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Chapitre III : Quantification d’un anticorps thérapeutique par

III.1.1.2. Choix du standard interne 132

Les sources de variabilité sont nombreuses lors des analyses de protéines par digestion enzymatique couplée à la LCMS à partir de milieux biologiques complexes, et différentes approches standard interne ont été développées afin d’améliorer justesse et précision des dosages. La première méthode abordée au paragraphe précédent utilise des peptides marqués par isotopes stables dont la séquence est identique à ceux générés par protéolyse de la protéine à quantifier (stratégie AQUA pour absolute quantification, terme défini à partir de l’étude de Gerber et al. 167). Cette méthode de dosage consiste en fait à cliver dans un premier temps la protéine, et d’appliquer aux peptides formés des stratégies de standardisation interne présentées dans le chapitre II portant sur la quantification de protéines de faible masse moléculaire. Cette approche a été largement utilisée pour la quantification de protéines par digestion enzymatique, notamment la protéine C-réactive 168;170, les protéines d’abondance intermédiaire 171, l’IGF1 172, la Zn-α2 Glycoprotein 173, la chaîne légère de la myosine (Myl3)

174, la partie N-terminale du peptide cérébral natriurétique (NTproBNP) 175 et les

apolipoprotéines 176. De tels peptides sont disponibles commercialement et sont facilement produits par synthèse chimique, ce qui explique la facilité de mise en œuvre de cette méthode. L’utilisation de ces peptides marqués par isotopes stables comme standard interne présente cependant quelques limitations : ils ne permettent pas de contrôler le rendement de l’étape de digestion enzymatique ainsi que l’étape de traitement de l’échantillon. Sur ce point, un élément de réponse a été apporté par Barnidge et al. 177 : cette équipe a comparé deux types de standard interne. Le premier était un peptide marqué de structure identique à l’un des peptides trypsiques de la protéine cible ; le second était similaire au précédent mais comportait des acides aminés supplémentaires en N-terminal et C-terminal, de telle sorte que les deux sites de coupure par la trypsine soient introduits dans le standard interne. Cette étude a ainsi montré

qu’aucune différence significative dans la précision du dosage n’avait été observée en utilisant l’un ou l’autre des peptides - clivable ou non - comme standard interne.

Des améliorations ont néanmoins été apportées à ces standards internes pour obtenir des composés susceptibles de mimer le comportement de la molécule à quantifier, que ce soit pendant les étapes de traitement des échantillons, la séparation chromatographie, la désorption-ionisation par électrospray, et enfin lors de la dissociation dans la cellule de collision. Avec l’apparition des standards internes appelés QconCAT, une étape supplémentaire vers le haut débit a été franchie. Cette stratégie a été initialement décrite par Beynon et al. 178 en 2005. Cette protéine QconCAT est un assemblage de peptides marqués par isotopes stables juxtaposés dans une même séquence. Après digestion enzymatique, les peptides marqués sont générés et utilisés pour la quantification. Ce concatémère est élaboré par construction génétique, puis la protéine marquée est produite par des systèmes d’expression cultivés sur un milieu enrichi par isotopes stables 179. Cette technique permet de rassembler en une protéine tous les peptides marqués nécessaires à la quantification de plusieurs protéines, avec la possibilité d’insérer plusieurs peptides spécifiques d’une même protéine (Figure 30). Deux applications ont consolidé cette approche, comme la quantification de 47 protéines d’abondance intermédiaire du plasma humain par Anderson et al. 180, ou encore la quantification de 20 protéines de muscles ovins par Rivers et al. 181. Ces quelques exemples ont réellement démontré le potentiel et l’efficacité de cette technique pour le multiplexage en association avec la spectrométrie de masse.

Protéine 1 Protéine 2

Protéine 3

Protéine M

Pep1* Pep2* Pep3* Pep4* Pep5* Pep6* - - - PepN* His Tag Protéine QconCAT

Figure 30 : Structure de la protéine QconCAT. Plusieurs peptides marqués (PepX*) peuvent être générés par protéine QconCAT, et plusieurs protéines peuvent être quantifiées. Les sites de coupure par l’enzyme

sont indiqués par des flèches (adapté de Beynon 178 et de Brun 182)

D’autres approches plus intégratives utilisent des protéines entières comme standard interne. L’intérêt de ces approches est de prendre en compte toutes les étapes, et de coller au mieux à la réalité du traitement de l’échantillon et notamment des premières extractions ainsi que de l’hydrolyse enzymatique, qui présentent rarement des rendements de 100 %. Ces standards sont généralement aussi ressemblants que possible à la protéine à quantifier et doivent générer, par digestion enzymatique, des peptides qui seront coélués et qui pourront être distingués des peptides à quantifier par spectrométrie de masse. Des analogues de la protéine ayant pour origine une autre espèce animale et possédant quelques différences ponctuelles dans la séquence d’acides aminés peuvent être utilisés : Mayr et al. ont ainsi utilisé de la myoglobine de cheval comme standard interne pour quantifier la myoglobine dans le sérum humain 183.

