• Aucun résultat trouvé

1.1 « A Democrat Shot J.R »

4. How I Met Your Mother ou la sitcom codifiée

Un bel exemple de série qui n’est pas basée sur le mode du feuilleton se retrouve dans les sitcoms, une contraction de l’appellation « situation comedy ». La dynamique de celles-ci consiste à « faire naître le comique à partir d’une situation unique qui constitue le fondement diégétique et narratif de chaque épisode, et faire varier cette situation (parfois très légèrement) d’un épisode à l’autre » (Benassi 2000, p. 92). Les sitcoms se rapprochent souvent de la forme des films de groupe, un genre limitrophe au film choral étudié au chapitre 1.

La sitcom How I Met Your Mother (HIMYM), diffusée sur CBS de 2005 à 2014 a connu un grand succès dès sa première saison. D’une certaine façon, elle prenait le relais de la très populaire sitcom Friends, où un groupe de 6 amis vit des aventures à New York. HIMYM présente cinq personnages principaux : Ted, Marshall, Robin, Barney et Lily. On y retrouve la forme traditionnelle de la sitcom : une situation se présente en début d’épisode et les personnages réagissent à celle-ci. Même si les personnages sont sur un pied d’égalité, le personnage de Ted est légèrement plus saillant, car toute la série part de son point de vue de père, en 2030, qui raconte à ses enfants comment il a rencontré leur mère. Il est le narrateur et les images que l’on voit sont la plupart du temps des flashbacks. L’épisode que nous avons sélectionné s’intitule Slap Bet (S02E09). Celui-ci tourne autour de la mystérieuse peur de Robin de se rendre au centre commercial. Devant son refus d’expliquer cette crainte apparemment irrationnelle, ses quatre amis émettent alors diverses hypothèses. Barney croit qu’elle a déjà été actrice dans un film pornographique au Canada et Marshall croit plutôt qu’elle s’est mariée dans un centre commercial. Les deux amis en viennent à parier que celui qui aura raison pourra gifler l’autre. Finalement, on apprend que Robin était une vedette pop et qu’elle chantait dans les centres commerciaux alors qu’elle était adolescente.

HIMYM est une série singulière, car elle nous permet d’aborder le format de la sitcom,

qui se rapproche grandement du film de groupe, tout en proposant un mode narratif séduisant. Une fois de plus, nous avons fait le relevé des personnages et des scènes de cet épisode en particulier.

Tableau III. Répertoire des scènes dans l’épisode Slap Bet

Le contraste avec une série comme Six Feet Under est saisissant. Il l’est d’autant plus lorsqu’on la compare avec une série comportant un plus grand nombre de personnages, notamment Twin Peaks (ABC (1990-1991) et Showtime (2017)) ou Game of Thrones (HBO, 2011-présent) comme nous le verrons. L’épisode Slap Bet débute avec tous les protagonistes, au pub, où ils découvrent la peur de Robin d’aller au centre commercial. Tout l’épisode consiste alors à développer cette situation, alors que les spéculations autour des raisons de cette peur progressent dans toutes les directions. Noah Charney, un scénariste pour la télévision, a relevé une formule qui revient dans pratiquement toutes les sitcoms, et HIMYM n’y fait pas exception : « Each episode begins with the protagonist stating a goal or problem that must be solved, and which we understand will be solved by the end of the episode. If the problem is solved too quickly, then the episode won’t stretch out to 22 minutes, so the first attempt at reaching the goal or solving the problem must fail (“the muddle”), requiring a new approach, before the episode ends and the protagonist either does, or does not, achieve what they set out to do » (2014).

Si le montage alterné est également présent dans la série, l’indépendance des trames narratives n’est certainement pas autant soutenue que dans une série chorale. On y déploie une communauté, ici composée d’un groupe d’amis, et nombreuses sont les scènes où pratiquement tous les personnages partagent le même lieu, propice aux rencontres et aux discussions. D’ailleurs, les lieux sont en général plutôt limités et facilement identifiables. Le tableau montre également la prédominance de Ted dû à son statut de narrateur. Après avoir rencontré quelques embûches, à la fin de l’épisode, tous les protagonistes ont la réponse à la problématique annoncée au début et l’équilibre est rétabli. Quelques exceptions peuvent être notées, notamment lorsque les créateurs jugent qu’une problématique requiert plus d’un épisode pour être développée, auquel cas l’indication « à suivre » peut apparaître à la fin de l’épisode13.

