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Hypothèses sur les raisons du manque d’efficacité des immunothérapies anti-Aβ

Partie 2 : les immunothérapies en développement clinique dans la MA

F. Hypothèses sur les raisons du manque d’efficacité des immunothérapies anti-Aβ

ou inhiber la formation d’agrégats Aβ ont échoué à montrer une amélioration des fonctions cognitives durant les essais cliniques, malgré une réduction de la concentration en peptides Aβ dans le cerveau. Les immunothérapies anti-Aβ en font partie.

Bien que ce manque d’efficacité puisse s’expliquer par des limites attribuables aux propriétés des immunothérapies et à nos connaissances actuelles de la MA (voir partie 2, section IV.), le choix de la cible pourrait également être en cause dans l’échec des immunothérapies anti-Aβ visant à lutter contre la MA.

Deux questions se posent pour déterminer si la thérapie anti-amyloïde a une chance de fonctionner ou pas :

- Les molécules développées ciblent-elles la bonne espèce/conformation du peptide Aβ ? (voir partie 2, section II. F. 1.)

- Cibler le peptide Aβ peut-il modifier la progression de la pathologie ? (voir partie 2, section II. F. 2.).

1. Manque de sélectivité pour l’espèce la plus toxique du peptide Aβ a. Cibler les plaques amyloïdes : une stratégie inefficace ?

Pendant de nombreuses années, la recherche dans le champ de la MA s’est majoritairement concentrée sur les plaques séniles, qui sont des marqueurs caractéristiques de la MA, et les immunothérapies n’ont pas échappé à cette stratégie.

Le choix de cette cible s’explique par la première version de l’hypothèse de la cascade amyloïde, qui s’appuie sur le fait que le peptide Aβ est libéré dans l’espace extracellulaire, où il s’agrège en plaques séniles, conduisant à la formation d’enchevêtrements neurofibrillaires

de protéines tau, à l’origine de dommages vasculaires, de pertes cellulaires et d’une démence [108].

Cependant, les chercheurs étaient interpelés par le manque de corrélation entre les plaques amyloïdes et la manifestation de la maladie. En effet, certains individus présentaient des plaques amyloïdes tout en étant cognitivement normaux. A l’inverse, sur des modèles de souris MA, la mort neuronale survenait dans des régions du cerveau dénuées de plaques amyloïdes [205] - [206].

En clinique, les biomarqueurs utilisés dans les études sur les Acm (bapineuzumab, solanezumab et gantenerumab) ont révélé une réduction du fardeau amyloïde, qui ne s’est pourtant pas traduit par un ralentissement de la progression de la maladie en clinique.

b. Des plaques séniles à l’oligomère Aβ

Chez certains individus atteints d’une forme familiale Osaka de la MA (mutation APP E693Δ), le niveau de plaques séniles était très faible, malgré la présence de troubles cognitifs très sévères. La concentration en oligomères Aβ dans le LCS était quant à elle élevée [207] - [208]. Chez les souris transgéniques porteuses du même type de mutation [209] - [210], des oligomères Aβ étaient observés, mais pas les plaques séniles. La présence d’oligomères est donc nécessaire et suffisante – au moins en comparaison à celle des plaques amyloïdes – pour déclencher une démence.

Des preuves directes de cette nécessité proviennent des expériences utilisant des anticorps sélectifs des oligomères Aβ. Lorsqu’ils sont administrés à des modèles de souris MA, ils empêchent le développement d’une pathologie similaire à la MA et permettent la conservation de leur mémoire [211] - [214]

En plus de leur présence dans le cerveau, les oligomères Aβ montrent une évolution MA-dépendante dans le LCS humain : leur concentration serait 30 fois plus élevée que chez les patients non-déments [215].

Ces résultats laissent donc penser que les gros agrégats comme les plaques amyloïdes (mesurant entre 30 et 100 µm) ne seraient pas responsables de la neurodégénération. Ils suggèrent que ce sont les oligomères solubles, plus petits (entre 3 et 10 nm), qui seraient les espèces toxiques du peptide Aβ.

