A. 1. Spécificités des villes des pays en développement
A.1.3. Hydrologie urbaine dans les P.E.D
L’eau est une ressource très abondante sur la planète et est répartie entre quatre grands réservoirs : les océans [97,2% environ], les glaces polaires [2,15%], les eaux continentales (superficielles et souterraines) [0,649%], l’atmosphère [0,001%]. Les échanges ainsi que l’équilibre entre ces différents réservoirs sont régis par un mécanisme prépondérant dit « cycle hydrologique », couramment appelé
« cycle de l’eau ». Les divers échanges hydriques entre l’atmosphère et les autres compartiments terrestres mettent en jeu de nombreux phénomènes très complexes : la précipitation, l’évaporation, l’évapotranspiration, l’infiltration et le ruissellement. Ces concepts phénoménaux varient à différentes échelles de temps et d’espace. La Figure 1 présente un diagramme schématique du cycle hydrologique urbain dans les P.E.D.
Figure 1 : Diagramme schématique du cycle hydrologique en milieu urbain des P.E.D.
D’après Chocat (2006), l'hydrologie urbaine doit s'intéresser à la partie du cycle de l'eau affectée par l'urbanisation ou le fonctionnement de la ville : infiltration de l'eau dans les sols et fonctionnement des nappes, ruissellement des eaux en surface et écoulements dans des biefs naturels (rivières) ou artificiels (canaux, conduites souterraines), évacuation et épuration des eaux usées, etc. Par contre, l’accroissement des surfaces imperméables lié à l’urbanisation accélérée met en relief les spécificités de l’hydrologie urbaine dans les P.E.D. D’importantes modifications environnementales (pollution, déboisement, etc.) et hydrologiques (augmentation du coefficient de ruissellement, flux torrentiels des cours d’eau ou des rivières, etc.), en symbiose avec l’augmentation des surfaces urbaines, sont majoritairement observées dans ces pays. A Port‐au‐Prince par exemple, les flux d’eau arrivant sur la ville sont les conséquences d’une part, de la dégradation des bassins versants, du déboisement et de l’état d’occupation du sol. Ce constat étaye les conclusions de Manfreda, (2008) selon lesquelles le ruissellement urbain est influencé par plusieurs facteurs, tels que l’état du sol et de sa couverture végétale, la texture du sol, et sa teneur en eau initiale. Ces propriétés physiques intrinsèques au sol se voient modifier au fur et à mesure que son occupation se densifie.
A.1.3.1. Impacts de l’occupation du sol sur l’hydrologie urbaine dans les P.E.D
La forte urbanisation, résultant de l’accroissement et du déplacement de la population rurale vers les grandes villes des P.E.D ; entraine le plus souvent la détérioration de l’environnement ainsi que l’augmentation anarchique des surfaces imperméables. Ceci a non seulement des conséquences sur la recharge des nappes mais également offre des conditions favorables à de fréquentes inondations, comme il est décrit à la Figure 2.
Faible densité
Densité moyenne
Haute densité
EVT: 15%
I : 35%
R : 50%
EVT :10%
R : 65%
I :25%
EVT : 5%
I : 10%
R: 85%
t t
t
Q Q Q
Figure 2 : Effets de l’imperméabilisation sur les eaux pluviales urbaines et le bilan hydrologique
(Butler et Davies, 2004) EVT : évapotranspiration ; R : ruissellement ; I : infiltration.
La situation générale décrite par Butler et Davies, (2004) est encore plus critique dans les P.E.D où l’étalement urbain favorise l’extension des surfaces bâties majoritairement constituées de béton et d’asphalte. Comme nous avons mentionné dans les paragraphes précédents, la multiplication d’habitants précaires ou bidonvilles autour des grandes villes des P.E.D contribue également à la forte imperméabilisation des sols. Cela entraine une sollicitation de plus en plus forte du réseau de drainage, traduite par le transport de plus grands volumes pendant ou après les évènements pluvieux. Dans la plupart des villes des P.E.D, les réseaux de drainage ne remplissent plus la fonction pour laquelle ils ont été construits, c’est‐à‐dire évacuer les EPU loin de la ville pour éviter leur stagnation. Ils sont généralement considérés comme des dépotoirs pour les déchets solides de toute sorte, tels que les matières plastiques, les excrétas, les matériaux de démolition, etc... De cet état de fait, ces villes réunissent toutes les conditions nécessaires à des risques d’inondations et sanitaires à chaque évènement pluvieux.
