Chapitre 2 – Analyse environnementale et éco-conception des
2. Analyse environnementale des TIC
2.2. Infrastructures de télécommunications
2.2.2. Critique méthodologique
Certains auteurs, comme par exemple Scharnhorst et al. (2006), soulignent que les
infrastructures de télécommunications sont des systèmes complexes et que la
modélisation qui en est faite est souvent trop simple et non exhaustive. Cependant,
aucun auteur n’identifie clairement de problèmes méthodologiques inhérents à la
complexité des systèmes à étudier en ACV. Si certains auteurs prennent l’ACV comme
pertinente surtout pour les produits simples (Millet et al., 2007), l’application de cette
méthode à des systèmes complexes n’a à ce jour et à notre connaissance pas suscité la
définition de méthodes spécifiquement appropriées.
Observons toutefois que les analyses citées plus haut ont la particularité de se situer à
la frontière entre une approche site et une approche fonctionnelle : elles utilisent une
méthode type ACV, mais appliquée à une infrastructure de production. Si l’étude de
Malmodin et al. (2001) revendique l’adoption de cette approche, les autres études ne
mentionnent pas cette question. Or, nous observons que l’adoption de cette approche
a en pratique des conséquences sur la possibilité d’utiliser ces résultats dans un
objectif d’éco-conception, notamment à travers la définition du cycle de vie du
système étudié et le choix de l’unité fonctionnelle.
2.2.2.1. Définition du cycle de vie de système
Bien que les analyses présentées ci-dessus revendiquent la prise en compte de
l’ensemble du cycle de vie des infrastructures qu’elles examinent, Scharnhorst (2006)
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observe qu’elles souffrent de lacunes quant à la définition de ces systèmes et de leurs
cycles de vie. Cet auteur est d’ailleurs le seul à formaliser clairement les phases du
cycle de vie de l’infrastructure qu’il examine. Toutefois, en élargissant la recherche à
d’autres types d’infrastructures, il est possible de trouver des études qui en
formalisent clairement le cycle de vie. Le tableau 5 présente et compare les cycles de
vie définis par quatre de ces études. Elles s’accordent pour définir clairement une
phase d’opération et une phase de démantèlement. Elles diffèrent en revanche sur la
présentation des phases précédant l’opération. Ces divergences peuvent cependant
être comprises comme différentes manières de détailler une phase de déploiement.
Etude Phases du cycle de vie (de gauche à droite)
Scharnhorst et al. (2006) Réseaux 2 et 3G - Production et installation Opération et maintenance Dépose et traitement en fin de vie Graedel et Saxton (2002) Installation télécom Préparation du site Installation du site Opération du site et provision du service Clôture du service Harrison et al. (2010) Réseau électrique Fabrication des éléments de l’infrastructure Construction de l’infrastructure Opération de l’infrastructure Dépose et traitement en fin de vie Cluzel et al. (2012) Sous-ensemble d’usine Fabrication des éléments de l’infrastructure Transport et installation des éléments sur site
Utilisation de l’infrastructure Fin de vie, traitement en fin de vie, réutilisation de certains éléments Tableau 5 - Quelques définitions de cycle de vie d'infrastructure observées dans la littérature.
La manière dont sont pris en compte les impacts de la (pré-)production des
équipements n’est généralement pas claire. Les formats de publication sont dans bien
des cas trop courts pour laisser la place à une présentation de leurs données d’entrée,
et la modélisation des impacts des équipements est généralement omise. De plus, la
dynamique d’intervention des équipements dans l’infrastructure n’est pas décrite : les
réseaux sont présentés comme étant installés en une fois pour constituer un tout
homogène et statique qui peut alors être opéré sans nécessiter de nouvel apport
matériel. L’étude de la phase d’opération ne considère ainsi que la consommation de
l’énergie nécessaire aux opérations, en oubliant que pour les grandes infrastructures,
cette phase est une phase de maintenance autant que d’opération, et nécessite donc
des routines constantes de maintenance et de rénovation (Harrison et al., 2010). La fin
de vie des équipements peut également être comptabilisée, mais sans qu’il soit
pourtant explicité quand elle intervient dans la vie du réseau. L’apport des opérations
d’installation et de dépose des équipements est également généralement oublié.
