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III – LE PORT DANS LA VILLE

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 56-71)

LE PORT DE CAEN VERS 1850

III – LE PORT DANS LA VILLE

Avant de mesurer la perception du port par les habitants de Caen en cette mi-temps du XIXe siècle, quel est son poids économique ?

A – Le positionnement du port et son trafic

Le trafic du port de Caen est une des informations pertinentes pour mesurer son activité et son poids dans le concert des ports normands et des ports français. À compter de l’année 1877 et jusqu’en 2010 la source unique de notre travail est constituée par les Bulletins de la Chambre de Commerce de Caen ; même si l’information fournie évolue avec le temps elle reste suffisamment complète et elle permet des comparaisons. En revanche pour les années 1850-1876 nous avons eu recours à deux sources qui se recoupent et se complètent : les tableaux du trafic des ports de Normandie indiqués dans l’Atlas historique et statistique de la Normandie Occidentale à l’époque contemporaine et les tableaux statistiques établis par le service des douanes et conservés à la Bibliothèque nationale de France.

50 Gervais LA RUE de, abbé, Essai historique sur la ville de Caen et son arrondissement, Caen, Imprimerie F. Poisson 1820, t. 1, p. 285.

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Les chiffres du tableau ci-dessous représentent la moyenne du trafic pour les années 1850 à 1856, avant l’ouverture du canal.

Tableau 2 : Trafic moyen port de Caen 1850-1856 (en tonneaux)51 Entrées Sorties Total en Tonneaux

82 400 49 600 132 000

Pour la même période, le trafic moyen (en tonneaux de jauge nette) du port de Marseille est de 1 683 000 tonneaux, celui de Bordeaux est de 400 000 tonneaux, celui de Calais est de 363 000 tonneaux, celui de Boulogne est de 311 000 tonneaux, celui de Nantes est de 217 000 tonneaux et celui de Dunkerque, avec lequel Caen entretient un trafic non négligeable (comme nous le verrons plus loin), 230 000 tonneaux52. Face aux plus grands ports français le port de Caen occupe une très modeste place. Quelle est sa place face à ses concurrents directs en Normandie ? C’est l’objet du tableau ci-dessous.

Tableau 3 : Tableau comparatif trafic moyen

des ports normands avec leur poids relatif 1850-1856 (en tonneaux)53

Listes des l’époque contemporaine. Vol. III, Les communications, Caen, Centre de recherche d’histoire quantitative, 2000, p. 177. Les auteurs de cet atlas précisent, p. 174, que dans ces statistiques, sont intégrés « les bâtiments de transport de passagers, les paquebots, de toutes tailles ».

52 Bruno MARNOT, Les grands ports de commerce français…, op. cit., p. 569.

53 Gabriel DÉSERT (dir.) Atlas historique et statistique…, op. cit, p. 177 (Caen), p. 175 (Le Havre), p. 176 (Rouen), p. 178 (Dieppe), p. 180 (Honfleur), p. 179 (Cherbourg) p. 187 (tous ports normands).

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Le trafic du port de Caen est très éloigné du trafic des deux plus grands ports normands, Le Havre et Rouen, à eux deux ils réalisent 68 % du trafic moyen cumulé alors que Caen n’en représente que 5 %. Dans un tel « rapport de force » Le Havre et Rouen ne peuvent être considérés comme des concurrents de Caen. Le port du Havre est plutôt un centre de redistribution pour certaines marchandises qui peuvent ensuite repartir vers le port de Caen.

Quant à celui de Rouen il est le port qui dessert la région parisienne par le biais de la Seine.

L’un et l’autre ont réalisé d’importants aménagements dans la première moitié du XIXe siècle, surtout pour Le Havre.

Ce trafic, comme celui de tous les ports normands, est déséquilibré, les exportations ne constituent que 37,5 % du trafic global contre 41 % pour la moyenne de tous les ports et respectivement 44 % pour Le Havre et 37,5 % pour Rouen.

En 1850, le trafic total (entrées plus sorties en tonnage de jauge nette) situe le port de Caen au 11e rang des ports français, ce qui peut paraître honorable, mais il se positionne loin derrière les plus grands ports français de l’époque, à savoir Marseille, Le Havre, Calais, Bordeaux, Boulogne, Nantes, Dunkerque, Rouen, Dieppe, Sète. Nous avons évoqué plus haut le trafic des plus importants.

