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I.3. La spectrométrie de masse pour l’analyse des protéines 36

II.2.2. Approches développées au laboratoire 78

II.2.3.1. Immunocapture : considérations théoriques 81

Comme indiqué précédemment, l’extraction spécifique des protéines à partir de matrices biologiques se fait à l’aide d’anticorps immobilisés à la surface d’une phase solide telle que des billes magnétiques, des billes de polystyrène ou un gel. Il se forme alors un complexe antigène-anticorps, lui aussi immobilisé, permettant un lavage des composés adsorbés de manière non spécifique. Les interactions entre protéines, et en particulier les interactions antigènes-anticorps, font intervenir à l’échelle moléculaire des interactions entre les acides

aminés de chacune des espèces, et peuvent être décrites simplement à l’échelle macroscopique par la loi d’action des masses. L’efficacité d’une étape d’immunocapture sera conditionnée par deux paramètres décrivant la liaison entre l’anticorps et sa cible : la cinétique et la thermodynamique. La cinétique décrit la vitesse à laquelle la protéine est captée par l’anticorps, et la thermodynamique détermine quelle quantité de protéine pourra être extraite. Nous avons étudié ce dernier point par une approche théorique pour savoir quelle quantité de protéine pouvait être extraite à partir d’un anticorps d’affinité donné.

Pour modéliser ces effets, nous avons pris comme peptide modèle l’Epi-hNE4 (6237 Da), à une concentration variant entre 0,1 et 1000 ng/mL. Les anticorps utilisés proviennent d’un sérum de lapin, et sont polyclonaux. Leur concentration et leur affinité étant inconnues, l’effet sur l’immunocapture de ces deux paramètres a été étudié.

Pour simplifier, nous avons considéré les anticorps comme monovalents, afin de ne pas avoir deux équilibres successifs, et caractérisés par une affinité unique (cas d’un anticorps monoclonal). Ce qui est recherché dans cette approche de modélisation simple n’est pas un aspect quantitatif mais qualitatif de l’influence des différents paramètres.

La loi d’action des masses s’écrit alors :

AgAc Ac Ag+ ⎯⎯→ avec

[ ][ ][

]

AgAc Ac Ag KD = KD constante de dissociation en posant :

[

AgAc

] [

Ag AgT = +

]

]

s)

)

(concentration totale en antigène libre et lié)

[

AgAc

] [

Ac

q= + (concentration totale en anticorps)

[

AgAc

]

B= (concentration en antigène lié à l’anticorp

l’équation devient :

(

)(

B B q B AgT KD = − − ⇔ B2 B

(

q+AgT +K

)

+AgT×q=0 D

(

) (

)

2 4 2 q AgT K AgT q K AgT q B= + + D − + + D − × ×

Cette solution de l’équation est en effet la seule acceptable, la seconde conduisant à une concentration en complexe antigène-anticorps supérieure à la concentration totale introduite en anticorps au départ. Cette relation qui lie la concentration de l’antigène complexé à la constante de dissociation, aux concentrations totales en anticorps et en antigène, a été utilisée par la suite pour les exemples numériques.

Les anticorps obtenus par immunisation ont des affinités variables en fonction du protocole utilisé. De plus, les différents clones d’anticorps polyclonaux présentent des affinités variables. Des anticorps ayant une constante moyenne de dissociation de 10-9M sont par exemple considérés comme des anticorps très affins, alors qu’une constante de 10-6M est associée à des anticorps de faible affinité. Les quantités d’anticorps utilisées sont également variables suivant les différents exemples de la littérature. Une concentration finale en anticorps dans l’échantillon à immunopurifier de 2,5 µg/mL a par exemple été utilisée pour quantifier les peptides β amyloïdes et leurs variants par Wang et al. 106 Avec une concentration similaire (2 µg/mL), Wolf et al. 122 isolaient les peptides hormonaux GIP et

GLP du plasma, alors que Hawkridge et al. 112 utilisaient une concentration de 7,5 µg/mL

pour extraire le peptide BNP du plasma. D’autres exemples montrent une concentration encore plus élevée, avec notamment 16 µg/mL pour la capture de peptides β amyloïdes par Oe

et al. 113, et jusqu’à 45 µg/mL par Bredehoft et al. 117 dans le cadre de la quantification de l’IGF-1 et de ses analogues dans le plasma humain. Ces quelques exemples nous ont servi de base numérique pour les calculs suivants.

La Figure 25 montre la fraction d’antigène liée à des anticorps en fonction de la quantité d’antigène introduite et de l’affinité des anticorps. Pour effectuer cette simulation, la concentration en anticorps est fixée à 10 µg/mL (valeur intermédiaire inspirée des exemples précédents). Ce graphique montre l’importance de l’affinité des anticorps utilisés : si celle-ci est trop faible, une fraction seulement de l’antigène peut être liée à l’anticorps (6 % avec une affinité de 10-6M contre 98 % avec une affinité de 10-9M). Dans ce même exemple, aux fortes concentrations en antigène, la fraction d’antigène liée diminue en raison de la saturation des sites de fixation des anticorps : ces derniers sont en défaut. Ce phénomène se traduit par une saturation des courbes de calibration qui présentent un plateau comme celles présentées par Wolf et al. 122, et comme nous l’avons également observé lors du dosage de l’EPI-hNE4 (Figure 6 de la publication insérée ci-après).

