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Le film choral, entre évolution et tradition

1. Définitions et genres limitrophes

1.2. Deux genres limitrophes : le film à sketches et le film de groupe

D’autres types de film présentent, à leur manière, de multiples protagonistes qui illustrent la diversité ou l’unité d’une communauté. D’abord, le film à sketches, selon Vincent Pinel, est apparu avec les débuts du cinéma parlant et rassemble

[…] autour d’un thème commun plusieurs courtes fictions qui se concluent généralement par un trait d’esprit ou un rebondissement inattendu. Bien qu’isolables, ces fictions participent à l’ensemble d’une construction préméditée et relèvent d’une stratégie de production. Il convient de distinguer le film à sketches d’autres structures éclatées qui juxtaposent des séquences liées par la force du commentaire [...], par la dynamique du scénario [...] ou encore par la seule force du thème [...]. La distinction est plus délicate entre le film à sketches et le film à plusieurs volets composés d’épisodes (Paisa de Roberto Rossellini), de nouvelles (Le Plaisir de Max Ophuls) ou de contes (Kaos de Paolo et Vittorio Taviani) (2006, p. 204).

Les films à sketches sont des courts-métrages, souvent sur un même thème et mis bout à bout. Ceux-ci sont généralement réalisés par plusieurs réalisateurs provenant de divers horizons. Pensons à Paris, je t’aime (2006), New York Stories (1989), Montréal vu par… (1991), New York, I Love You (2009) ou encore Chacun son cinéma ou Ce petit coup au cœur

quand la lumière s'éteint et que le film commence (2007), qui regroupe 35 réalisateurs

différent. La tendance du film à sketches est donc clairement à l’hétérogénéité des parties, où l’autonomie quasi totale de chacun des éléments est essentielle. Au sein d’un film choral, cette autonomie est davantage modérée. Enfin, le film à sketches réunit une série de différents épisodes, dont leur agencement a été étudié par David Scott Diffrient :

An episode is […] an individual, coherent story or narrative event in itself. […] These narratological attributes, which fall under the general heading of seriality, are indelibly stamped on all films variously called anthology, omnibus, portmanteau, and sketch films. […] the term “episodic” refers to any text composed of a series of separate, loosely connected (or unconnected) stories following one after the other […]. [These films] differ significantly from chronologically scrambled, spatially fragmented, often non-linear ensemble films employing what might be called a “braided” storytelling structure, in which multiple plotlines dovetail and diverge (2005, p. 3).

À l’inverse, Short Cuts (1993) de Robert Altman parvient à tisser des liens entre les histoires des 22 personnages du film. Les différentes histoires s’entremêlent tels des chassés croisés et chaque rencontre provoque des conséquences imprévisibles. Avec autant de protagonistes, il est naturel qu’ils ne se croisent pas tous, mais Altman invente des prétextes aux rencontres. C’est ainsi qu’un pâtissier (Lyle Lovett) tourmente les Finnigan (Andie MacDowell et Bruce Davison) alors que leur fils a été percuté par la voiture de Doreen (Lily Tomlin). Stuart (Fred Ward) et Claire (Anne Archer) se font inviter à souper chez un couple qu’ils ont rencontré lors d’un concert (Matthew Modine et Julianne Moore). Auparavant, Stuart se rend à un voyage de pêche avec deux amis et ils trouvent le corps inerte d’une femme dans la rivière. Il ne s’agit là que de quelques-unes des histoires qui peuplent le film d’Altman. Plus celui-ci progresse, plus les liens se découvrent.

