gestion de l’eau
Les activités liées à la ressource en eau sont nombreuses et leur gestion dépend de la
dispo-nibilité de données de débit (patrimoniales ou temps réel) comme montré précédemment (voir
tableau 2.1). Malgré l’application de méthodes d’estimation des incertitudes dans le domaine de
l’hydrométrie, il est encore rare de disposer en opérationnel d’un intervalle de confiance associé
à la donnée. L’utilisateur de la donnée, parfois éloigné du travail de l’hydromètre, n’a donc pas
d’information quant à la qualité de la donnée qu’il utilise. Ce dernier peut donc difficilement
prendre une décision adaptée à la fiabilité de la donnée.
Certaines décisions se fondent sur l’utilisation de modèles hydrologiques calés sur des
chro-niques de débit. Dans ces cas, les incertitudes des données de débit paraissent faibles
comparati-vement aux imprécisions des modèles hydrologiques mais elles méritent d’être prises en compte
pour le calage des modèles (Zin, 2002). Dans des cas de planification en lien avec des activités
humaines, les incertitudes sur le développement de la population ou sur l’évolution future de
la demande en eau sont par exemple d’une magnitude bien plus forte que les incertitudes des
données de débit.
S’agissant d’incertitudes portant sur un événement redouté (en l’occurrence, une crue), les
concepteurs accordent généralement une marge de sécurité par rapport à un évènement de
référence (crue centenale, millénale ou décamillénale) dans le dimensionnement d’un ouvrage
hydraulique, en raison de séries patrimoniales trop courtes et de risques de sous-estimation des
quantiles de crues (Lang et al., 2010). L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN, 1984) définit une
"cote majorée de sécurité" pour les sites fluviaux comme le maximum entre « le niveau atteint
par un débit de crue millénale (crue dont la probabilité annuelle de dépassement est de 10−3)
majoré de 15% et le niveau atteint par la conjonction de la plus forte crue connue, ou de la
crue centennale, si-celle-ci est plus importante, et de l’effacement de l’ouvrage de retenue le
plus contraignant. » Concernant le dimensionnement des barrages, il n’existe pas de
réglemen-tation, le dimensionnement se base généralement sur une crue de débit millénal assortie d’un
CHAPITRE 4. LES INCERTITUDES EN HYDROMÉTRIE
coefficient de sécurité. L’incertitude des chroniques de débit utilisées (prenant en compte les
incertitudes des données et du modèle hydraulique liant les hauteurs au débit) dans de tels
di-mensionnements est alors "noyée" (au sens figuré) parmi les autres sources d’erreur potentielles
telles que les incertitudes liées au choix du modèle statistique, à l’extrapolation du modèle
théo-rique aux valeurs extrêmes ainsi qu’à la taille et à la représentativité de l’échantillon disponible.
L’impact des incertitudes est certainement plus fort en situation de crise (étiage ou crue) ou
bien dans le cas d’utilisation de données en temps réel. Comme nous l’avons montré, la mesure
du débit est particulièrement sensible en basses eaux alors que les besoins en eau constituent
des enjeux patrimoniaux et économiques forts (Lacazeet al., 2010). Dans de telles situations, les
préfectures de département ou de région peuvent être amenées à restreindre les prélèvements
pour assurer l’approvisionnement en eau potable. Il s’agit notamment de limiter les usages
agricoles et industriels non stratégiques. Dans les situations d’étiage les plus marquées, les
prélèvements industriels permettant le refroidissement des centrales thermiques peuvent être
limités. Pour tous ces usages, ces restrictions ont bien évidemment un impact économique très
fort et sont conditionnées au franchissement de seuils de débit au niveau des stations de suivi
d’étiage. Ces seuils correspondent à quatre niveaux de criticité définis par le SDAGE : vigilance,
alerte (associé au débit d’étiage seuil d’alerte ou DSA), crise (associé au débit de crise ou DCR)
et crise renforcée. Le franchissement d’un seuil entraîne le déclenchement de séries d’actions
afin de ne pas atteindre le niveau de criticité suivant.
La variable de suivi de l’étiage est le V CN315j, c’est à dire le plus petit débit moyen sur 3
jours, calculé sur la quinzaine passée (Lacazeet al., 2010). Ceci implique de la part des services
d’hydrométrie l’assurance de la disponibilité en continu des données. Or, sans un certain recul
temporel, il est parfois difficile de corriger et de garantir la qualité de la donnée en temps réel.
