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Historiquement les économies socialistes ont toujours élaboré des plans intégrants différents horizons temporels. Ainsi, il existait des plans annuels et quinquennaux. Pourtant, seuls ces premiers jouaient un rôle primordial. Outre le fait qu’ils étaient les plus « tenables », ils permettaient également d’énoncer de façon détaillée les objectifs poursuivis :

« La planification de type soviétique prend en compte plusieurs horizons temporels. Le plan quinquennal est le plus connu, mais pas le plus important, car il ne détermine pas les objectifs de productions courants pour les entreprises. […]. Le véritable plan impératif est le plan annuel. Il contient des objectifs détaillés pour l’économie nationale dont la désagrégation permet d’obtenir des chiffres de contrôle destinés aux différents ministères sectoriels, puis après une deuxième désagrégation ceux des entreprises. » (Andreff (1993), p. 71)

Les propos de Kornai (1996) sont similaires :

« Du point de vue de la durée, il y a des plans annuels à court terme, et des plans à moyen terme, qui sont des plans quinquennaux dans la majorité des cas. La planification annuelle est le véritable outil opérationnel pour la direction de l’économie nationale. Le plan quinquennal est plutôt une manifestation d’intention de politique économique […] » (p. 143).

On va maintenant exposer les raisons pour lesquelles la planification annuelle nous semble effectivement la plus judicieuse.

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Incertitude et investissement

On n’a pas cessé de le répéter, l’incertitude est une composante majeure de l’activité économique. Elle peut évidemment prendre d’innombrables formes. L’une d’entre elles a été

mise en évidence par Keynes (1936) et concerne l’investissement. Dans l’esprit de Keynes, le choix d’investir dépend notamment du rendement escompté, par les entrepreneurs, du capital. Celui- ci est lié, dans une large mesure, à « l’état de la prévision à long terme » qui dépend à son tour d’éléments psychologiques difficilement saisissables :

« Les évaluations des rendements futurs sont fondées en partie sur des faits actuels, qu’on peut supposer être connus avec plus ou moins de certitude et en partie sur des évènements futurs qui ne peuvent qu’être prévus avec plus ou moins de confiance. […]. Dans la seconde catégorie figurent les changements futurs dans l’espèce et la quantité des divers biens capitaux et dans les goûts des consommateurs, l’ampleur de la demande effective aux diverses époques de l’existence de l’investissement considéré et enfin les changements pendant cette existence de l’unité de salaire exprimée en monnaie. On peut condenser l’état psychologique d’attente vis-à-vis des évènements de la seconde catégorie dans l’expression état de la prévision à long terme[…] » (Keynes (1936), p. 163).

L’investissement dans un programme de planification

Etant donné la difficulté qu’il y a pour saisir les déterminants de l’investissement, la prise en compte de son évolution dans un plan est un important sujet de tracasserie. C’est en partie pour résoudre ce problème que la propriété publique des moyens de productions était en vigueur dans les économies socialistes. La décision d’investir était alors du ressort de l’Etat :

« […] le plan doit fixer le montant et l’orientation des investissements, ce qui signifie que le Centre décide au niveau macro-économique du taux d’investissement (part de l’accumulation dans le RN), ainsi que la répartition sectorielle et régionale des investissements. »1 (Andreff (1993), p. 89 et 90).

L’avantage du plan annuel

Si l’on ne souhaite pas imiter les économies socialistes et que l’on désire conserver la propriété privée des moyens de production, il convient alors de solutionner ce problème par un autre biais.

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Pour être tout à fait fidèle à la pensée d’Andreff, il convient de préciser que « Seuls les projets d’investissement les plus importants (plus de 150 millions de roubles) relèvent des autorités centrales. ». Par conséquent, il faut « relativiser un peu les grands principes présidant à la détermination de l’investissement hérités de la période stalinienne. » (ibid).

Peu de monde conteste aujourd’hui que l’investissement est par nature une opération de « long terme ». Quel que soit ce que l’on entend exactement par l’expression « opération de long terme », il ne fait guère de doute que le « long terme » dépasse une année. Du point de vue mathématique, il est donc raisonnable de considérer que sur l’année les ensembles de productions sont bornés :

« Any division of time into the “short-run” and the “long-run” contains an element of arbitrariness: yet such distinctions may nonetheless be useful and intuitively appealing, and that is indeed the case with the distinction about to be made. There are two approaches to establishing it, and the first of these has the sanction of economic tradition. It has been customary in economic theory to refer to the short-run as a period within which the quantity of fixed capital equipment available must be taken as given: the first definition of the short- run is that it refers to a period within which resource constraints are absolute and cannot be altered. This certainly conforms to traditional usage, for the amount of fixed capital equipment available has been taken as a resource constraint. If this approach is adopted, what period of time does it suggest as the short-run? Casual empiricism suggests any period about five years.» (Heal (1973), p.63).

Il en découle immédiatement que les ensembles de consommations sont eux aussi bornés.