La tendance vise davantage l’homogénéité, sans toutefois délaisser l’hétérogénéité. Un équilibre entre les deux doit exister comme nous l’avons vu. Dans Short Cuts, le passage d’une trame narrative à une autre se fait de façon judicieuse : « il arrive que cela se produise par glissements, à la faveur d’une rencontre de hasard […] ; il peut s’agir d’un authentique montage parallèle, où deux actions séparées sont liées par un enjeu commun ; mais le lien peut aussi se faire par un jeu d’échos plus ou moins subtils, liés à des motifs communs, thématiques

(l’adultère, le malaise conjugal, la jalousie, la violence sexuelle…), ou isotopiques (le motif récurrent de l’eau…), la mise en rapport s’effectuer par le truchement d’une voix (télévision, chanson, téléphone) » (Fabre et Chauvin 1999, p. 108-109).

Aux antipodes du film à sketches se retrouve le film de groupe. Si le premier fait primer l’hétérogénéité des parties, le second prône l’homogénéité de l’ensemble. Le film de groupe7 met immanquablement de l’avant l’idée de communauté. Mentionnons Murder By

Death (1976) de Robert Moore, The Breakfast Club (1985) de John Hugues, The Big Chill

(1983) de Lawrence Kasdan, Ocean’s 11 (2001) de Steven Soderbergh, 8 Femmes (2002) de François Ozon, Steel Magnolias (1989) de Herbert Ross ou encore Little Miss Sunshine (2006) de Jonathan Dayton et Valerie Farris.

D’après Margrit Tröhler, les films de groupe « comportent un ensemble de personnages

différenciés mais réunis pas un lien social dans un groupe (famille, cercle d’amis/ies, bande de

jeunes). Ils dessinent les positions, les tensions et les émotions à l’intérieur de ce groupe souvent caractérisé par un lieu central de rencontre » (2000, p. 85-86). Généralement, les personnages évoluent dans la même intrigue centrale et forment un noyau très homogène. Evan Smith se demande si les films chorals, ou ce qu’il appelle la « thread structure », n’est pas simplement une nouvelle façon de présenter des films de groupe (ensemble films), dont la formule existe depuis bien longtemps : « However, unlike thread structure, ensemble films

7 « Une astuce pour reconnaître un film de groupe d’un film choral consiste à lire le résumé présent sur la jaquette

du film, ou encore à tenter d’en faire un synopsis court. Généralement, la formulation permet de départager les deux. Devant un film de groupe, il est souvent aisé d’employer des formules telles « un groupe d’amis » et « une famille élargie » par exemple, et de raconter l’histoire dans laquelle ce groupe évolue. Or, devant un film choral, une multiplicité d’histoires et de protagonistes d’importance relativement égale rend la synthèse plus ardue » (Labrecque 2017, p. 58).

feature only one main story, a single dramatic journey. True, the journey is shared by multiple characters, but all of their individual goals feed into and are dependent upon one group experience. And this experience proceeds in conventional linear fashion » (1999, p. 90). Ainsi, il s’agit bien de deux types de films qui, même s’ils sont de proches parents, demeurent distincts. Dans un film de groupe, l’accent est mis sur le groupe en tant qu’unité. Cette unité – bien que composé d’éléments hétéroclites – s’articule autour d’une histoire centrale qui gouverne les actions des protagonistes.

En somme, si les différents fils narratifs ne sont pas assez soutenus et autonomes, qu’une idée de communauté ressort davantage et que les personnages forment un groupe uni, il s’agit d’un film de groupe. À l’opposé, si les histoires sont autonomes au point de former plusieurs films indépendants et successifs au sein d’une œuvre, il s’agit d’un film à sketches. Au centre, le film choral demeure celui qui illustre le mieux la notion de réseau. Il n’y a pas qu’un seul modèle de film choral, ce qui explique les nombreuses tendances à l’unité ou au fragment au sein même de la définition. Mais même si le film choral peut tendre vers le film de groupe ou le film à sketches, une tension entre l’hétérogénéité des parties et l’homogénéité du tout doit absolument demeurer. Pour faire partie de l’horizon d’attente des spectateurs et pour être accepté comme forme narrative complexe et plurinarrative, il a fallu une lente évolution que nous tâcherons à présent de retracer.