Chapitre 3 – Méthode d’analyse environnementale et d’éco-conception
2. Analyse environnementale de services d’optimisation basés sur des réseaux
2.1. Impacts directs
2.1.1. Cycle de vie de réseaux de capteurs
L’influence de la consommation énergétique sur la durée de vie des équipements
implique que le cycle de vie d’une telle infrastructure ne peut être représenté
linéairement comme le cycle de vie d’un produit – généralement représenté comme
une entité physique stable dans le temps, constituée lors de la fabrication, démantelée
à sa fin de vie, et stable entre ces deux phases. La phase d’usage d’une infrastructure
fait appel à de nombreuses activités de maintenance, de réparation et de
remplacement de ses constituants, visant à entretenir le fonctionnement de
l’ensemble. Le cycle de vie d’une infrastructure doit donc être vu comme une
combinaison des cycles de vie de ses constituants plutôt que comme une entité
monolithique.
2.1.1.1. Cycle de vie d’un système
Une illustration simple de ceci nous est donnée par le mythe du bateau de Thésée :
« D'après la légende grecque, rapportée par Plutarque, Thésée serait parti d'Athènes
combattre le Minotaure. À son retour, vainqueur, son bateau fut préservé par les
Athéniens : ils retiraient les planches usées et les remplaçaient - de sorte que le bateau
resplendissait encore des siècles plus tard. Alors, deux points de vue s'opposèrent : les
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uns disaient que ce bateau était le même, les autres que l'entretien en avait fait un tout
autre bateau »
53. En d’autres termes, il s’agit d’un système dont tous les éléments sont
changés au fur et à mesure du temps, jusqu’à ce que, bien que fonctionnellement
équivalent à ce qu’il était à sa construction initiale, il n’ait plus aucun matériau en
commun avec ce qu’il était à sa mise en service.
Pour réaliser l’inventaire des flux de matières qui concourent au cycle de vie de ce
système, il est insuffisant de considérer de quoi il est fait à un instant de sa vie, mais il
est nécessaire de considérer la suite des matériaux qui l’ont constitué dans son
histoire. Ainsi, à l’échelle du cycle de vie du système, une planche de la coque du
bateau de Thésée n’est pas seulement un morceau de matière faisant partie d’une
structure à un temps donné, mais la suite de ces morceaux qui se sont succédé pour
remplir une certaine fonction structurelle. Le système est bien constitué d’un
ensemble d’éléments fonctionnels fixes, mais qui peuvent être matérialisés
successivement par des objets physiques distincts. Nous proposons ainsi de considérer
un système comme étant un ensemble cohérent de fonctions matérialisées
successivement par des objets physiques leur donnant corps.
Nous identifions donc ici deux temporalités distinctes mais cependant s’entremêlant :
celle de la fonction, rythmée par la vie du système, et celle de l’objet physique. Ces
deux temporalités définissent les deux dimensions de la vie d’un système ; ils
possèdent chacun un cycle de vie leur étant propre. Ces cycles de vie se croisent en
revanche dans leurs phases d’usage : la phase d’usage de l’objet physique occupe une
part de celle de la fonction qu’il remplit dans le système.
2.1.1.2. Proposition d’un modèle de cycle de vie de réseau de capteurs
En appliquant ce raisonnement aux réseaux de capteurs, nous définissons ici le cycle
de vie d’un réseau de capteurs comme la combinaison des cycles de vie des
équipements lui donnant corps. Ainsi, nous différencions d’une part le cycle de vie de
l’équipement, et de l’autre le cycle de vie de sa fonction dans le système, c'est-à-dire
d’être un nœud du réseau. Alors que le cycle de vie du nœud de réseau partage la
même chronologie que le réseau, le cycle de vie de l’équipement qui matérialise ce
nœud en est indépendant.