Un port normand émerge et concurrence directement le port de Caen, il s’agit du port de Honfleur. Un port, implanté au bord de la mer, qui jouit d’une riche et longue histoire. Son activité est plus faible et partiellement différente. On y pratique la petite pêche, comme à Caen, mais aussi la grande pêche et le trafic colonial qui n’existent pas à Caen. Cependant la concurrence est réelle si on se réfère à ce courrier que Monsieur Bertrand, maire de Caen, adresse à la compagnie de l’Ouest : « La lutte du commerce de Caen avec Honfleur (qui) existe déjà, mais qui sera bien plus sérieuse à partir du jour où cette dernière ville, au moyen de son chemin de fer sur Lisieux, pourra diriger, avec plus d’avantages qu’elle ne le faisait naguère, toutes ses marchandises vers la Loire »54. L’inquiétude du maire et de certaines élites de la ville concerne le coût du fret pour les marchandises, débarquées dans les ports de Caen et de Honfleur, et destinées à desservir Le Mans et la Loire. Grâce au chemin de fer

54 Arch. dép. Calvados, S 1284-1285, Régime des eaux avant et après la création du canal : extrait d’une lettre de M. Bertrand qui traite du tracé de la future ligne de chemin de fer et du futur emplacement de la gare de Caen.

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Honfleur-Lisieux, les marchandises débarquées dans le port de Honfleur pourront facilement rejoindre Mézidon puis Le Mans et la Loire, grâce au chemin de fer.

Dans les années 1850, avant l’ouverture du canal de Caen à la mer, le port de Caen se distingue donc par un trafic modeste. Un tableau du maître de port daté de 1851 donne le détail du trafic des entrées avec le type de navigation.

Tableau 4 : Trafic entrées port de Caen 185155

Rubriques Tonnage % Marchandises

Navires français venant du Grand Cabotage 2 579 3,2

Savon, huile d'olive, sel de soude, bois de teinture, réglisse

Navires français venant de ports français 47 351 59,2

Plâtre, engrais, tourteaux, vin, alcool, houille (956 t), sel, ardoise, avoine, divers

Navires français venant de l'étranger 9 586 12,0 Houille (9 500 T) et divers

Navires étrangers venant de l'étranger 20 439 25,6 Houille (13 763 t) et bois (6 410 t)

Total 79 955 100

Le trafic des sorties s’organise autour de trois grandes familles de produits : les pierres, les produits agricoles et quelques produits issus des industries locales tournées prioritaire-ment vers le textile56.

Avant l’ouverture du canal, le port de Caen est essentiellement un port de cabotage avec les ports français. Son trafic est le reflet de la vie économique régionale : une industrie à dominante textile, une région agricole riche qui permet d’importantes exportations de denrées agricoles, un trafic particulier de houille (30 % du total des importations) probablement comme source d’énergie pour les industries locales comme pour la consommation domestique. Au début des années 1850 la mine de Littry est en activité, ce qui peut expliquer la place encore limitée de la houille dans les importations. La seconde importation significative est le bois pour les nombreux chantiers navals de construction de voiliers qui existent sur la côte du Calvados. On a même construit dans les années 1835-1836 une cale pour le déchargement du bois57.

55 Arch. dép. Calvados, S 1361, Tableau de la navigation dans le port de Caen en 1851, par le maître de port La Porte.

56 Ibid.

57 Arch. dép. Calvados, S 1369, Travaux 1824-1836.

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Le trafic d’exportation de pierres est une spécificité du port de Caen qui existe déjà au Moyen Âge et à l’époque Moderne. Au milieu du XIXe siècle il représente encore 40 à 45 000 tonnes de pierres58. Ce trafic est assuré par les sieurs Jobert et Gast. D’après un rapport de l’ingénieur des Ponts et Chaussées daté du 15 septembre 1857 ils sont négociants en pierres et matériaux de construction. « Ils ont été autorisés à construire sur la rive droite de l’Orne, à l’aval de la place des Abattoirs, plusieurs embarcadères aux grues fixes pour l’embarquement des pierres et des matériaux de construction »59. Ce commerce doit être assez florissant pour que le sieur Tuckwel, anglais, qui pratique également le commerce de pierres, demande l’autorisation d’installer un embarcadère spécifique avec une grue. Cette installation est autorisée malgré une opposition très forte des « négociants, propriétaires, industriels et autres habitants de la ville de Caen »60.

Une partie significative de ce trafic transite par le quai des Abattoirs le long de l’Orne.

Plan 6 : Le quai des Abattoirs61

Les acteurs économiques sont installés sur la rive droite du fleuve – quai des Abattoirs.

