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II - L’ESTUAIRE DE L’ORNE ET L’HYDROGRAPHIE AU SEIN DE LA VILLE DE CAEN

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 45-56)

LE PORT DE CAEN VERS 1850

II - L’ESTUAIRE DE L’ORNE ET L’HYDROGRAPHIE AU SEIN DE LA VILLE DE CAEN

A – L’estuaire de l’Orne

L’Orne est le plus long fleuve du Calvados, il prend sa source dans la région de Sées. « Il traverse la bordure occidentale du Bassin parisien »27, arrose la plaine d’Argentan, traverse la plaine de Caen qu’il irrigue ensuite avant de se jeter dans la mer par un estuaire. Son cours, notamment entre Caen et la mer, est très sinueux d’où la volonté de créer le canal pour éviter les nombreux méandres qui perturbent depuis longtemps l’accès au port de Caen. La carte ci-dessous, datée de 1785, permet de percevoir la complexité de l’estuaire de l’Orne et de mesurer les enjeux de l’accès à la nouvelle voie d’eau destinée à rejoindre le port de Caen.

Carte 4 : L’embouchure de l’Orne en 1785 – Fonds cartographique de l’Armée de Terre, SHAT, Ministère de la Défense, cote J. 10.C.113628

27 Yves PETIT-BERGHEM, Géographie historique d’un espace côtier : l’exemple de la basse vallée de l’Orne (Basse-Normandie), CNRS Caen, p. 1 disponible sur http://mappemonde.mgm.fr/num8/articles/art05407.html, consultation du 06/01/2015.

28 Yves PETIT-BERGHEM, Géographie historique…, op. cit., p. 2, http:// mappemonde.mgm.fr/num8/articles/

art05407.html, consultation du 06/01/2015. Nous préciserons ici que cette carte avait, à l’origine, une destination militaire pour la défense du royaume contre une éventuelle tentative de débarquement de la part de l’Angleterre, c’est la raison pour laquelle elle donne l’emplacement de toutes les redoutes militaires à l’époque de sa réali-sation.

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« Le fleuve l’Orne se jette dans la Manche. Les dernières communes baignées par ce fleuve sont Ouistreham à l’ouest, et Merville à l’est, l’estuaire de l’Orne limite ces deux communes. Il a ouvert largement le littoral côtier, et formé une baie, dont les coordonnées géographiques sont approximativement 0° 15 ‘ de longitude ouest et 49° 17 ‘ de latitude nord (correspondance de Greenwich) […] C’est seulement en 1867 que commence l’étude approfondie de cette baie, par des levés topographiques exécutés deux fois l’an »29.

Les éléments qui influent sur le "fonctionnement" de la baie de l’Orne dépendent de facteurs naturels : les marées, la météorologie et les fleuves ainsi que de facteurs artificiels qui sont les conséquences des actions menées par l’homme. En outre dans le cas de l’estuai-re de l’Orne, « il y a par surcroît l’influence de la Seine »30 et de son estuaire, tout proche.

Les courants et marées modifient le débit du fleuve, en été il n’est que de 2,33 mètres cubes/seconde, en hiver il peut atteindre 98 mètres cubes/seconde. Ces éléments naturels provoquent « des modifications de profil du littoral » et peuvent apporter des alluvions – issues de « l’érosion continuelle du lit du fleuve et de ses berges […] Ces alluvions se trouvent déposées dans l’estuaire et forment des bancs »31 qui peuvent gêner la navigation et l’entrée dans l’avant-port de Ouistreham.

L’ingénieur La Londe (le premier à cartographier la baie de l’Orne en 1751) parle dès cette époque du « gros banc de Merville », des bancs « principalement composés de sables et de vases »32 qui se déplacent au gré des marées, des vents dominants de la région et des courants.

Les aménagements de l’Orne durant les siècles, notamment à compter du règne de François Ier, ont rendu indispensable une sécurisation maritime de la baie pour faciliter l’accès de l’avant-port, vital, pour le développement du trafic. Les premiers agencements ont eu pour objet de « réaliser un chenal d’accès protégé de la houle par des enrochements »33.

29 Michel MACHUREY, La zone portuaire de Caen…, op. cit., p. 3.

30 Ibid., p. 4.

31 Ibid., p. 5.

32 Ibid., p. 5.

33 Ibid., p. 7.

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Des jetées en bois sont édifiées en 1841, celle de l’ouest mesure 45 mètres et celle de l’est mesure 51,5 mètres34

À défaut de disposer d’une carte de la baie de l’Orne datant des années 1850, nous reproduisons ci-dessous une carte de mars 1878. Elle montre la complexité de la baie avec les bancs de sable qui l’encombrent.