Ainsi, bien qu’historiquement la MA ait été définie comme une démence avec des plaques et des enchevêtrements, remplacer les plaques par les oligomères Aβ dans cette définition semblerait plus proche du mécanisme pathogénique.

c. Toxicité et propagation de l’oligomère Aβ

Ces dernières années, les effets neurotoxiques des oligomères Aβ ont fait l’objet de nombreuses études sur les tissus cérébraux, les cultures cellulaires et les modèles transgéniques animaux [216].

Lorsqu’ils sont présents à des concentrations anormalement élevées dans le cerveau, les oligomères Aβ solubles perturberaient la plasticité synaptique (par plusieurs effets toxiques comme l’inhibition de la potentialisation à long terme des synapses [217], l’induction d’aberrations dans la composition, la forme et la densité synaptique [218], ainsi qu’un trouble de la signalisation synaptique [217]). Cette synaptotoxicité serait responsable de la perte de la mémoire observée au début de la MA.

Ces oligomères seraient également responsables de la dégénération et de la mort des neurones, à l’origine de la démence aux stades les plus avancés [219].

Les oligomères Aβ déclencheraient également la tauopathie (terme désignant une affection dans laquelle la protéine tau s’accumule), un stress oxydatif ou encore des troubles cholinergiques.

Enfin, les oligomères Aβ initieraient la réponse microgliale et astrocytaire qui conduit à la neuroinflammation observée dans la MA.

Les oligomères toxiques solubles sont à distinguer des monomères ou de plus gros agrégats, comme les fibrilles insolubles, qui composent les plaques amyloïdes [220].

Il existe des oligomères Aβ de différentes tailles : des oligomères de petite taille (dimères, trimères), de taille moyenne (9mers, 12mers, Aβ*52…) et de grande taille (protofibrilles). On ignore encore si tous les oligomères sont dotés de la même pathogénicité ou si cette dernière varie en fonction des espèces oligomériques dans la MA [221].

Ces oligomères se propagent selon un mode trans-synaptique de type prion. Chaque type d’oligomère a un taux de propagation différent. Ces oligomères ne sont pas nécessairement en corrélation avec les plaques séniles en termes d’apparition et d’évolution temporelles et spatiales. En revanche, ils sont corrélés à l’apparition de la tauopathie et ils prédiraient de manière plus pertinente la présence de démence que les plaques [222].

A l’heure actuelle, la structure – et notamment la taille - la plus toxique de l’oligomère Aβ n’a pas encore été précisément identifiée. Sans cette connaissance, il est impossible de savoir si les thérapies qui ciblent le peptide Aβ s’engagent avec la bonne cible et dans des quantités suffisantes. Le manque de sélectivité des immunothérapies pour les espèces les plus toxiques du peptide Aβ pourrait donc expliquer l’inefficacité des thérapies anti-amyloïdes constatée en clinique.

d. Les effets du manque de sélectivité des immunothérapies dans la MA 1) Saturation des anticorps monoclonaux par les monomères Aβ

Les premiers anticorps monoclonaux ayant atteint le stade clinique diffèrent par le domaine de liaison ciblé par l’anticorps (N-, central et C-terminal) : ils se lient donc de manière non sélective aux différentes conformations et tailles de peptide Aβ.

C’est par exemple le cas du bapineuzumab, de l’AAB-003, du crenezumab et du ponezumab, qui se lient à toutes les espèces Aβ sans affinité préférentielle, ainsi que du solanezumab, qui ne reconnaît que les formes solubles d’Aβ et se lie préférentiellement aux monomères. Or, les monomères sont la forme prévalente du peptide Aβ. Il est donc probable que les anticorps administrés soient saturés par les monomères Aβ sans possibilité de liaison avec les oligomères Aβ s’ils ne sont pas administrés en dose suffisante. La saturation des anticorps par les espèces Aβ peu ou pas toxiques pourrait donc être à l’origine du manque d’efficacité de ces immunothérapies chez les patients atteints de MA légère à modérée [191], [220].