Les noms de plusieurs négociants apparaissent : Angot, Latouche, Foucard, Gast, Jobert. Les chantiers de construction de bateaux sont implantés au bout du quai, à la jonction entre l’Orne et le rond-point au bout du bassin Saint-Pierre. Le pont des Abattoirs, en projet, est indiqué juste après les abattoirs (au deux tiers du plan à partir de la droite). On note les

58 Arch. dép. Calvados, 2MI 560 R 11, « Rapport de M. Duchanoy », ingénieur des mines, Annuaire du Calvados, Année 1857, p. 258 cité par Laurent DUJARDIN Carrières de pierres en Normandie : Contribution à l’étude historique et archéologique des carrières de pierre à bâtir à Caen (Calvados) et en Normandie aux époques médiévales et moderne, thèse de doctorat en Histoire, Université de Caen, [s.l.], [s.n.], 1998, p. 256.

59 Arch. dép. Calvados, S 1372, Port de Caen, outillage, grues.

60 Ibid.

61 Arch. dép. Calvados, S 13418, Port de Caen-Ouistreham éléments divers : plan non daté. Cependant les cartons S 1367/1 et /2 conservent les traces du lancement de l’adjudication pour les travaux du pont des abattoirs.

Cette adjudication est lancée par le préfet Tonnet le 27/12/1855.

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terrains destinés au chemin de fer ainsi que la future ligne destinée à desservir le port. Le pont des Abattoirs est ouvert à la circulation dès 1858. Il relie le port au chemin de fer.

Le trafic de sel, cité dans les entrées du port, concerne le sel de l’ouest qui vient des ports bretons et vendéens. Il s’agit d’un trafic assez significatif : en 1850 il représente 3 700 ton-nes, un des plus importants trafics après les matériaux et avant la houille. Parmi les acteurs du commerce du sel, comme du commerce de la houille, et du bois, avant les années 1850 et même au-delà, jusque dans les années 1870, il faut citer la famille Lamy. Une vieille famille de négociants caennais dont le premier acteur est Pierre Jacques Édouard Lamy. Il achète en 1828 « un sloop de 28 tonneaux, caboteur à un seul mât gréé en cotre, prénommé Justine, désarmé en 1837, il est remplacé la même année par un sloop de 27 tonneaux, baptisé Julienne »62.

L’activité portuaire est également marquée par le caractère agricole de la plaine de Caen.

En 1850 le port a exporté 210 tonnes de graines et farines dont 127 pour les pommes de terre, en 1851, ces exportations atteignent 2 400 tonnes et 1 235 tonnes en 1852.

L’exportation la plus significative à l’intérieur de ces chiffres est la farine de froment. Il s’agit d’une des cultures dominantes du département. Ces marchandises partent notamment vers l’Angleterre et la Norvège63.

Pour compléter ces informations sur le trafic du port de Caen au début des années 1850, avant l’ouverture du canal, nous avons pu consulter une présentation faite par M. Guichard devant l’Association Normande. Elle donne des précisions sur les ports les plus en relation avec le port de Caen.

En 1850 le port de Caen expédie des marchandises vers Dunkerque, Le Havre et Rouen, puis vers Bordeaux. Le trafic avec les ports méditerranéens est très marginal. Les années 1852-1853 voient une modification de la tendance au profit du Havre qui prend nettement la place de premier port partenaire de Caen devant Dunkerque.

Pour les réceptions de marchandises, les deux premiers ports qui commercent avec Caen sont Rouen puis Le Havre, devant Honfleur, Bordeaux et Dunkerque. À compter de l’année

62 Des Anciens de la Navale Caennaise, Navale caennaise. Un siècle et demi d’histoire, 3e édition, Caen, Imprimerie caennaise, 1998, p. 5.

63 Arch. dép. Calvados, M 8661, Commerce – docks – magasins généraux – instructions.

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1853, Le Havre s’impose comme le premier « fournisseur » de Caen devant Rouen dont l’importance diminue avec les années au profit du Havre. Les autres ports fournisseurs restent Honfleur, Bordeaux et Dunkerque.