Carte 5 : OYESTREHAM Canal-Avant-port-Chenal-Baie de l’Orne (mars 1878)35

Les deux jetées de longueur différente délimitent l’avant-port. D’autres enrochements apparaissent nous en parlons plus loin.

Les deux graphiques ci-dessous illustrent les marées et les vents qui affectent la baie.

34 Françoise DUTOUR, Isabelle DE KONINCK, Louis LE ROCH-MORGÈRE, De Caen à la mer : histoire d’un canal, [Caen], France [Archives départementales du Calvados], coll. Cahiers des Archives départementales du Calvados, 1996, p. 15.

35 MichelMACHUREY, La zone portuaire de Caen…, op. cit., n.p.

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Graphique 1 : Courbe des marées dans le port de Ouistreham36

D’après les courbes ci-dessus, « les pleines mers de vive eau ordinaire atteignent la cote (7,20) et les pleines mers de morte eau ordinaire la cote (6,00). À l’entrée de la baie, le mouvement de la marée se fait à raison de 1h50’ pour le flot ; pendant 2h30’ la mer reste sensiblement étale, puis on observe 4 heures de jusant proprement dit, et 4 heures environ pendant lesquelles la mer est à peu près complètement retirée »37.

Le régime des marées détermine les périodes où les navires peuvent le plus facilement accéder à l’avant-port en fonction de leur tirant d’eau.

La connaissance des vents dominants, illustrée par le graphique ci-dessous, complète la connaissance des influences subies par la baie de l’Orne.

36 Compte rendu som. trav. CC Caen, 1906, p. LVII.

37 Ibid., p. LVI. Toutes les cotes de nivellement placées entre parenthèses sont rapportées au zéro des cartes marines.

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Graphique 2 : Régime des vents dans l’estuaire de l’Orne38

« Les vents de la région comprise entre l’ouest et le nord sont ceux dont l’action est prédominante sur la côte. Ils soufflent environ un jour sur quatre, tandis que les vents de la région comprise entre le nord et l’est ne soufflent qu’un jour sur cinq ou six. Ces deux sortes de vents étant les seuls qui agissent sur le littoral, on voit que c’est de l’ouest que viennent les actions le plus fréquemment répétées et l’on s’explique que l’effet de ces actions, s’ajoutant à celui qui est produit par le flot, détermine un transport des sables le long de la côte dans la direction de l’est. Les courbes ci-dessus indiquent la fréquence relative des vents pour les quatre saisons »39.

Les vents dominants viennent de l’ouest, leur influence sur les bancs est complétée par les courants marins qui traversent la baie et qui « portent au sud-est » pour le courant de flot (marée montante) et « au nord-ouest »40 pour le jusant (marée descendante).

38 Ibid., p. LVIII.

39 Ibid.

40 Ibid. (Cette note concerne les deux références ci-dessus aux courants des marées).

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Cette présentation, un peu technique, donne une idée des défis imposés aux ingénieurs chargés d’assurer en permanence l’accès au futur canal. Le maître mot est certainement l’instabilité comme l’écrit l’inspecteur général des Ponts et Chaussées Charles Lenthéric :

« L’Orne débouche en mer entre les deux pointes sablonneuses du Siège et de Merville (on peut les situer sur la carte tirée de la thèse de Michel Machurey, carte 5) distantes seule-ment de près de 800 mètres l’une de l’autre. Le lit de la rivière s’élargit tout de suite en amont entre Sallenelles et Ouistreham, mais naturellement aux dépens de la profondeur. À l’aval, la baie, très largement ouverte, est limitée à l’ouest par les rochers de Lion-sur-Mer et de Langrune, à l’est par les dunes de Merville. Le courant fluvial se ramifie en chenaux très variables, et les eaux divaguent à travers des sables mobiles qui forment une série de bancs dont le relief, la forme, l’étendue changent après chaque crue de la rivière, chaque tempête de la mer, quelquefois chaque quartier. Ces perturbations incessantes transforment à cha-que instant les mouillages en écueils, et les barcha-ques peuvent cha-quelcha-quefois échouer à la place même où elles flottaient la veille. Peu de rades cependant présentent un meilleur fonds pour l’ancrage ; mais ce fonds est malheureusement d’une instabilité désespérante »41. Cette citation est un peu longue mais elle explique le mouvement des vents et des marées qui affectent la baie de l’Orne et qui la rende dangereuse en raison de sa "mouvance".