Certaines études démontrent en effet que l’apport de jaugeages ultérieurs peut engendrer une
modification sur les chroniques de débit (Lacaze et al., 2010; Morlot, 2014). L’incertitude sera
donc plus grande pour les données en temps réel que pour les données validées. Ces incertitudes
non négligeables peuvent remettre en cause le franchissement d’un seuil et donc les décisions
qui en découlent.
La question des incertitudes se pose également concernant les débits réservés (c’est à dire
l’obligation de maintenir un débit minimal à l’aval d’un aménagement). Selon l’article L214–18
du Code de l’Environnement, le débit réservé ne doit pas être inférieur à 1/10ème du module
(ou à 1/20ème du module dans certains cas), c’est-à-dire le débit moyen pluriannuel du cours
d’eau. Dans ce but, la Police de l’eau peut être amenée à réaliser des contrôles de terrain
inopi-nés par des jaugeages. Elle peut alors verbaliser les infractions constatées puisque le non respect
du débit réservé est un délit prévu et réprimé par l’article L216–7 du Code de l’Environnement
(75 000 euros d’amende). Face à l’incertitude propre de la mesure de débit, à quel moment une
sanction pénale est-elle envisageable ?
En résumé, l’absence de prise en compte de l’incertitude possède un coût (humain,
socio-économique ou environnemental) puisqu’elle est susceptible d’entraîner des prises de décision
non adaptées, soit trop prudentes ou soit trop risquées. La prise en compte de l’incertitude
doit permettre d’adapter la décision en fonction de la gravité du risque que l’on cherche à
garantir. Par exemple, lorsque la décision porte sur un risque de crue mettant en danger la
population, l’ordre d’évacuation sera conditionné au le dépassement d’une valeur cible par
la borne supérieure d’incertitude (au seuil de confiance de 95% ou plus, selon le niveau de
prudence) de l’hydrogramme. Si les conséquences sont modérées, la valeur centrale (moins
pessimiste) sera retenue. En outre, la connaissance des incertitudes permet, grâce à une analyse
coût-avantage, d’adapter les investissements et d’estimer les risques associés.
Conclusion de la première partie
La croissance et la diversification des besoins en eau engendrent des problèmes de partage de
cette ressource entre des acteurs aux objectifs variés. Pour répondre à ces enjeux, la définition
de politiques équitables de partage de l’eau nécessite un bilan quantitatif précis des volumes
d’eau. De nombreux organismes institutionnels ou privés disposent de réseaux d’hydrométrie
pour établir un suivi de la quantité d’eau disponible à l’échelle du bassin versant. Ces réseaux
de mesure collectent, valident et construisent des séries chronologiques de débit qui sont à la
base du travail des hydrologues. Ainsi, ces données contribuent à répondre à des enjeux
envi-ronnementaux, économiques et sociétaux dans le monde. Dans ce contexte, l’instauration d’un
dialogue constructif entre toutes les parties prenantes passe par la mise en place d’un référentiel
commun en matière d’hydrométrie. La normalisation constitue un bon outil pour atteindre cet
objectif.
La boîte à outils à disposition de l’hydromètre n’a eu de cesse d’évoluer et de s’étoffer au
cours des dernières années. Bien que les processus d’acquisition et le matériel soient devenus
de plus en plus fiables au cours du temps, l’hydrométrie opérationnelle reste assez artisanale
et par nature imprécise. Les sources d’erreur associées à la mesure du débit sont nombreuses.
Elle doivent être identifiées, quantifiées et propagées, via une analyse d’incertitude, afin que les
décisions soient prises en fonction de la fiabilité de la donnée. Le respect du processus de mesure
et des règles de l’art sont les conditions qui autorisent la conduite d’un calcul d’incertitude. En
aucun cas l’incertitude ne peut se soustraire à un respect rigoureux des bonnes pratiques et à
une analyse critique de la donnée. L’estimation de l’incertitude ne permettra jamais de détecter
des erreurs ou des dérives aux codes de bonne pratique. La maîtrise du matériel, le maintien de
la compétence et le suivi de formations doivent en outre permettre de conserver un haut niveau
de qualification des personnels.