L’approche la plus rigoureuse consiste finalement à utiliser une protéine entière, marquée par isotopes stables. Elle présente tous les avantages requis pour être utilisée comme standard interne. Sa séquence, et donc ses propriétés physico-chimiques, sont identiques à la protéine à quantifier. Leur comportement sera donc identique lors des différentes étapes de l’analyse. Van den Broek et al. 184 ont ainsi quantifié un peptide thérapeutique de 4500 Da : l’inhibiteur

de fusion du VIH, enfuvirtide. Ce peptide est clivé par la chymotrypsine avant d’être quantifié par LC-MS/MS. Le standard interne utilisé est de l’enfuvirtide synthétique où toutes les

leucines sont marquées par 10 deutériums ; il est ajouté aux premières phases de l’analyse. Les étapes d’extraction sur phase solide et la protéolyse de l’enfuvirtide ont ainsi été contrôlées par le peptide marqué. Dans cet exemple, la molécule marquée pouvait être produite par synthèse chimique étant donné la faible masse moléculaire du peptide. La transposition aux macromolécules a finalement été permise par les techniques de production de protéines recombinantes, grâce auxquelles la protéine entière, marquée par isotope stable, est obtenue par production dans un milieu enrichi (avec un acide aminé marqué par des isotopes stables par exemple). Cette approche, dénommée PSAQ pour Protein Standard

Absolute Quantification, a été décrite par Brun et al. en 2007 182. Cette étude a notamment comparé la précision de la quantification en utilisant les trois grandes approches de standardisation interne (AQUA, QconCAT et PSAQ). Les résultats montrent clairement l’intérêt des protéines entières marquées pour la précision de la quantification. L’efficacité du clivage par l’enzyme pour former les peptides est ainsi parfaitement contrôlée dans ce cas particulier où les toxines quantifiées sont peu sensibles aux protéases. Les peptides générés par digestion sont identiques aux peptides de la protéine cible et sont différentiables en spectrométrie de masse par leurs isotopes stables. Cette technique a également été utilisée par Janecki et al. pour quantifier des isoformes de l’alcool deshydrogénase ADH1C1 dans des foies humains 185. Ces standards internes sont incontestablement les mieux adaptés pour la quantification des macromolécules, surtout si la protéine porte des modifications post- traductionelles et que ces standards sont produits dans des conditions identiques à la protéine, la question du rendement et du coût d’une telle approche est cependant posée.

En marge des standards usuels utilisés pour la quantification absolue des protéines, il est intéressant d’ajouter que trois autres approches ont été développées pour la quantification relative des protéines, mais celles-ci ont surtout été appliquées à la protéomique et à l’identification de biomarqueurs en raison de la facilité avec laquelle des expressions différentielles peuvent être mesurées. La première, dénommée ICAT 186;187 pour isotope-

coded affinity tags, consiste à lier de manière covalente à la protéine une petite molécule

organique composée de trois parties. La première partie de la molécule permet la liaison aux cystéines réduites (réaction sur les thiols libres) ; la deuxième partie de la molécule est un bras de liaison sur lequel est placé ou non le deutérium, donnant ainsi un incrément de masse pour différencier les deux molécules par un spectromètre de masse ; et enfin la troisième partie de la molécule est une biotine qui possède une forte affinité pour l’avidine et la streptavidine (KD

sonde. La deuxième approche développée pour la quantification relative des protéines est dénommée iTRAQ pour isotope tags for relative and absolute quantification. Elle consiste à faire réagir de manière covalente sur les amines libres une molécule (parmi quatre) qui possède également trois zones 188. Ces quatre molécules possèdent une première zone commune qui permet de réagir sur les peptides. La deuxième zone est clivable par fragmentation et sert de rapporteur (chaque molécule possède un rapporteur de masse différente), et la troisième zone a une masse variable complémentaire du rapporteur pour que les quatre molécules ait la même masse totale. La dernière approche, SILAC 189 pour stable

isotope labeling by amino acids in cell culture, consiste à faire croître des cellules dans des

milieux contenant un acide aminé marqué par des isotopes stables et à comparer les intensités des protéines marquées et non marquées produites par des cellules sur les deux types de milieux. Ces approches (ICAT, iTRAQ et SILAC) ont surtout remporté un succès pour l’analyse protéomique, et sont donc majoritairement utilisées pour effectuer une quantification relative et corréler différents niveaux d’expression à différents facteurs.