Les phases de vie du réseau sont donc peu décrites. Les frontières du système,
définissant ce qui est pris en compte dans l’étude de ces phases et ce qui ne l’est pas,
ne sont pas toujours clarifiées, rendant ainsi difficile l’interprétation les résultats.
Malgré le fait que la notion de cycle de vie soit au cœur de l’analyse
environnementale, comme indiqué par la norme ISO 14040, cette notion semble être
oubliée lors de l’analyse d’infrastructures. Afin d’assurer la transparence des résultats
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et ainsi donner toutes les clefs de leur interprétation, la description du système et de
son cycle de vie doit donc faire l’objet d’une attention particulière.
2.2.2.2. Unité fonctionnelle
Une autre conséquence du fait que ces études sont orientées site est qu’elles ne font
pas le lien entre les impacts des infrastructures et les caractéristiques des services
qu’elles supportent ; les performances fonctionnelles ne sont donc pas discutées. Ceci
transparait notamment dans la définition de leurs unités fonctionnelles. Ainsi, Faist
Emmenegger et al. (2006), Scharnhorst et al. (2006) et Federico et al. (2001) analysent
l’impact des réseaux de télécommunications en référence à une quantité fixée
arbitrairement de données échangées (un gigaoctet, une minute de communication ou
un SMS) et/ou en référence à un abonné pendant un an. D’autres ne considèrent tout
simplement pas d’unité fonctionnelle, comme Malmodin (2010b). Quand une unité
fonctionnelle est donnée, il s’agit donc de calculer l’impact environnemental d’une
communication ou d’un abonnement à un service de communication.
Or, si rapporter les impacts de l’infrastructure à ces unités fonctionnelles permet de se
faire une idée de l’ordre de grandeur des impacts de l’usage des télécommunications,
elles n’en sont pas moins fausses et ne disent rien de la performance des
infrastructures. Coliano et Hufschmid (2008) et Souchon Foll (2008) ont démontré à
l’aide de mesures, que la consommation des équipements de réseaux de
télécommunications est pour une grande part constante, et n’est que marginalement
affectée par le trafic. La consommation des serveurs est également due pour une part
importante à une puissance de fonctionnement fixe et indépendante de la charge
(Dufrene, 2011). En revanche, comme le soulignent Faist Emmenegger et al. (2006), si
l’énergie consommée par le réseau n’est pas proportionnelle aux volumes de données
échangées, le dimensionnement du réseau, lui, en dépend. Le nombre d’équipements
de réseau, et par conséquent leur consommation énergétique cumulée, dépend du
produit du nombre d’utilisateurs et du volume moyen de données transférées par un
utilisateur. Ainsi, la fonction d’un réseau de télécommunications serait moins de
« transférer une certaine quantité de données » que d’« offrir la possibilité à chaque
utilisateur de transférer un certain volume de données annuel n’importe où n’importe
quand » ; son impact serait moins lié à la réalisation d’un transfert qu’à la potentialité
de sa réalisation à toute heure et à tout endroit. C’est la définition que Malmodin et al.
(2001) retiennent d’un réseau mobile : « la possibilité de communiquer […] n’importe
quand, n’importe où ».
L’allocation des impacts par quantité de données échangées ne traduit donc pas les
fonctionnalités qui sont attendues de l’infrastructure, et ne permet pas de faire le lien
entre fonctions et impacts environnementaux. Or, dans une optique d’éco-conception,
ce lien est précisément une information essentielle. L’utilité des résultats d’une
analyse environnementale d’un système fonctionnel se mesure à sa capacité à
identifier des liens entre, d’une part les impacts environnementaux et les
caractéristiques techniques du système qui les engendre, et d’autre part entre ces
caractéristiques et les fonctions qu’elles permettent. C’est parce que l’on sait que telle
fonction nécessite la mise en place de telle technique ayant tel impact, que l’on est en
mesure de nourrir une réflexion sur la manière la plus économe de réaliser la fonction
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