Dans le domaine des importations, comme des exportations, le principal pays partenaire de Caen est l’Angleterre. On y exporte des matériaux ; on en importe de la houille, des pavés, des briques, des meules, de la terre et de la poterie. Le second partenaire est la Norvège avec le bois. Avec les années le commerce avec ces deux pays prend de l’ampleur64. Vers l’intérieur des terres l’hinterland du port est limité. La configuration du bassin de l’Orne avec « les barrages naturels d’amont de Rabodange et des gorges de Saint-Aubert, n’autorise qu’une économie de « portage ». Par ailleurs le réseau routier existant n’est pas suffisamment dense et praticable pour que le roulage pallie les carences naturelles »65 . Dès le courant de la première moitié du XIXe siècle des esprits éclairés rédigent des mémoires tel celui de M. Lange66. Il y décrit toutes les marchandises qui pourraient arriver vers le port ou en partir pour rejoindre la Mayenne, la Sarthe et la Loire, lieu de débouché naturel du port mais difficilement accessible. Ces départements, au sud du Calvados, auraient pu lui assurer un hinterland comparable à celui du Havre ou encore de Nantes. Ce projet revient périodiquement sur le devant de la scène, durant la seconde moitié du XIXe siècle. M.

Bertrand dans sa lettre citée ci-dessus dénonce aussi cette non prise en compte de la navigabilité de l’Orne supérieur. Le chemin de fer contribue à l’abandon définitif d’une canalisation de l’Orne supérieur au début du XXe siècle.

Cette présentation ne tient pas compte du trafic « voyageurs » que le port entretient avec Le Havre et l’Angleterre, de la pêche pratiquée à Caen et à Ouistreham, ainsi que du trafic de sable par les picoteux qui remontent l’Orne.

64 M. GUICHARD, « Mouvement du port de Caen, période 1850-1858 », Annuaire normand, Caen, imprimerie Leblanc-Hardel, 1860, p. 7, 11, 15, disponible sous la rubrique N5453269_PDF_101_121DM.pdf, consultation du 27/06/2014.

65 Anne-Marie FIXOT, La bourgeoisie industrielle en Basse-Normandie : un siècle et demi de désindustriali-sation de la fin de l’ancien régime à la seconde guerre mondiale, Essai de géographie sociale, thèse de doctorat de Géographie, sous la direction du professeur Frémont, Caen, 1981, 1 vol., 432 p. (dactyl.), p. 293.

66 Grégoire-Jacques LANGE, « Mémoire sur le port de Caen, et sur l’avantage qu’il y aurait à rendre l’Orne navigable depuis cette ville jusqu’à Argentan, et sur la possibilité de la faire communiquer avec la Loire, par la Mayenne et la Sarthe, sans aucune dépense pour l’état » Mémoires de l’Académie royale de Caen, Caen, Poisson (éditeur), 1818, p. 1.

63 qu’en 1855 le trafic du port de Trouville ne représente pas 10 % du trafic du port.

Le port de Caen n’a jamais fait partie des grands ports de pêche normands, comme Grandcamp, Dieppe ou même Trouville et Honfleur, cependant la pêche n’y est pas totale-ment absente. Dans les années 1850-1860, on embarque à Caen ou à Ouistreham pour une pêche aux maquereaux et aux harengs sur les côtes de Yarmouth et sur les côtes d’Écosse.

Cette pêche est pratiquée sur des voiliers construits localement par François Herbline, charpentier-calfat qui travaille ensuite chez Charles Lecorneur à Caen, à compter de 1858.

D’après Philippe Dupré des équipages se sont armés à Caen pour la pêche à la morue :

« Quant à la grande pêche, celle de la baleine, elle est inconnue dans nos régions, mais celle de la morue voit quelques armements à Honfleur et Caen »71. Il évoque ensuite la campagne de l’Adolphe (du quartier de Caen) construit à Sallenelles en 1843 et qui « ramène d’Islande en 1854 37,9 tonnes de morues et 1,4 tonnes d’huile »72. Il est probable que ce poisson est

67 Karl LAURENT, Jean MOISY, Le Bateau du Havre à Trouville, Cabourg, Cahiers du Temps, 2012, p. 12, la note 7 précise la source de cette information : Bulletin des lois du Royaume de France, t. 11, Google livres.

68 Jean MOISY, Le bateau du Havre à Trouville, op. cit., p. 12.

69 Arch. dép. Calvados, S 1049, Rivière d’Orne : Ponts-Bacs-Navigation.

70 Arch. dép. Calvado, S 1372, Port de Caen : Outillage-Grues.

71 Philippe DUPRÉ, Histoire Économique de la côte du Calvados…, op. cit., p. 82.

72 Ibid., p. 153.

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vendu en grande partie à la poissonnerie de Caen qui est attestée depuis l’année 183373 sous la Monarchie de Juillet par un décret pris par le maire de l’époque M. Pierre Lefebvre-Dufresne. Un règlement daté du 1er janvier 1857 fixe un certain nombre de règles pour l’approvisionnement de la poissonnerie et pour la vente du poisson.