Nous définissons le cycle de vie des équipements comme étant composé de six phases
présentées en figure 11. Nous considérons les quatre phases traditionnellement prises
en compte dans la littérature (extraction des matières premières, fabrication,
utilisation et fin de vie) auxquelles nous joignons deux autres phases : l’installation et
la dépose. Nous définissons l’installation comme « l’ensemble des activités contribuant
à placer l’équipement dans l’environnement dans lequel il délivrera sa fonctionnalité »
et la dépose comme « l’ensemble des activités contribuant à enlever l’équipement de
l’environnement dans lequel il délivrait sa fonctionnalité ».
Ces deux phases ne sont généralement pas considérées dans les analyses
environnementales, car dans beaucoup de cas elles ne sont pas pertinentes, et sont
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Texte issu de l’entrée "Bateau de Thésée" de l’encyclopédie participative en ligne Wikipédia, consultée le 4 avril 2012.
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donc considérées comme faisant partie des phases de fabrication, d’usage ou de fin de
vie. Dans le cas d’infrastructures cependant, ces phases peuvent mettre en jeu des
activités non négligeables, qui sont de plus déconnectées de la fabrication de
l’équipement en lui-même
54. De plus, dans le cas du remplacement d’un équipement,
la phase de dépose de l’équipement remplacé coïncide avec la phase d’installation de
l’équipement qui le remplace, de telle sorte qu’il y a un intérêt pratique à distinguer
ces deux phases. Notons enfin que nous considérons que les différentes phases du
cycle de vie d’un équipement font appel à des activités de transport, et ne distinguons
donc pas de phase de transport séparée.
Figure 11 - Cycle de vie d’un équipement de réseau.
Conformément à ce que nous avons observé dans la littérature
55, nous considérons le
cycle de vie d’un nœud de réseau comme étant constitué de trois phases :
déploiement, opération, et démantèlement. Le cycle de vie du réseau en tant que tel
est la réunion de tous les cycles de vie concomitants de ses nœuds. Le cycle de vie d’un
nœud (présenté en figure 12) est défini comme une combinaison des phases du cycle
de vie des équipements (présentées en figure 11) :
- Déploiement. Lors de cette phase est mis sur pied le réseau. Un équipement est
installé pour matérialiser chaque nœud. Pour réaliser la phase de déploiement
d’un nœud, il faut installer un équipement, donc le fabriquer, donc extraire les
matières premières correspondantes. La phase de déploiement d’un nœud
coïncide ainsi avec les phases d’extraction des matières premières, de
fabrication et d’installation du cycle de vie de l’équipement.
- Opération. Lors de cette phase est opéré et maintenu le réseau. Les
équipements matérialisant les nœuds utilisent de l’énergie jusqu’à ce qu’ils
nécessitent d’être remplacés ou jusqu’à ce que survienne la phase de
démantèlement du réseau. Pour chaque remplacement, il faut d’une part
déposer l’équipement à remplacer et traiter sa fin de vie, et d’autre part
installer un nouvel équipement, donc le produire et extraire les matières
premières nécessaires à sa production. La phase d’opération du nœud est donc
constituée des phases d’usage, de dépose et de fin de vie de l’équipement à
remplacer, ainsi que des phases d’extraction des matières premières, de
fabrication et d’installation de l’équipement le remplaçant. Notons que la
phase d’installation du nouvel équipement coïncide avec la phase de dépose de
l’équipement qu’il remplace. Cette boucle peut être répétée tant que des
remplacements sont nécessaires pour le maintien des opérations.
54 C’est notamment le cas de l’étude d’un système de monitoring rapportée par Loerincik (2006), ainsi que celle d’un réseau urbain de fibres optiques rapporté par Ecobilan S.A. (2008). Dans ces deux études, la phase d’installation des équipements constitue une part importante des impacts de l’infrastructure.
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- Démantèlement. Lors de cette phase est démantelé le réseau. Les nœuds
cessent d’exister et les équipements physiques leur donnant corps sont
déposés. Cette phase correspond donc avec les phases de dépose et de fin de
vie des derniers équipements utilisés.
Figure 12 - Cycle de vie d’un nœud de réseau.
Dans le document
Analyse environnementale et éco-conception de services informationnels
(Page 82-85)