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Impacts de la gestion des aménagements hydrauliques sur le delta intérieur du Niger au Mali

Le barrage de Sélingué au Mali est actuellement le seul ouvrage capable de participer à la régulation des eaux, en soutenant les étiages au-dessus de 100 m3 s –1 à Koulikoro (Hassane et al., 2000). La période d’étiage coïncidant avec les fortes chaleurs et le démarrage de la campagne agricole à l’Office du Niger, les débits turbinés permettent à la fois la production d'énergie, l'agriculture, l'alimentation en eau des populations et la navigation.

Il existe de nombreux projets pour aménager davantage le fleuve Niger. On peut citer le barrage de Fomi en Guinée sur le Niandan avec une capacité du réservoir projeté de 6 milliards de m3, et le barrage de Tossaye sur le Niger à l’aval du delta avec également une capacité du réservoir de 6 milliards de m3.(Kuper et al., 2002)

Synthèse des connaissances hydrologiques et potentiel en ressources en eau du fleuve Niger Juin 2002

L'apport moyen à Koulikoro étant estimé à 28,6 km3/an, le volume stocké à Sélingué représente 7,6 % des écoulements moyens annuels du fleuve Niger à cette station de référence. Les données indiquées ici sont celles de la période 1989-1997.

Soumaguel (1995) estime que le débit moyen annuel naturel du fleuve Niger a diminué de seulement 4,5 % depuis l’installation du barrage de Sélingué. En revanche, des perturbations liées au fonctionnement du barrage sont perceptibles : lâchers d’eau et variations des débits turbinés provoquant de nombreuses oscillations pendant l’étiage. Un deuxième phénomène perceptible peut être un léger retard accusé dans la montée des eaux, lié au remplissage du réservoir de Sélingué.

L’influence du barrage de Sélingué se résume donc par :

- Un soutien considérable pendant les étiages dont l'importance dépend de la gestion du réservoir du barrage au cours de l'année ; la contribution des débits sortants du barrage de Sélingué approche les 100 % du débit total du fleuve Niger à Koulikoro. La gestion du barrage entraîne des oscillations d’eau pendant l’étiage dans les cours d’eau permanents du delta intérieur du Niger.

- Un faible impact sur les crues, le barrage ne pouvant retenir que 7,6 % de l'apport annuel du Niger à Koulikoro

L’agriculture prélève la quantité la plus importante de l’eau du fleuve Niger au Mali ; cela concerne les périmètres irrigués de Sélingué (1 500 ha), Baguinéda (3 000 ha), de l’Office du Niger (56 675 ha), et les petits périmètres irrigués villageois dans le delta intérieur du Niger (PPIV, environ 1 500 ha), ainsi que le riz traditionnel du delta. Traditionnellement, les riverains du fleuve Niger cultivent du riz à submersion libre, et le delta intérieur du Niger est particulièrement propice pour cette culture. Dans les régions de Mopti et Tombouctou, la superficie cultivée annuelle est de l’ordre de 115 000 ha (DRAMR, 1998 et 1999 ; Kuper et Maïga, 2000). A cette superficie, il faut ajouter 30 000 ha de casiers de riz à submersion contrôlée aménagés par l’Office Riz Ségou (ORS) et l’Office Riz Mopti (ORM). La culture de riz traditionnel dépend directement de la surface inondée et donc de l’importance de la crue. Dans ces conditions d’aménagement, les consommations en eau sont indiquées dans le tableau 7.1, ci-après :

Tableau 7.1 : Les apports du fleuve Niger à Koulikoro et les différents prélèvements pour la période 1989-1997, volumes en millions de m3 (source Hassane et al., 2000).

Prélèvements

Source : Hydroconsult, 1996 (Prélèvements Sélingué, évaporation) ; SERP, Office du Niger (Prélèvements Markala)

Les prélèvements de l’agriculture irriguée à l’amont du delta s’élèvent à 2 811 millions de m3 soit 10 % de l’apport du fleuve Niger. En valeur relative, les prélèvements des périmètres irrigués sont importants pendant l’étiage (de janvier à juin, entre 35 et 79 % de l’apport) et moins importants en période de crue (de juillet à décembre, entre 6 et 33 %) ; l’agriculture traditionnelle (riz à submersion libre, riz de décrue) consomme beaucoup moins que l’agriculture irriguée.