Nous avons décrit le port de Caen, sa vie économique et son trafic vers 1850 avant l’ouverture du canal. Un port fortement dépendant de son arrière-pays agricole avec un potentiel de développement limité, en raison des difficultés de communication avec son hinterland vers les pays de Loire. Des armateurs commencent à émerger comme les sieurs Jobert et Gast ou l’armement Lamy. Un port dont le trafic est fortement déséquilibré : les entrées dépassent largement les sorties. Un port qui n’a fixé aucune grande activité indus-trielle. La principale industrie du Calvados concerne le textile. Néanmoins, deux grands pro-jets ont fortement facilité l’activité portuaire, l’ouverture du bassin Saint-Pierre en 1848, il a remplacé le port situé dans le canal du même nom dont nous avons vu une description plus haut, et l’arrivée du chemin de fer en 1855. Mais la ville a dû fortement se mobiliser pour obtenir de la Compagnie que la gare soit installée à proximité du port et non à plusieurs kilomètres du centre de la ville et donc de son port. Ce combat mené non seulement par la municipalité de Caen mais aussi par un certain nombre de citoyens est une des preuves que le port fait bien partie du « patrimoine économique » de la ville. Certains acteurs et déci-deurs de la ville ont même contribué au financement du canal : « Et comme l’argent man-que, en 1856, les membres de la Chambre de Commerce et du tribunal, les sociétés de la ligne Caen-Le Havre ainsi que plusieurs particuliers mettent la main à l’escarcelle et demandent à l’État une somme équivalant à leur mise »74. Tous les habitants de la ville sont-ils réellement attachés à leur port ? On peut en douter lorsqu’on consulte dans les archives l’affaire du négociant anglais de pierres Tuckwell évoqué plus haut. Sa demande d’instal-lation d’un embarcadère spécifique avec une grue pour son commerce de pierres de Caen provoque une très forte opposition. « Les soussignés négociants, propriétaires, industriels, et autres habitants de la ville de Caen s’empressent de venir protester contre l’autorisation demandée par le sieur Tuckwel : parce qu’un pareil établissement entraverait le chemin de

73 Arch. dép. Calvados, 615 edt 623, Règlement de police et d’administration municipale, 1870.

74 La rédaction du Chasse-marée, « Le port de Caen et ses navires, Histoire de la "Navale caennaise" », Le Chasse-marée, mai 1994, n° 80, p. 25.

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halage et la partie de la rive affectée aux 25 mètres réservés pour le service public par les Ponts et Chaussées, parce que le chenal ou lit de la rivière serait rétréci par la saillie de la machine, parce que les dépôts de pierres en deux ou trois étages que nécessiterait l’embar-cadère entraveraient le passage des piétons et voitures alors que le chemin serait occupé par les voitures approchant la pierre pour l’embarcadère, parce que si un établissement pareil était accordé à un étranger au préjudice des commerçants nationaux ces derniers réclameraient comme de juste la même autorisation qui ne pourrait leur être refusée et dès lors la rive entière deviendrait en quelque sorte la propriété exclusive de quatre à cinq commerçants, parce qu’ils ne voient pas pourquoi on s’empresserait d’obtempérer bien vite à la demande d’un étranger inconnu et lorsque le commerce de la place suffisait et suffit aux besoins de l’exportation »75. D’une manière générale peut-on dire que tous les arguments sont bons pour les opposants au projet du sieur Tuckwell ? Même les ouvriers carriers y sont

halage et la partie de la rive affectée aux 25 mètres réservés pour le service public par les Ponts et Chaussées, parce que le chenal ou lit de la rivière serait rétréci par la saillie de la machine, parce que les dépôts de pierres en deux ou trois étages que nécessiterait l’embar-cadère entraveraient le passage des piétons et voitures alors que le chemin serait occupé par les voitures approchant la pierre pour l’embarcadère, parce que si un établissement pareil était accordé à un étranger au préjudice des commerçants nationaux ces derniers réclameraient comme de juste la même autorisation qui ne pourrait leur être refusée et dès lors la rive entière deviendrait en quelque sorte la propriété exclusive de quatre à cinq commerçants, parce qu’ils ne voient pas pourquoi on s’empresserait d’obtempérer bien vite à la demande d’un étranger inconnu et lorsque le commerce de la place suffisait et suffit aux besoins de l’exportation »75. D’une manière générale peut-on dire que tous les arguments sont bons pour les opposants au projet du sieur Tuckwell ? Même les ouvriers carriers y sont

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