A.1.3.1.1. Risques encourus
L’occupation intense des sols peut être considérée comme le moteur stimulant les risques d’inondation et sanitaires dans les espaces urbains. Ces deux concepts de « risques » vont de pair du fait que les violentes inondations enregistrées dans les P.E.D s’accompagnent couramment d’épidémies. Celles‐ci sont le plus souvent liées à la consommation d’eau polluée ainsi que les conditions sanitaires de l’environnement ambiant après une inondation.
A.1.3.1.1.1. Risques d’inondations
La plupart des P.E.D sont situés sous les tropiques humides, où les villes et les centres‐villes sont exposés à des conditions climatiques très variées pouvant provoquer de fréquentes inondations (Silveira et al., 2000). Au cours des deux dernières décennies, les catastrophes naturelles sont devenues un problème récurrent dans les pays du monde, plus particulièrement les P.E.D. Dans la région Asie‐Pacifique par exemple, pour la seule décennie 1991‐2000, les catastrophes naturelles ont causé plus de 550 000 morts, soit 83 % du total mondial (FICR, 2001). Parmi ces pays, le Bangladesh, la Chine et l’Inde étaient les plus exposés aux inondations (Ji et al., 1993; Mirza et Ericksen, 1996). De 1971 à 2000, la Chine a connu plus de 300 catastrophes naturelles, qui ont fait plus de 311 000 morts ; l’Inde, plus de 300 catastrophes causant plus de 120 000 morts ; les Philippines, avec environ 300 catastrophes dont 34 000 personnes ; l’Indonésie, avec environ 200 catastrophes , a plus de 15 000 personnes ; le Bangladesh, avec plus de 181 catastrophes a perdu 250 000 morts (PNUE, 2002). En 2004, les villes haïtiennes, Gonaïves et Port‐de‐Paix, ont été fortement inondées par une tempête tropicale, faisant 2.000 morts et laissant 100.000 familles sans abri.
Les fréquentes inondations enregistrées dans la majorité des P.E.D causent généralement des dégâts dévastateurs et un cadre de vie dégradable en permanence. L’une des conséquences la plus grave reste la contamination des points d’eau, et plus généralement les nappes d’eau souterraine. La consommation de ces eaux, initialement exploitées par les citadins, entraine le plus souvent des problèmes sanitaires au sein de la population manifestés par l’apparition de germes épidémiques.
C’est le cas d’Afrique du Sud où environ 3 000 familles, vivant dans des abris de fortune installés en dessous de la cote d’alerte d’inondation, étaient victimes d’inondations et d’épidémies de choléra (Kim, 2000; Banque mondiale, 2001; PNUE, 2002).
A.1.3.1.1.2. Risques sanitaires
Les risques sanitaires causés par les inondations peuvent se classer en deux catégories :
Les risques sanitaires immédiats qui se produisent durant les inondations. Ils incluent la mortalité due à la noyade, aux crises cardiaques et aux blessures. Le nombre de décès associés aux inondations est étroitement lié à la rapidité de la montée des eaux, de la hauteur des crues, des objets transportés par les eaux de ruissellement ainsi que le comportement des populations ;
Les risques sanitaires à long terme, caractérisés par l’apparition d’épidémies post‐
inondations. D’après l’OMS, (2002), la prolifération des maladies hydriques (bilharziose, parasitoses, choléra, diarrhées aiguës, etc.) et d’autres problèmes de santé résultent également du développement incontrôlé de l’urbanisation produite par l’éclosion et l’extension de bidonvilles qui sont généralement privés de systèmes d’assainissement.