La lutte de l’homme contre l’action de la nature dans cette baie "mouvante" passe aussi par des dragages et par des vannages de chasse dans les écluses. L’ouverture des portes, lors du passage des navires, avec la poussée d’eau qui en résulte, permet une action "violente"

des eaux, susceptible de pousser les sables et vases qui envahissent les fonds du chenal. Ces sassements dans les deux sens, suivant la hauteur de la marée, comme les dragages, consti-tuent une sorte de « poumon » indispensable pour permettre au port de fonctionner et de se développer.

Par ces quelques pages, consacrées à la baie de l’Orne, nous voulons faire percevoir que le défi lancé par l’accès des navires à Caen ne s’est pas limité au creusement d’un canal sur quatorze kilomètres. C’est ce que résume l’ingénieur Tostain quand il écrit : « Il est à la connaissance de tout le monde et les ingénieurs eux-mêmes le constatent, que c’est principalement à son embouchure que la navigation de l’Orne présente des inconvénients et

41 Charles LENTHÉRIC, Côtes et ports français de la manche, Paris, Plon-Nourrit, 1903, p. 115.

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même des dangers. C’est surtout dans la baie comprise entre le Maresquier et la pointe du Siège, où il n’existe aucun moyen de halage, que les navires se trouvent arrêtés souvent plusieurs jours et qu’ils se perdent lorsqu’ils échouent dans une mauvaise position »42. Ces difficultés jointes à de « fréquents sinistres arrivés à l’entrée de l’Orne, dont les difficultés vont toujours croissant, ont éloigné de notre port les navires étrangers et notamment les bateaux à vapeur qui ont essayé d’y pénétrer pour établir des relations que notre agriculture réclamait si impatiemment; que ces sinistres ont jeté le découragement parmi nos armateurs qui, en vue du prompt achèvement du canal, ayant entrepris de construire des navires d’un tonnage considérable, ont été contraints d’opérer leur déchargement au Havre, faute de pouvoir entrer dans l’Orne sans courir de grands dangers ; que le mauvais état du canal entraine un fret plus considérable que celui d’aucun des autres ports et détourne ainsi les relations commerciales avec notre contrée »43.

Les enjeux sont posés. Le canal n’est pas seulement un problème de creusement d’une voie d’eau nouvelle, il faut que les navires puissent l’atteindre.

Un des autres facteurs qui pèsent sur le canal et son tirant d’eau est le régime hydro-graphique de l’Orne lors de sa traversée de Caen.

B – Le réseau hydrographique de la ville de Caen

Jacques Loraux dans Caen, la ville d’hier et de demain campe le contexte hydrographique de la ville : « Au confluent de l’Orne et de l’Odon, le site primitif de Caen se distinguait par son "hostilité aux établissements humains"44. La basse vallée de l’Orne n’était qu’estuaire remblayé. La rivière qui n’est plus qu’à quatorze kilomètres de son embouchure, n’avait pas une force suffisante pour refouler les alluvions que la mer lui apportait à chaque marée. Elle décrivait, sur un fonds de dépôt de quinze mètres, des méandres divagants et se divisait en plusieurs bras qui formaient entre eux des zones marécageuses, au sol inconsistant et au climat malsain.

42 Arch. dép. Calvados, S 13469, Port de Caen-Ouistreham : éléments divers de 1830 à 1930.

43 Ibid., Commentaire de l’ingénieur Tostain en 1851.

44 Jacques LORAUX, « Caen, la ville d’hier et de demain », L’Information géographique, 1946, n° 5, p. 186, disponible sous la rubrique article_ingeo_0020-0093_1946_num_10_5_5206.pdf, consultation du 14/02/2013.

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La ville commença par s’installer, sans doute au VIIIe siècle, sur le flanc gauche de la vallée, à l’emplacement actuel du château, comme le confirme le nom de Caen qui signifie en celte le bout de la roche. Puis attirée par le port, elle s’étendit rapidement dans l’ile Saint-Jean que formaient l’Orne et l’une de ses ramifications la Noë. Mais au prix de travaux considérables. Le sol était si peu résistant que l’église Saint-Jean en cours de construction s’affaissa et qu’elle ne fut jamais terminée. Il fallut édifier les fondations des maisons sur des sortes de pilotis. Pour assainir, on creusa des canaux de drainage qui, joints à l’Orne, la Noë et l’Odon, transformèrent la ville en une Venise du Nord. C’est cette topographie particulière qui expliquait les maisons esclaves les unes des autres.

Aujourd’hui l’obstacle des marécages n’existe plus. Les travaux poursuivis pendant des siècles en ont eu raison. L’Odon lui a été canalisé en égout. Et la vallée évasée de l’Orne présente un excellent site urbain »45.

Malgré la longueur de cette citation, il nous a paru opportun de la reproduire intégra-lement, elle constitue un excellent résumé du contexte hydrographique de Caen avec son évolution au cours des siècles.