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 concentration en peptide (ng/mL) % p ep tid e lié Kd= 1 E-9 M Kd= 1 E-8 M Kd= 2 E-8 M Kd= 1 E-7 M Kd= 2 E-7 M Kd= 1 E-6 M

Figure 25 : Simulation numérique montrant l’influence de l’affinité des anticorps sur la fraction de peptide liée aux anticorps. La masse du peptide est de 6237 Da, et la concentration en anticorps est de

10 µg/mL

Cependant, la mauvaise affinité d’un anticorps peut être compensée par la quantité introduite, ceci permettant de déplacer l’équilibre en faveur de la formation du complexe comme illustré dans la Figure 26. Une affinité de l’anticorps à 10-7M, et une concentration à 2 µg/mL permet d’immobiliser environ 10 % des peptides en solution, alors qu’une concentration 50 fois plus grande (100 µg/mL) permet d’en immobiliser environ 9 fois plus que précédemment (86 %).

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 concentration en peptide (ng/mL) % p ep tid e lié Ac= 100 µg/mL Ac= 50 µg/mL Ac= 20 µg/mL Ac= 10 µg/mL Ac= 5 µg/mL Ac= 2 µg/mL

Figure 26 : Simulation numérique montrant l’influence de la concentration en anticorps sur la fraction de peptide liée aux anticorps. La masse du peptide est de 6237 Da, et l’affinité des anticorps est de 10-7M.

Cette simulation simple nous a ainsi permis de mettre en évidence l’influence de l’affinité et de la concentration en anticorps sur la complexation. Ainsi, dans le cadre de dosages de

d’extraction peut varier en fonction de la concentration en protéine et être inférieur à 100 % (anticorps en quantité limitante et/ou de faible affinité), c’est pourquoi un standard interne permettant de contrôler ces rendements d’extraction doit être alors utilisé. Les caractéristiques des anticorps guident le choix du format d’extraction : il est par exemple nécessaire d’immobiliser davantage d’anticorps de faible affinité que de forte affinité, et se pose alors la question de la capacité du support solide.

La méthode la plus simple inspirée des dosages immunologiques consisterait à utiliser les mêmes outils, c'est-à-dire une plaque de microtitration possédant des anticorps adsorbés sur les parois des puits. L’adsorption monocouche la plus dense d’anticorps sur la surface d’un puit est de l’ordre de 300 ng/cm², pour un volume de 200 µL et une surface de 1,5 cm² 128. La concentration des anticorps est alors de l’ordre de 2 µg/mL lors de l’incubation avec 200 µL d’échantillon (valeur maximale dans l’hypothèse où tous sont fonctionnels), ce qui d’après les simulations serait limitant pour des concentrations en peptide supérieure à 100 ng/mL (Kd = 10-9M). En réalité, l’adsorption des anticorps est rarement si optimale, les affinités peuvent être plus faibles, et hormis les anticorps monoclonaux, ceux-ci ne sont pas purs. Il est alors nécessaire de prendre un support solide avec une grande surface de capture. Quelques études ont opté pour un format de microbilles polystyrène ou magnétique, et d’autre pour des colonnes d’affinité. A titre de comparaison, la surface de 40 µL de microbilles magnétiques utilisées dans le dosage présenté ci-après est de 1800 cm² (plus que la surface d’une feuille de papier format A3) alors que le puits d’une plaque de dosage (format 96 puits) présente une surface de 1.5 cm². Ces billes ont une plus grande souplesse que les colonnes d’affinité en terme d’ajustement de la capacité aux besoins du dosage, mais leur utilisation est majoritairement manuelle. A noter que des robots dédiés à ces tâches d’incubation, lavage et élution de billes magnétiques ont fait récemment leur apparition comme par exemple le "KingFisher", développé par la société thermo et déjà utilisé dans des applications de type protéomique 129, et permettant d’avoir un parallélisme dans le traitement des échantillons, point important pour le débit et la robustesse du dosage. Les colonnes d’affinité ont quant à elles l’avantage de pouvoir être couplées directement à la colonne analytique permettant une automatisation totale du dosage. L’analyse de longues séries d’échantillons sur la même colonne d’immunoaffinité requiert une bonne stabilité de l’anticorps fixé. Les billes fonctionnalisées ne sont en effet pas réutilisées, alors que les colonnes d’affinité sont reconditionnées après élution en vue d’une nouvelle injection. Berna et al. 124 ainsi que Radabaugh et al. 130 ont néanmoins décrit des dosages par colonne d’immunoaffinité couplée

à une analyse LC-MS et ont rapporté plus de 2000 injections sur la même colonne d’affinité avant de constater une baisse de l’intensité du signal.

Le choix du support est également lié au type d’anticorps utilisé, ces derniers pouvant être monoclonaux ou polyclonaux. Les anticorps monoclonaux ont l’avantage d’être sélectionnés pour leur affinité et d’être les seules molécules en solution : la liaison à un support solide par réaction chimique (comme sur les colonnes d’affinité) permet de fixer uniquement des anticorps spécifiques à l’analyte sur le support solide. Les anticorps polyclonaux, quant à eux, sont obtenus à partir de saignées d’animaux immunisés, et doivent donc être purifiés (par leur cible ou par leur fragment Fc) avant d’être immobilisés par couplage chimique. L’ensemble des immunoglobuines contenues dans le sérum d’animaux immunisés peuvent être directement immobilisées sur un support solide (bille ou colonne), préalablement fonctionnalisé avec des protéines A/G, ou des anticorps anti-espèces. Dans ces conditions, de nombreux anticorps avec des paratopes différents (pas seulement dirigés contre l’analyte) sont alors immobilisés (contrairement aux anticorps monoclonaux), ce qui explique la nécessité d’augmenter les surfaces de capture.