L’aspect formel

Techniquement une planification annuelle invite à considérer des ensembles de productions bornés. Comme on l’a vu au cours du premier chapitre, c’est là une condition essentielle pour assurer l’existence et l’unicité globale des équations différentielles.

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Incertitude et choix des agents

Comme on a pu le réaliser à travers l’étude des équilibres temporaires, les croyances et les conjectures des agents prennent une importance primordiale dès que l’on se situe dans un univers incertain. Leurs choix de consommation deviennent très délicats à prévoir. C’est pour ce motif que tous les modèles que l’on a examinés ont recours à des artifices pour limiter l’incertitude (système complet de marchés,…). Mais ce sont là des hypothèses bien peu

réalistes. Evidemment, la planification socialiste n’a pas non plus échappé à cette difficulté comme le reconnait Ellman (1999) :

« Dans bien des cas, le conflit entre « produire pour le plan » et « produire pour les besoins » ne provient pas d’un conflit entre « les préférences des planificateurs » et « les préférences des consommateurs », mais du fait que les autorités ne savent ni ce que préfèrent les consommateurs ni quelles sont les possibilités de production réelles des entreprises. » (p. 135).

La dictature des besoins

La plupart du temps, les erreurs d’anticipations du planificateur – liées à la mauvaise connaissance des préférences des agents – conduisaient à une pénurie. Ceci faisant rapidement affirmer à Boukharine (1920), qu’a l’inverse du capitalisme, le socialisme se caractérisait par une sous production :

« Mais, chez nous, cette disproportion est renversée […] ; là-bas la demande de la part des masses est considérablement moindre que l’offre, ici la demande est plus grande que l’offre. »

Plus récemment, un diagnostic similaire est dressé par la plupart des spécialistes des économies planifiées :

« Les économies des pays de l’Est restent en effet largement, et on peut dire structurellement, des économies de pénurie pour les biens, les services et le travail ; » (Duchêne (1987), p. 13)

D’après les travaux de Fehér, Heller et Márkus (1983), les économies socialistes tentaient de résoudre ce problème, de connaissance des préférences des agents, en instituant une « dictature sur les besoins ». Autrement dit la solution consistait à élaborer, ce que nous avons appelé, une centralisation totale (voir chapitre I). Si l’on souhaite maintenir le caractère semi- centralisé de l’économie, une autre réponse doit être trouvée.

La prévision du choix des agents

Une anticipation erronée, par le planificateur, des choix des agents peut provoquer une sous production. Ce qui risque d’engendrer une économie de pénurie. Afin d’éviter cela, il convient de produire tous les ans et dans toutes les entreprises au maximum des capacités de production. Ces dernières sont, rappelons le, bornées.

Cette solution correspond à celle que Von Neumann retient dans son modèle de croissance équilibrée (chapitre IV). Malheureusement, elle a pour désagrément d’inverser le problème. Le risque majeur est désormais la surproduction.

Origine et risque de la surproduction

La surproduction est liée au fait qu’une partie des ménages ne dépense pas l’intégralité de leurs revenus. En effet plus la production est importante, plus la distribution de revenus est conséquente. Ce qui permet alors l’achat des biens produits. Hélas, une fraction du revenu étant épargnée1, celui- ci devient insuffisant pour que les entreprises puissent écouler la totalité de leur production.

En fait, si la surproduction nous préoccupe c’est qu’elle a pour inconvénient de baisser le niveau de profit des entreprises. Dans ce cas, pourquoi prendraient- elles le risque de produire au maximum de leurs capacités et de faire des pertes ?

Mécanisme de transfert

Pour inciter les entreprises à produire au maximum de leurs capacités de production, tout en maintenant une économie de propriété privée, un mécanisme de transfert est envisageable. Ainsi, une partie de l’épargne des consommateurs peut- être redistribuée aux entreprises dans le but de compenser leurs pertes. Une autre possibilité est d’instituer un dispositif de solidarité entre les entreprises réalisant du profit et celles faisant des pertes2. Naturellement, cela suppose que les pertes soient limitées de manière à ce qu’une fraction de l’épargne puisse les combler.

Rendements d’échelle croissants

Comment alors, en présence d’une surproduction, minimiser la baisse des profits ? La réponse est simple : en se situant dans une zone où les rendements d’échelle sont croissants. Les pertes unitaires encourues par les entreprises y sont plus faibles. Ceci nous amenant alors à nous pencher sur le rôle des rigidités.

1 Cela d’autant plus que le niveau de revenu est élevé si on en croît la « loi psychologique » de Keynes.

2 La proposition de mettre en œuvre des systèmes de transferts dans les économies planifiées n’est pas spécialement novatrice. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de tels systèmes existaient dans les pays de l’Est (confère Duchêne (1987)). L’originalité réside seulement dans la couverture d’un « risque de faillite ».

SECTION II

Rigidités et ensemble de stabilité. L’existence, l’unicité et la