À l’opposé, dans une série feuilletonnante, le téléspectateur n’a pas besoin de ces indications puisque le prolongement des arcs narratifs au-delà d’un seul épisode est monnaie courante. Rappelons que le format de la sitcom diffère largement des séries télévisées étudiées dans ce chapitre. En effet, sans les pauses publicitaires, les sitcom durent en moyenne 22 minutes. C’est d’ailleurs l’un des éléments que souligne Pierre Barrette, en affirmant que celles-ci « constituent de notre point de vue un genre à part entière et différent de la série, largement dérivé du théâtre comique (notamment le vaudeville et le burlesque), ce qu'atteste son format reconnaissable entre tous (durée de 22 à 24 minutes, tournage en studio à trois caméras, unité dramatique de chacun des épisodes, sans oublier les fameux rires en boîte qui

13 On peut notamment songer à l’épisode « Who Shot Mr. Burns » dans les Simpsons (Fox, 1989-présent), où la

résolution est retardée d’un épisode, reprenant alors le procédé du cliffhanger. Dans HIMYM, on peut songer aux épisodes « The Final Page », partie 1 et 2, de la saison 8, ou encore aux épisodes « The Magician Code », partie 1 et 2 de la saison 7.

miment la présence du public) » (2008, p. 8). Il faut donc rapidement résoudre une situation donnée, ce qui explique le moins grand nombre de scènes et le regroupement des personnages dans les mêmes lieux pour faciliter les échanges.

L’épisode Slap Bet est plutôt singulier, car outre la structure classique de la sitcom, le téléspectateur est initié au rituel éponyme du « slap bet ». Pour avoir prématurément giflé Marshall, Barney écopera, à son choix, de dix gifles de la part de Marshall sur-le-champ, ou de cinq pouvant être distribuées n’importe quand. Barney choisit la deuxième option, ce qui crée alors une conséquence qui s’inscrit exceptionnellement dans un temps long. Ponctuellement, dans les différentes saisons, Marshall utilisera ce « pouvoir » en giflant Barney, ce que les fans pourront alors saisir. François Jost soulève d’ailleurs certains éléments pertinents concernant la porosité des formes télévisuelles :

Il y a une dizaine d’années, il existait encore une différence radicale entre les séries et les feuilletons : les premières mettaient en scène des récits clos, dont les personnages récurrents ne gardaient pas la mémoire, tandis que les secondes poursuivaient un récit d’épisode en épisode. Aujourd’hui, beaucoup de séries sont feuilletonnantes : même quand l’intrigue est bouclée, non seulement les personnages évoluent, mais les acteurs vieillissent. Conjugées à la succession des saisons qui accompagne toute série à succès, ces marques du temps qui passe nous renvoient comme un miroir l’image de notre propre vieillissement (2011, p. 14)

How I Met Your Mother est une sitcom plutôt particulière étant donné qu’il s’agit d’un

flashback continuel. Les jeux temporels et les renvois à d’autres saisons sont alors communs, puisque Ted, le narrateur, peut à sa guise effectuer des aller-retours à partir du moment où il raconte son histoire, en 2030. De nombreux fans ont d’ailleurs recensé, sur certains sites, la

continuité de plusieurs éléments14. Ainsi, la dernière gifle ne sera donnée que lors de la dernière saison de la série, soit à l’épisode 22 de la saison 9. Il aura fallu attendre sept saisons avant d’avoir la conclusion de ce « suspense continu ».

Figure 11. HIMYM et la dynamique de groupe

Malgré ces exceptions, HIMYM n’est pas une série feuilletonnante. Pour Stéphane Benassi, ce type de série possède un caractère rassurant : « La série, outre son schéma narratif, a ceci de rassurant qu'elle permet au téléspectateur de retrouver un nombre réduit de personnages qui, au fil des numéros, lui sont de plus en plus familiers. Les héros récurrents des séries sont définis dès le premier épisode et les principales composantes de leurs personnalités semblent immuables de numéro en numéro ce qui induit chez le téléspectateur le

14 Pensons entre autres à How I Met Your Mother Wiki (http://how-i-met-your-mother.wikia.com

plaisir de la reconnaissance du héros » (2000, p. 111). L’un des plaisirs de la sitcom consiste donc, pour le spectateur, à s’immiscer dans une communauté amicale ou familiale. On s’attend à ce que les personnages soient fidèles à la personnalité à laquelle ils nous ont habitué au fil du temps, et leurs paroles et leurs gestes doivent être conséquents. Un jeu de référence entre les personnages et le public se met en place et ce type de série télévisée n’est pas aussi fermé qu’on pourrait le croire. Pierre Barrette rappelle à cet effet que « la tendance veut qu'un certain degré de mise en feuilleton affecte désormais la très grande majorité des séries dramatiques (et même, dans une mesure moindre, des sitcoms) » (2008, p. 8). Nous avons cependant voulu nous y attarder un instant afin de comprendre la dynamique à l’œuvre dans les sitcoms, qui se rapproche de celle des films de groupe. Remontons à présent quelques années en arrière afin d’aborder une série pionnière, qui mélange les genres et les structures : Twin Peaks. S’y intéresser permettra de révéler en quoi cette série du début des années 1990 a joué un rôle important en regard de complexification des récits télévisuels et la modification des habitudes de visionnement du spectateur.