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Manifestations hypertextuelles et interactives

1. Base de données et théorie générale du réseau

L’aube des années 1990 est intrinsèquement liée à l’essor d’Internet, qui se répand progressivement, devenant peu à peu un acteur incontournable. Sa structure, fondée sur le principe du réseau, constitue une base de données. Nous soutenons qu’il est également possible de conceptualiser le film choral sous l’angle de la théorie de la base de données. Selon Lev Manovich, dans Database as a Genre of New Media, pris dans son ensemble, le Web est une immense base de données : « In computer science database is defined as a structured collection of data. The data stored in a database is organized for fast search and retrieval by a computer and therefore it is anything but a simple collection of items. Different types of databases - hierarchical, network, relational and object-oriented - use different models to organize data » (2000, p. 176).

En règle générale, Manovich précise que cette base de données, lorsque considérée globalement, résiste à la narrativité :

The open nature of the Web as medium (Web pages are computer files which can always be edited) means that the Web sites never have to be complete; and they rarely are. The sites always grow. New links are being added to what is already there. It is as easy to add new elements to the end of list as it is to insert them anywhere in it. All this further contributes to the anti-narrative logic of the Web. If new elements are being added over time, the result is a collection, not a story. Indeed, how can one keep a coherent narrative or any other development trajectory through the material if it keeps changing? (2000, p. 178).

Cela dit, si la base de données relève davantage de la collection que de la fabula, elle n’est pas aussi résistante à la narrativité qu’on pourrait le croire. Manovich suggère d’ailleurs l’idée qu’il était naturel de développer une forme de narrativité, ou à tout le moins une certaine

poétique à partir de cet outil : « Indeed, if after the death of God (Nietzche), the end of grand Narratives of Enlightenment (Lyotard) and the arrival of the Web (Tim Berners-Lee) the world appears to us as an endless and unstructured collection of images, texts, and other data records, it is only appropriate that we will be moved to model it as a database. But it is also appropriate that we would want to develops poetics, aesthetics, and ethics of this database » (2000, p. 177).

Notre conception du film choral s’inscrit en partie dans cette pensée, qui utilise la base de données comme terreau fertile permettant de déployer de nombreuses possibilités narratives. En empruntant la voie de l’hypertextualité pour naviguer à l’intérieur de ces bases de données, l’utilisateur explore un réseau qui, parfois, peut paraître s’étendre sans fin en défiant toute forme de téléologie. Même si on pourrait croire que les termes « hypertexte » et « hyperlien » font désormais partie du lexique courant tant Internet s’est intégré au quotidien d’une grande part de la population, en pratique ce n’est pas toujours le cas. Plus justement, nous pourrions dire que la plupart des gens sont familiers avec les mécanismes qui régissent Internet, même s’ils n’en connaissent pas la terminologie exacte.

Pour George Landow, qui s’est spécialisé dans l’étude de cette notion, l’hypertexte se définit plutôt simplement : « Hypertext […] denotes text composed of blocks of text – what Barthes terms a lexia – and the electronic links1 that join them » (2006, p. 3). Ce terme, employé pour la première fois en 1964 par Theodor Nelson, est repris par Katherine Hayles, qui propose qu’au minimum, un hypertexte doit posséder trois éléments : « multiple reading

1 Espen Aarseth propose un terme pertinent et qui dépasse le domaine informatique : la topologie textuelle,

représentant l’étude « des diverses façons dont les différentes parties d’un texte sont connectées, indépendamment des propriétés de son support » (Clément 1994).

paths; text that is chunked in some way; and some kind of linking mechanism that connects the chunks together so as to create the multiple reading paths » (2001, p. 21). Effectuant un tour d’horizon théorique de l’hypertextualité, George Landow souligne cette fois-ci certains mots-clés qui s’avèrent fort révélateurs et que nous réutiliserons fréquemment dans cette thèse : « Barthes and other critics employ the terms link, network, web and path. More than almost any other contemporary theorist, Derrida uses the terms link, web, network, matrix and

interweaving associated with hypertextuality » (2006, p. 63). Ainsi, il parait évident que ce qui

prédomine, lorsqu’on aborde la question de l’hypertexte, demeure l’idée de lien, ou encore de réseau de fragments.

À l’instar de Darin Barney, les théoriciens s’entendent généralement pour dire qu’un réseau est minimalement composé de trois éléments : « […] nodes, ties and flows. A node is a distinct point connected to at least one other point […]. A tie connects one node to another. Flows are what pass between and through nodes along ties » (Barney 2004, p. 26). Bien entendu, là ne s’arrêtent pas les limites de cette définition. Chaque aspect, chaque composante du réseau possède quantité de variables et de qualificatifs. Les nœuds, par exemple, peuvent être puissants ou faibles, stationnaires ou mobiles, permanents ou temporaires. De leur côté, les liens entre ces nœuds peuvent être incarnés par de la correspondance, des conversations ou des contrats, par exemple. Ceux-ci sont alors qualifiés de forts ou faibles, privés ou publics, uniques ou multiples. Finalement, venant qualifier ces liens, les flux peuvent être incarnés par des éléments aussi variés que des sentiments, des données ou de l’argent. Ces flux sont alors qualifiés, selon le cas, de constants ou d’intermittents, d’unidirectionnels ou de multidirectionnels. Il ne s’agit là que de quelques exemples qui démontrent la grande souplesse du concept de réseau, qui peut être appliqué à de nombreux champs d’étude et qui

peut expliquer quantité de réalités. Celles-ci peuvent donc inclure des interactions sociales – étudiées par Erwin Goffman notamment – ou des relations économiques entre différentes entreprises internationales. Chaque variable affecte le réseau global, qui sera alors affublé de différents qualificatifs2 selon la nature de l’ensemble des qualificatifs de ses composantes.