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gt; Les communautés

Dans le document 53-54 : Service public (Page 87-89)

L’une des annexes (2 000 m2 !) de la Bibliothèque centrale de Tulsa : la Martin East Regional library est située en quartier hispanique et abrite, en plus des collections standards, une collection hispanique. La directrice est un modèle du genre « lecture publique américaine » : ex-responsable du ser-

vice Outreach, elle est chaleureuse. Un magni- fique patchwork repré- sentant… des étagères de livres multicolores réalisé par sa mère – ex-biblio- thécaire… – décore son bureau, et son tricorne de pirate nous signale que c’est bien elle la cheffe de bord !

L’espace hispanique au sein de la médiathèque est coloré, décoré d’ob- jets artisanaux mexi- cains et animé par le personnel – pour moitié bilingue espagnol – mais aussi locuteur en hmong, arabe, portugais et hol- landais ; la demande pressante actuelle est au cantonais, vietnamien et coréen. La culture espa- gnole est valorisée par des lectures bilingues et

des spectacles. Deux d’entre-eux sont diffusés à l’ensemble du réseau afin de favoriser l’interculturel. Un sou- tien aux adolescents hispaniques est donné pour les encourager à s’inscrire dans une école professionnalisante (Community college) ou dans la belle Université de Tulsa. Toutes les infor- mations utiles sur les bourses sont dispensées par les bibliothécaires conseillers d’orientation (student advisors). Des jeunes volontaires (teen team) renforcent l’équipe pro- fessionnelle qui va de 17 à 74 ans (en temps partiel pour les plus jeunes et les plus âgés).

Une annexe similaire, la Rudisill Regional library, située dans le quartier historiquement noir de Tulsa, est dépositaire du centre de ressources afro-américain. Le per- sonnel, représentatif de son quartier, y est noir ; l’espace d’accueil est orné de portraits de per- sonnalités noires dont celui de « Mr President »,

le centre de ressources dispose d’un mobilier stylisé africain et une exposi- tion rappelle l’histoire du cheveu et de la cosmétique black telle qu’elle existait dans les années 1920 quand Madame Walker, première femme noire million- naire, vendait ses produits dans des salons de beauté ambulants. La direc- trice, Alicia Latimer a un profil original : enthousiaste cinquantenaire afro-amé- ricaine, elle est manager retraitée du pôle Emploi local et s’est reconvertie à la direction de bibliothèque. Pour justi- fier de son grade de bibliothécaire, elle passe un MLS en cours du soir mais constate que ce qui prime c’est d’abord Amy Stephens, directrice de la Martin East Regional library, en cheffe pirate devant le patchwork de livres.

Exposition sur l’histoire du cheveu et de la cosmétique black.

© Nathalie Erny

Actualités de l’ABF

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la connaissance de l’humain (elle est également titulaire d’un mastère en relations humaines) et du territoire couvert (elle tisse de multiples parte- nariats). Elle veille ainsi, comme c’est le cas dans les autres bibliothèques « communautaires », à ce que les col- lections et l’action culturelle afro-amé- ricaines soient diffusées dans et hors les murs pour favoriser la connaissance mutuelle à Tulsa.

L’Université de Langston (2 300 étu- diants) où m’accueille Bettie Black, directrice de la bibliothèque (30 000 volumes dont 7 000 d’archives afro- américaines, 8 cadres titulaires d’un MLS, 8 assistants et 16 étudiants à temps partiel), fondée en 1897, s’ho- nore de compter parmi les « universi- tés historiques noires » (historic black college) selon un label officiel. Elle est fréquentée et gérée majoritairement par des Afro-Américains qui y développent leurs origines par des expositions d’art, la constitution d’une collection d’ob- jets africains ou liés aux droits civiques ainsi que des collections de pério- diques (Ebony, Who’s who in Colored America…) et autres documents de la culture noire longtemps ségréguée. Dans la réserve des Indiens Muscogee, connus également sous le nom de Creeks, j’ai rencontré deux Indiennes de souche, archivistes de fait et par leurs ascendants, Rose Johnson et Clara Ballard. Quelques armoires surmon- tées de plantes vertes protègent des registres imprimés, recensement officiel des tribus à la fin du XIXe s., registres qui

aujourd’hui encore servent de base aux recherches généalogiques. L’activité du centre de ressources Muscogee est aussi centrée sur la recherche de sépultures indiennes. C’est ainsi qu’un agent topographe part régulièrement, muni du matériel nécessaire, baliser les tombes signalées par le voisinage. Le recensement de cette activité ainsi que la diffusion des sources généalo- giques devra être relayé rapidement par des bibliothécaires professionnels car nos deux hôtesses, actives grands- mères, sont plus une mémoire pour leur communauté que des professionnelles à même de saisir les enjeux du numé- rique pour un accès plus ouvert à leurs archives.

La visite de la bibliothèque scolaire de l’école publique Eisenhower (enfants de 5 à 12 ans), site pilote par ses méthodes d’éducation et ses deux programmes de langues en immersion (français et espa- gnol), m’a permis de prendre conscience de la place d’une culture selon les choix faits dans les collections. Le rayon francophone y est sympathique (beaucoup de BD belges aux héros intemporels) mais non représentatif de nos albums ou de nos auteurs (Ungerer l’alsaco-américain, Ponti l’italo-lor- rain, Morgenstern l’américano-niçoise, Pef l’inclassable et tant d’autres…) Ms Barbara McCrary, la bibliothécaire scolaire diplômée, me montre avec tendresse un album de Martine, ici comme en France très appréciée de son public ! Je lui précise que, pour être véritablement française, la bibliothèque

devrait aussi acquérir des auteurs d’édi- tions… françaises et contemporaines. Cherchant à me convaincre, elle bran- dit fièrement le petit roman de poche intitulé Sophie la Chipie qui, me dit-elle, est le chouchou des élèves francisants. Vérification faite, l’auteur publié chez Pocket est un Américain traduit en fran- çais… Un échange estival existant entre cette école et une école semblable à Beauvais, je conseille à Barbara de déléguer son budget d’achat français aux enseignants accompagnants qui pourront faire confiance sur place à la libraire pour constituer un fonds fran- çais plus étoffé.

Ce séjour bref et intense conforte mes impressions glanées en Californie : rôle de la communauté, perception de la bibliothèque comme le lieu de toutes les ressources, accueil ouvert à tous, services performants… au détriment quelquefois de l’originalité et de l’élé- gance des espaces. Les bibliothèques américaines, pionnières au XIXe siècle et source d’inspiration de la lecture publique en France, continuent de prou- ver par leur pragmatisme que la biblio- thèque est un lieu pour tous, voulu par tous : E pluribus unum comme l’affirme la devise fédérale. Une vision commu- nautaire qui semble participer du suc- cès des bibliothèques dans les pays anglo-saxons, y compris en Europe.

Nathalie ERNY Médiathèque d’Hyères Bettie Black, directrice de la BU Langston University (à gauche) ; au centre de ressources des Indiens Muscogee (à droite).

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Reportage

Dans le document 53-54 : Service public (Page 87-89)

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