Chaque année, plus de 5 millions de décès enregistrés dans les P.E.D sont dus aux maladies d’origine hydrique (PNUE, 2002). On estime qu’environ trois millions d’Africains meurent chaque année d’une de ces maladies (Lake et Souré, 1997). En 1998, 72% de tous les cas de choléra signalés, dans le monde, concernaient l’Afrique (PNUE, 2002). On estime que 25 à 33% de ces cas de maladies sont imputables à des facteurs environnementaux (Smith et al., 1999) dont 18% dans les P.E.D. D’après le PNUE (2002) : « 7% seraient dus à l’insuffisance de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, 4% à la pollution de l’air à l’intérieur des logements, 3% aux vecteurs de maladies, 2% à la pollution atmosphérique en milieu urbain et 1% aux déchets agro‐industriels. En Afrique
subsaharienne, la proportion est encore plus élevée (26,5%), principalement en raison des problèmes d’accès à l’eau potable et de l’assainissement (10%) et aux vecteurs de maladies (9%) ».
A.1.3.2. Principales contraintes liées à la gestion des flux d’eaux urbaines dans les P.E.D
La gestion des eaux pluviales urbaines (EPU) constitue un des problèmes cruciaux pour les P.E.D. par sa double dimension «ressource» et «risque» (Wondimu, 2000). Leur drainage est confronté à deux problèmes majeurs : insuffisance et dysfonctionnement. Dans la majorité des villes des P.E.D, le« tout‐à‐l’égout » est le modèle le plus adopté pour la gestion des EPU. Cette démarche consiste à évacuer ou diriger les eaux du ruissellement pluvial et les eaux usées vers un même exutoire. Compte tenu des faibles moyens techniques et financiers disponibles, la construction de réseau séparatif ou unitaire, ou encore l’utilisation des techniques alternatives (couramment utilisés dans les pays développés) sont hors de portée des P.E.D. En effet, d’après Silveira (2001), le recours à des solutions modernes pour l’assainissement des eaux pluviales dans les P.E.D est handicapé par les facteurs suivants :
l’assainissement pluvial suit principalement le modèle sanitaire du 19ème siècle ;
l’urbanisation illégale ou clandestine limite l’espace pour des solutions modernes ;
la contamination des eaux pluviales par des eaux usées, des sédiments et des ordures empêche l’utilisation directe des ouvrages qui fonctionnent dans les pays développés ;
des conditions climatiques et des facteurs socioéconomiques peuvent aggraver le
risque épidémiologique autour des bassins de retenue conçus pour éviter les inondations, et augmenter le coût des solutions ;
le manque de capacité technique pour dimensionner des ouvrages modernes d’assainissement pluvial ;
l’absence d’interaction entre la population et la municipalité pour la recherche de solutions simples et modernes.
Il apparaît que les solutions sanitaires conventionnelles du drainage urbain ont atteint le point de saturation dans les grandes villes des P.E.D. Dans le budget national de ces pays, beaucoup d’argent est parfois alloué à l’assainissement urbain, mais le problème est resté intact. La plupart de ces pays optent le plus souvent pour des modèles de gestion occidentales, mais ils sont majoritairement soldés par des échecs. De manière générale, l’application des modèles de gestion occidentaux ne fait que compliquer davantage les problèmes initiaux dans les villes. Les acteurs locaux n’étant pas qualifiés pour assurer le suivi des systèmes installés et, par conséquent, ils ne s’y reconnaissent pas, ce qui entraine leur abandon et un déficit majeur dans les recettes publiques. C’est le cas de la ville Addis Abéda où, depuis les années 1960, en moyenne tous les dix ans d’importantes études sont confiées à des experts étrangers, sans qu‘aucune d’entre elles soit réalisée (Wondimu, 2000). En revanche, des techniques de gestion élaborées dans certains P.E.D sont parfois très innovantes et permettent de réguler le débit des EPU avant leur rejet dans le milieu naturel (Angerville, 2009).
Parmi celles‐ci, on peut citer la construction de canaux remplissant la fonction de réservoir à São Paulo (Brésil), de bassins de rétention à Bangkok (Thaïlande), des techniques d’infiltration au Chili (Parkinson et Mark, 2005).