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Les changements climatiques et la variation de la ressource en eau Effets durables des variations climatiques sur les régimes hydrologiques

Les changements climatiques en Afrique de l’Ouest et Centrale sont bien établis depuis les années 1970. Ils se sont généralement traduits par une réduction importante des hauteurs de précipitations annuelles ainsi que de la durée de la saison des pluies, d’autant plus marquée que l’on se situe dans les régions tropicales nord et les zones sahéliennes. Y. L’Hôte et G.

Mahé ont montré dans leur carte publiée en 1996 que le déplacement vers le sud des isohyètes de la période 1970-1989 par rapport à la moyenne 1951-1989 variait de 150 à 250 km suivant les zones du bassin du fleuve Niger (voir ci-dessous). Ces déficits pluviométriques répétés sur plusieurs années ont eu des conséquences tant sur le régime des eaux de surface et souterraines que sur les activités agricoles.(Mahé, Olivry, 1991). Les déficits hydrologiques sont plus marqués et une certaine durabilité du phénomène déficitaire persiste.

La rupture climatique décelée au plan statistique vers 1968-1970 (Hubert, Carbonnel, 1987) a duré un quart de siècle. C’est celle que nous soulignons ici car elle remet en cause toutes les normes qui avaient été précédemment établies pour les aménagements hydrauliques ainsi que le principe des analyses classiques de séries statistiques. C’est elle qui a justifié la tenue de conférences scientifiques internationales comme celles de Ouagadougou en 1986 et d’Abidjan en 1998.

Une nouvelle rupture, à confirmer, serait apparue en 1994-1995 avec un « retour à l’humide » et depuis une succession d’années humides, sèches ou moyennes.

Ce qu’il est important de souligner d’ores et dejà, c’est que les déficits hydrologiques , la baisse de la ressource en eau, sont beaucoup plus importants que les déficits pluviométriques. On le verra dans les tableaux qui suivent où des moyennes on été calculées par décennie.

La figure présentant pour l’Afrique soudano-sahélienne les variations des indices pluviométriques et d’écoulement depuis le début du siècle et jusqu’en 1990 montre bien la chute hors du commun de ces paramètres depuis 1970. Elle montre aussi l’amorce d’une diminution du déficit pluviométrique en fin de série ( et qui va se confirmer plus tard), qui n’est pas traduite dans le déficit hydrologique. La « mémoire du fleuve » garde le souvenir des déficits antérieurs à travers les altérations qu’ont connues les états de surface et les ressources souterraines de son bassin… et une bonne année pluvieuse ne peut suffire pour retrouver le régime antérieur du fleuve.

Figure 5.1: Déplacement vers le sud des isohyètes (L’Hôte, Mahé, 1996)

1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 0

10 20 30 40

-10

-20

-30

-40

Ecart à la moyenne en %

0 20 40 60 80

-20

-40

-60

-80 INDICE PLUVIOMETRIQUE INDICE D'ECOULEMENT

Figure 5.2 : Variations interannuelles des indices pluviométrique et d’écoulement moyens pour l’Afrique soudano-sahélienne depuis le début du siècle ( noter pour les années les plus

Synthèse des connaissances hydrologiques et potentiel en ressources en eau du fleuve Niger Juin 2002

processus s’est certainement fait progressivement, mais la période de déficit est suffisamment longue pour que l’on ait deux courbes distinctes. On donne dans la figure suivante l’exemple de cette relation pour le Niger à Koulikoro.

Pluie annuelle en mm

Lame écoulée annuelle en mm

1100 1200 1300 1400 1500 1600 1700 1800 1900

100 200 300 400 500 600 700

Avant 1970 Après 1970 y = 0,59x - 516,54

R² = 0,71 y = 0,56x - 435,4

R² = 0,79

Figure 5.3 : Relation entre hauteurs de précipitations annuelles et lames écoulées annuelles sur le Niger à Koulikoro. La même pluie annuelle donne moins d’écoulement dans la période la plus récente.

L'hypothèse a été faite (Olivry, 1987) que le changement durable de la relation pluie-débit était dû à une réduction de l'écoulement de base et que le retour à des débits plus soutenus supposait la reconstitution des aquifères, possible avec un cumul de variations climatiques favorables dans le même sens. On avait introduit le concept de durabilité du déficit hydrologique au dela du déficit pluviométrique. L'étude des variations des coefficients de tarissement10 sur quelques stations du Niger amont et du Bani semble corroborer cette hypothèse (Bricquet et al., 1995 ; Bamba et al., 1996a et b ; Bricquet et al., 1997; Mahé et al., 1997). En effet, les coefficients de tarissement augmentent pour nombre de stations du simple au double depuis 1971, ce qui indique une vidange des nappes plus rapide, et donc une extension plus faible de celles-ci.