2) Augmentation de l’oligomérisation après liaison des anticorps aux fibrilles De plus, bien que certains anticorps aient une affinité préférentielle pour les oligomères Aβ solubles, la plupart se lie également aux fibrilles insolubles Aβ qui constituent les plaques amyloïdes. Or, la solubilisation des fibrilles par l’immunothérapie pourrait produire des oligomères. L’aducanumab, qui est dans ce cas de figure puisqu’il se lie aux agrégats Aβ solubles et aux fibrilles insolubles, a présenté des résultats préliminaires d’efficacité peu satisfaisants en phase III, conduisant Biogen à interrompre tous les essais cliniques en cours sur les patients atteints de MA légère à modérée [223].

e. Nécessité de développer des anticorps sélectifs de l’espèce Aβ la plus toxique Le seul anticorps encore en développement qui a présenté des signes d’efficacité clinique est le BAN2401, qui se lie sélectivement aux protofibrilles Aβ. Des études supplémentaires en phase III sont nécessaires pour déterminer l’efficacité réelle de cet anticorps monoclonal.

Acumen, en partenariat avec Merck, est en train de développer un anticorps, l’ACU193, qui est unique pour sa sélectivité envers les oligomères Aβ. L’ACU193 a une sélectivité 500 fois plus élevée pour les oligomères Aβ que pour les fibrilles et 2500 fois plus élevée que pour les monomères [224].

Le succès de ces deux anticorps dans les essais cliniques fournirait une preuve du rôle toxique primaire des oligomères Aβ dans l’initiation de la pathogénèse de la MA et confirmerait la nécessité de développer des anticorps plus sélectifs des oligomères Aβ. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer précisément la ou les espèces les plus toxiques d’Aβ afin de pouvoir développer des anticorps sélectifs de ces espèces.

2. Cibler le peptide Aβ pour ralentir la MA : un objectif vain ?

Les multiples échecs des molécules anti-Aβ ont fait émerger une autre hypothèse : l’accumulation du peptide Aβ pourrait être secondaire à un événement déclencheur de la MA. L’augmentation de la charge amyloïde cérébrale pourrait être une réponse réactive compensatoire des neurones endommagés par une ou plusieurs causes inconnues.

La déception des thérapies anti-Aβ a conduit à une réévaluation de l’hypothèse amyloïde. Depuis 25 ans, cette hypothèse place la pathologie Aβ au sommet de la cascade à l’origine de la tauopathie et de la neurodégénération. Cependant, plusieurs questions sont nées suite aux nombreuses études menées sur les patients atteints de MA.

Comme vu précédemment, des études ont montré que de nombreuses personnes présentant des dépôts amyloïdes étaient cognitivement normaux, et qu’au contraire, des sujets atteints de la MA présentaient très peu de dépôts amyloïdes [225]. Bien qu’il soit possible que cette discordance soit liée au fait que l’espèce toxique soit en réalité l’oligomère Aβ et non les plaques séniles, on ne peut pas exclure l’hypothèse selon laquelle la déposition amyloïde Aβ serait un phénomène dû au vieillissement et qu’elle n’aurait finalement aucun lien avec le déclenchement de la MA.

Des études conduites chez des patients porteurs de l’allèle ApoE 𝜀4, d’une mutation APP ou PSEN (responsable à terme d’une pathologie amyloïde) ont également montré que

des lésions neuronales apparaissent indépendamment des dépôts Aβ – parfois avant eux ou à des endroits dépourvus de peptides Aβ.

Il semble donc que la neurodégénération et la déposition amyloïde soient deux phénomènes indépendants en termes spatio-temporels, contrairement à ce qu’affirme l’hypothèse amyloïde [226]. L’apparition et la propagation des DNFs seraient d’ailleurs davantage en corrélation avec la perte neuronale.

En conclusion, le peptide Aβ pourrait ne pas être la cible idéale imaginée par les chercheurs et d’autres cibles pourraient se révéler plus pertinentes.

III.

Autres cibles possibles des immunothérapies dans le domaine de la

MA