L’Office du Niger reprenant les ambitieux projets des années 1930, envisagerait à terme l’aménagement d’un million d’hectares de casiers (SOGREAH et al., 1999) Avec le dispositif actuel (56 000 ha cultivés), l’Office du Niger prend jusqu’à 50 % du débit du fleuve pendant l’étiage, et il est donc difficile d’envisager l’extension sans modifications du régime du fleuve Niger. Une extension de l’Office du Niger passera aussi par une meilleure gestion de l’eau, en réduisant la consommation d’eau, surtout en période d’étiage.

C’est là, donc, qu’intervient l’intérêt du barrage de Fomi en Guinée… qui pourrait, suivant la gestion retenue, avec un volume utile de 3,7 km3 garantir un appoint complémentaire de 200 m3/s pendant sept mois de basses et moyennes eaux, en stockant, bien sûr, la crue du Niandan.

La navigation est aussi un utilisateur de l’eau du fleuve Niger avec les quatre bateaux de la Compagnie Malienne de Navigation (COMANAV) et les pinasses de transport13. Les bateaux de la COMANAV, qui assurent le trajet Koulikoro-Gao, ne fonctionnent que pendant les hautes eaux (juillet-décembre).Seules les pinasses tireront un bénéfice de débits plus soutenus à l’étiage.

Mais dans le delta intérieur, la culture de riz à submersion libre est traditionnellement liée à la crue et la consommation d’eau a lieu uniquement pendant cette période (d’août à décembre), quand il y a suffisamment d’eau dans le fleuve. Les autres systèmes de production dans le delta intérieur du Niger qui dépendent de l’importance de la crue sont la pêche et l’élevage. Laë (1994) montre qu’il existe une forte relation entre la surface inondée et donc la crue, et la production et les captures des poissons. La production de poissons varie du simple au triple d’une année à l’autre, suivant que l’on a une crue très faible ou très forte. La capacité du delta à accueillir des troupeaux de bovins, ovins et caprins dépend de l’étendue et du type de végétation. Les bourgoutières, largement dominées par les espèces aquatiques echinochloa stagnina et vossia cuspidata, ont une capacité de charge potentielle jusqu’à quatre fois supérieure à d’autres types de végétation (oryzaie, vétiveraie). Une mauvaise crue, aboutissant à une diminution de la superficie de bourgoutières, entraîne donc une réduction de la capacité d’accueil du delta pour les troupeaux. Cissé et Gosseye (1990) estiment la superficie des bourgoutières du delta à 6 700 km² et le total des pâturages inondables, constitués d’espèces aquatiques, à 14 165 km².Les troupeaux ne sont pas seulement maliens, mais aussi mauritaniens et burkinabés.

Tronquer la crue c’est donc mettre en péril l’économie du delta intérieur et les ressources d’une population d’un million de personnes dont 300 000 sont des pêcheurs ; un étiage

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eaux dans le delta intérieur – ce que n’a pas fait le barrage de Sélingué-, c’est aller à l’encontre de tous les discours sur la protection de l’environnement.

En résumé :

• L’agriculture irriguée prélève aujourd’hui 10 % des apports du fleuve Niger. Elle consomme pendant l’étiage jusqu’à 50 % de l’apport à Koulikoro. L’agriculture irriguée dépend donc de la gestion du barrage de Sélingué en période d’étiage et plus tard des autres aménagements à venir (Fomi).

• La crue du fleuve Niger permet aux habitants du delta intérieur au Mali d’exercer leurs métiers traditionnels (pêche, élevage, agriculture) et de conserver à ce milieu unique sa flore et sa faune. Les systèmes de production du delta dépendent de la surface inondée et donc de l’importance de la crue.

L’hydrosystème « delta intérieur » a subi au cours des récentes décennies de sécheresse une dégradation dont il se remet lentement. Divers projets de recherche, dont le dernier en date traite de la gestion intégrée des ressources naturelles, ont permis de dégager une bonne connaissance de ce milieu et des populations qui y vivent, qu’il s’agisse de leurs adaptations aux crises climatiques ou économiques, des conflits d’usage entre divers intervenants ou des problèmes fonciers. Un modèle mathématique de gestion intégrée a été préparé (Kuper et al.

2000), des SIG sont utilisés et un observatoire a été préconisé (observatoires de la pêche et d’hydrologie opérationnels). On donne ci-dessous l’architecture du module hydrographique de ce modèle.