Les jaugeages étant le premier maillon de l’hydrométrie opérationnelle, ces travaux visent
à quantifier leur incertitude et en particulier celle des jaugeages par exploration du champ
des vitesses qui constituent une grande proportion des jaugeages. Dans la seconde partie de
cette étude (partie II) seront présentées l’application de la méthode analytique de propagation
d’incertitude aux jaugeages par exploration du champ des vitesses et les méthodes existantes
qui en découlent. Les limites de ces dernières seront abordées et justifient l’objectivation des
différentes composants d’incertitude par une approche nommée Flaure (pour FLow Analog
UnceRtainty Estimation) développée en partie III. Les résultats d’incertitude obtenus selon
cette méthode seront enfin confrontés à des essais interlaboratoires (partie IV).
DEUXIÈME PARTIE
Méthodes analytiques d’estimation
d’incertitude appliquées aux jaugeages
par exploration du champ des vitesses
Un jaugeage au moulinet sur le Glandon à St Etienne-de-Cuines (Savoie,
France). Photo : A. Hauet.
5
Jaugeages au courantomètre : protocole de mesure et
sources d’incertitude
Les jaugeages par exploration du champ des vitesses consistent à intégrer spatialement les
vitesses et la bathymétrie sur une section en travers d’une rivière (voir section 3.1.3). En plus
des erreurs inhérentes à la mesure des profondeurs et des vitesses, la précision de ce type de
mesure dépend, en grande partie, du soin apporté à l’échantillonnage et de la variabilité des
grandeurs mesurées au cours du temps.
Ce chapitre présente la définition exacte du processus de mesure (section 5.1), ce qui constitue
la première étape du travail d’analyse de l’incertitude, quelques préconisations générales quant
aux stratégies d’échantillonnage déployées au cours du mesurage (section 5.2), un inventaire
des sources d’erreurs (section 5.3) et quelques problématiques portant sur leurs quantifications
(section 5.4).
5.1 Processus de mesure
La première étape de toute analyse d’incertitude est la définition du processus de mesure.
La méthode de jaugeage par exploration du champ des vitesses consiste à échantillonner la
géométrie du cours d’eau (la bathymétrie) et les vitesses sur un semis de points distribués
ho-rizontalement et verticalement à travers une section en travers (Rantz et al., 1982; Herschy,
1993b). En pratique, les points de mesures (en termes de vitesse et de profondeur) sont répartis
sur des verticales, d’indicei et le débit est calculé comme la somme des débits partiels associés
à chacune des verticales et des débits des sous-sections de rive, comme exprimé à l’équation 5.1
qui correspond à la discrétisation de l’équation 3.3.
Q=
m+1
X
i=0
Qi =Q0+Qm+1+
m
X
i=1
BiDiVi [m3/s] (5.1)
où Qi, Bi et Di correspondent respectivement au débit, à la largeur et à la profondeur de
chacune des sous-sections i. Vi est la vitesse moyenne normale à la sous-section i (ou débit
surfacique) estimée par intégration verticale du profil des vitesses. Q0 et Qm+1 désignent les
débits partiels des sous-sections de rive.
La vitesse moyenne des sous-sections est calculée par intégration des ni mesures ponctuelles de
vitesse de la verticalei.
Les verticales sont repérées en abscisse (xi) généralement au moyen d’un décamètre rigide
tendu entre deux berges pour un jaugeage à la microperche ou posé sur un pont pour un
cou-rantomètre déployé avec une cyclo-potence ou un camion jaugeur. Les trailles sont équipées
d’un dispositif permettant de mesurer la distance et la profondeur des points de mesure en
fonction de l’enroulement du câble. La graduation des perches permet de repérer verticalement
la position des points de mesure. La profondeur de chaque point de mesure est notée hi,j, où j
(de 1 à ni) représente l’indice du point de mesure sur la verticale i,.
La figure 5.1a montre un exemple de profil bathymétrique du jaugeage de la Bourne à la
station hydrométrique Les Jarrands, avec la répartition des points de mesure de vitesses sur 11
verticales. Le profil latéral des vitesses moyennes (Vi) associé à ce jaugeage est représenté à la
figure 5.1b.
0 2 4 6 8 −0.6 −0.4 −0.2 0.0 Largeur [m]La Bourne @ Les Jarrands (27/05/2013)
Prof ondeur [m] ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ● ●
(a)
● ● ● ● ● ● 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 −0.6 −0.4 −0.2 0.0Profil vertical des vitesses à 3,3 [m]
Vitesse [m/s]
Prof
ondeur [m]
Zone explorée