. En revanche, les activités amont considérées comme standard, pour
lesquelles un haut degré de précision n’est pas nécessaire, sont décrites avec des
données IO-LCA, dont le coût de récolte est plus léger. Williams (2004) propose une
méthode similaire pour l’analyse d’un PC, où les données P-LCA non disponibles sont
comblées par des données IO-LCA, la différence méthodologique résidant dans le fait
que la répartition entre les données P-LCA et IO-LCA n’est pas motivée par le rang
fournisseur mais par l’existence ou non de données P-LCA. Loerincik (2006) utilise
également une méthode similaire afin d’analyser un service de téléconférence.
L’auteur propose d’utiliser l’IO-LCA afin d’inclure dans le périmètre d’étude les
activités annexes telles que le marketing, la R&D, la maintenance et les
télécommunications, ainsi que les effets rebonds – activités qui ne sont généralement
pas pris en compte dans les études P-LCA.
Malheureusement, ce que l’IO-LCA gagne en exhaustivité et en rapidité par rapport à
la P-LCA, elle le perd en précision et en spécificité au vu des limites propres à cette
méthode. De plus, des tables d’input/output et les données environnementales
correspondantes sont disponibles pour peu de territoires, si bien que le problème de
disponibilité des données discuté pour la P-LCA est également valable pour l’IO-LCA.
De plus, les tables existantes sont peu détaillées, leurs sections représentant sous de
mêmes chiffres des réalités bien différentes.
2.1.3. Robustesse des résultats
Outre le choix d’une base de données, la réalisation d’une analyse environnementale
nécessite de faire un certain nombre de choix méthodologiques, notamment en ce qui
concerne les frontières du système, l’allocation, la durée de vie des équipements ou
les scénarii d’utilisation. La conséquence en est une certaine inconstance des résultats
d’ACV de produits électroniques, pouvant mener à des conclusions contradictoires. La
figure 9 témoigne de cette variabilité en présentant une comparaison de quatre ACV
de PC portables. Si ces résultats sont tous du même ordre de grandeur, ils diffèrent
tout de même du simple au double, et, surtout, les phases du cycle de vie présentent
des contributions différentes, identifiant des aspects environnementaux significatifs
différents (Andrae et Andersen, 2010).
Ces arguments peuvent laisser penser que l’ACV ne pourrait pas être utilisée pour
l’éco-conception, car elle ne permettrait pas d’identifier de manière reproductible les
aspects environnementaux les plus significatifs. Yung et al. (2011), Gurauskienė et
Varžinskas (2006) et De Langhe et al. (1998) proposent pourtant d’utiliser l’ACV dans
45
les produits électriques et électroniques. Car l’ACV reste tout de même un outil
puissant : en tançant un lien entre les impacts environnementaux d’un produit et ses
différents composants, elle permet directement d’identifier des opportunités
d’amélioration desquelles peuvent être dérivées des alternatives de conception (Yung
et al., 2011).
Figure 9 - Comparatif des résultats de quatre ACV de PC portables, d’après Andrae et Andersen (2010).