Menacé par l’amont, le delta intérieur l’est aussi par l’aval à un moindre titre certes, puisqu’il ne s’agit que de la courbe de remous du lac de retenue de Tossaye (voir chapitre 6). Celle-ci est susceptible de remonter en amont de Koryoumé, jusqu’à Diré et de perturber la partie aval du delta, tant au niveau des pêches que de la bande étroite de cultures traditionnelles qui suit le fleuve et ses défluents interdunaires.

On a déjà parlé de l’évaporation sur cette retenue de Tossaye. Il est évidemment tentant pour les promoteurs du projet d’opposer à ces objections les pertes propres au delta intérieur et dont nous avons longuement parlé au chapitre 3.

Nous donnons dans le tableau 7.2 suivant les valeurs de précipitation et d’évaporation en année humide et en année sèche , calculées pour le delta à partir des données climatiques de Mopti, Tombouctou, Diré et Niafunké.

NIGER NigerBANI

Iss a B er

Barra Issa Kolikoli

Lacs de rive droite Lacs de rive

gauche

Diaka

NIGER

Lacs centraux permanents (Débo, Walado,

Korientzé)

Légende

«Stockage» : plaines et lacs

«Connexion» : convergences des affluents et divergences des défluents

«Transmission» : Grands drains et multiples chenaux

Gradient topographique, climatique, et de précocité de crue

Figure 7.1 : Modèle graphique et éléments du réseau hydrographique du delta intérieur du Niger (d'après Poncet , in Kuper et al 2000).

Tableau7.2 : Précipitations et évaporation sur nappe d'eau libre dans le Delta Central du Niger en période humide (H) et sèche (S), valeurs en mm (d'après Olivry, 1995).

en mm Mai Juin Juil Août Sept Oct Nov Déc Jan Fév Mar Avr Année

PH 17 58 94 190 92 26 0 3 1 0 4 6 490

PS 13 50 92 97 65 8 2 0 0 0 0 3 330

EnlH 220 210 200 160 165 185 180 160 165 185 210 220 2260

EnlS 240 220 210 180 170 195 180 160 170 190 215 230 2360

Les figures qui suivent montrent évidemment que, naturellement, le delta consomme

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Mai Juin Juil Aout Sept Octo Nove Dece Janv Fev Mars Avril Mois de l'année hydrologique

Figure 7.2 : Cumul des pertes dans le delta intérieur du Niger au pas de temps mensuel pour les années 1991 à 1997 : phase de stockage et de déstockage(ou restitution).

(Picouet, 1999)

La figure 7.3 montre pour une année donnée le diagramme des pertes mensuelles (en valeurs négatives la phase de restitution) et le calcul de la perte mensuelle par évaporation calée sur le maximum de l’inondation, c’est-à-dire de la date du maximum de crue à Mopti.

Ainsi, pour le mois du volume maximum d’évaporation, cette année là, le débit évaporé était de 1700 m3 s –1

MAI JUIN JUIL AOUT SEPT OCT NOV DEC JAN FEV MAR AVR 0

Figure 7.3 : Exemple d'application du modèle Pertes / Evaporation dans le delta intérieur du Niger avec détermination du volume mensuel évaporé au maximum de l'inondation (tmax) (d'après Olivry, 1995).

Devant ce type de résultats, on a tout à craindre des partisans d’un aménagement total de l’hydrosystème. L’homme supporte mal de ne pas contrarier la nature. Ainsi, le Colorado n’amène plus dans le golfe de Californie qu’un maigre écoulement d’eaux polluées ; l’apport d’engrais remplace les dépôts de limons du Nil, etc. De plus l’émergence d’une économie écologique face à l’économie marchande traditionnelle est un concept encore trop récent pour espérer à court terme des modifications significatives dans la gestion des ressources en eau.

Ici, on peut imaginer le Niger, le Bani et leurs défluents canalisés, avec des périmètres irrigués immenses (où au moins l’eau évapotranspirée a produit de la biomasse de valeur marchande garantie), un débit constant, des lignes électriques permettant de faire fonctionner les pompes de chaque périmètre et de faire payer l’eau de manière indirecte, des pécheurs reconvertis sur les lacs de barrage ou dans l’agriculture, du bétail à l’embouche , des bassins d’aquaculture, etc.

… de quoi créer plus d’1 million d’hectares de périmètres irrigués avec de l’eau de toutes façons perdue.. , 1 million d’hectares de désert à côté, et … une réserve de faune et de flore sur 1000 hectares pour se donner bonne conscience vis à vis des écologistes !

Pour revenir au barrage guinéen de Fomi, dans le contexte actuel, sa réalisation dépendra de l’intérêt que croiront y trouver les décideurs maliens.