Pour le Niger à Koulikoro, les données montrent un coefficient de tarissement qui a augmenté brutalement vers 1980 jusqu'à une valeur de 0,040 j-1 au début des années 90. Dans le cas du Bani, l'évolution du tarissement est tout aussi significative. De 1950 à 1975, le coefficient moyen est de 0,023 j-1, il passe à 0,03 j-1 à la fin des années 70 et à 0,04 j-1 à la fin des années 80.

Après les sécheresses sévères des années 1970, 1980 et 1990, l'appauvrissement des nappes phréatiques n'a pu être compensé en dépit d'une faible amélioration de la pluviométrie des

10 Le tarissement d'un cours d'eau correspond à la vidange des réserves souterraines du bassin en dehors de toute précipitation et d'apport ruisselé. La décroissance des débits pour le bassin du Niger supérieur (Roche, 1963), prend une forme exponentielle d'expression : Qt = Q0e-α(t-t0) , connue sous le nom de loi de Maillet, où Q0 est le débit initial du début du tarissement, α, le coefficient de tarissement, t le temps en jours entre la date to

années 1988, 1989 et 1994. L'année 1994 a vu la crue du Niger à Koulikoro atteindre une cote inégalée depuis de nombreuses années, bien qu'a peine supérieure à la médiane calculée sur 86 ans. Les pluies sur le bassin ont pourtant été très abondantes (1670 mm), soit 15 % de plus que la moyenne 1951-1989.

0.01 0.02 0.03 0.04 0.05

1951 1957 1963 1969 1975 1981 1987 Années

Coefficient de Tarissement (j-1 ) Niger Bani

Figure 5.4 : Evolution du coefficient de tarissement (d’après Bricquet et al., 1997)

On retiendra que le temps nécessaire pour que le débit de tarissement des cours d’eau soudano-sahéliens diminue dans le rapport de 10 à 1 est passé grosso modo de 4 mois à 2 mois (Olivry et al,1993).

La relation présentée dans la figure 5.5 ci-après est d’une qualité relativement bonne et peut surprendre puisqu’elle montre la dépendance entre le coefficient d’écoulement et le coefficient de tarissement ; en fait, elle confirme l’importance des nappes et de leur niveau de remplissage dans la puissance de l’hydrogramme annuel.

0,02 0,025 0,03 0,035 0,04 0,045

10 15 20 25 30 35

y = 63,8 e R² = 0,7566 r = 0,87

-36,4 x

coefficient de tarissement α j-1

coefficient d'écoulement en %

Figure 5.5 : Coefficient d’écoulement dépendant du coefficient de tarissement : relation montrant l’ importance des aquifères. Série du Niger à Koulikoro (Olivry et al.,1998) C’est ce qui est illustré dans la figure 5.6 suivant cette relation avec des hydrogrammes en 1994 et 1995 beaucoup moins prometteurs que ce que les hauteurs de pluie tombées sur le

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1/5 31/7 30/10 31/1 30/4 31/7 30/10 31/1 30/4

0 2000 4000 6000 8000 10000

1994/96 25/26 et 26/27 Crue "équivalente"

Débit journalier en m3.s-1

1951 - 1990 moyenne

1994 - 1995 période sèche

Année équivalente période humide

Pluviométrie mm 1445 1670 1660

Lame Ecoulée mm 357 376 537

Coef. Ecoulement % 24.7 22.5 32.3

Tarissement α 10−2j-1 28.5 36.0 22.2

Figure 5.6 : Hydrogrammes comparés et valeurs caractéristiques (tableau) comparées pour la saison 1994-1995, la moyenne 1951-1990 et la moyenne des années de pluviométrie équivalente, puis pour l’année 1995-1996, avec surimpression des années 1924 et 1925 ayant reçu en période humide les mêmes hauteurs de pluie (Bricquet et al, 1996 et compléments).

Si les exemples sont pris pour l’essentiel sur le bassin du Niger supérieur, il faut savoir que ce comportement hydrologique qui a été mis en évidence est général pour le bassin du Niger (sauf après Lokoja), le bassin de la Volta, celui du Sénégal et celui du Logone-Chari. Il sera très utile de s’en souvenir en cas d’évaluation de la ressource ou de prévision de débits en basses eaux : les idées communément admises auparavant sur le tarissement ou le volume des écoulements de base doivent être remises en question….