Ce réseau compliqué, qui irrigue la ville, provoque régulièrement des inondations lors de la fonte des neiges, à la fin de l’hiver, à l’occasion de tempêtes qui accompagnent souvent les marées à fort coefficient ou encore lors des pluies d’automne, comme en octobre 1852 où d’importants débordements ont lieu et occasionnent des dégâts.

Avant d’entrer dans Caen l’Orne traverse des terrains imperméables. En cas de fortes pluies les eaux venant des collines et vallées se déversent dans le lit de la rivière et peuvent en faire « un véritable torrent »46.

Lorsque l’Orne atteint la ville, « son cours se divise en deux bras principaux sous les hauteurs de Vaucelles. Sur la rive gauche, l’Orne reçoit l’Odon qui forme un système hydro-graphique très divisé :

Le Grand Odon se jette dans l’Orne à la sortie de la ville. Le bassin Saint-Pierre a été creusé dans le cours de l’Odon. La rivière traverse la ville parallèlement à la rue Saint-Pierre.

45 Ibid.

46 Abbé GABRIEL, La prévision des crues de l’Orne, imprimerie caennaise, Caen, 1926, p. 2, Arch. mun. Caen, carton n° 3, Port-Canal-Orne-Odons.

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Le Petit Odon a un cours situé plus au nord de la ville, il rejoint l’Odon à hauteur de l’église Saint-Pierre.

Dans la Prairie de l’Abbé, les deux rivières se divisent en de multiples bras : les Noës (la Noë l’Évêque et la grande Noë). Par suite de l’inclinaison de la Prairie vers l’Orne, les différents bras rejoignent l’Orne en amont de la ville.

Entre les cours de l’Odon et de l’Orne, le canal Robert permet de détourner une partie des eaux vers l’Orne. Au Moyen Âge, il permettait la navigation jusqu’à proximité de l’abbaye aux Hommes »47.

Les deux plans présentés ci-dessous, datés de 1649 et de 1705, indiquent les principaux cours d’eau cités plus haut.

47 Françoise DUTOUR, Les inondations à Caen en 1926, Caen, Direction départementale de l’Équipement, Calvados, service de l’Aménagement et de l’Urbanisme, Caen, 1997, p. 13.

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Plan 4 : Réseau hydrographique et fortifications de Caen vers 164948

Les chiffres sur le plan permettent de situer les principaux monuments de la ville ainsi que les cours d’eau que nous citons plus haut.

48 Françoise DUTOUR, Isabelle de KONINCK, Louis le ROC’H MORGÈRE, De Caen à la mer…, op. cit., p. 5.

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Afin de mieux positionner dans la ville une partie des voies d’eau indiquées sur le plan n° 4, nous reproduisons ci-dessous un plan de Caen datant de 1705.

Plan 5 : Caen vers 170549

Au travers de cette figure, on comprend que les principaux cours d’eau : l’Orne, le Petit Odon et le Grand Odon (qui se jettent dans l’Orne à la sortie de Caen) ont façonné le plan de Caen dans les siècles passés. La Prairie prise entre différents bras de l’Orne – la grande Noë et la Noë l’Évêque – est souvent inondée. Dès le Moyen Âge le creusement du canal Robert relie le Petit Odon et les Noës à l’Orne.

Le trait de couleur marron qui coupe un des bras de l’Orne, à côté des "Prairies de Caen"

est la "chaussée ferrée" construite probablement à la même époque que le canal Robert, comme l’écrit l’abbé de La Rue50.

49 Nicolas de FER, Plan de la ville et du château de Caen en Normandie, 1705, disponible sur http://commons.

wikimedia.org/wiki/File:Caen_Plan1705.jpg, consultation du 27/03/2015, René HERVAL, Biographie d’une cité CAEN, Rouen, Éditions Maugard, 1944, p. 44-45.

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Avec le temps, le canal Robert, creusé dès le XIe siècle, est devenu une sorte d’égout à ciel ouvert porteur de nombreux problèmes de salubrité pour Caen.

Ce réseau hydrographique complexe vient « compléter » le défi lancé aux ingénieurs avec le creusement du canal de Caen à la mer. Les choix concernant le niveau d’eau doivent être pris à l’aune des risques concernant la ville et ses habitants en cas d’inondation ou de débordement.

Par ces chapitres consacrés, à la baie de l’Orne et à ses risques, ainsi qu’au réseau hydro-graphique de Caen, nous avons voulu montrer le contexte géohydro-graphique du projet de creusement du canal.

La dernière dimension de ce contexte du port est sa place dans l’économie de Caen et sa perception par les caennais vers 1850.

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