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GILLES RETTEL Consultant, formateur

Dans le document 53-54 : Service public (Page 69-72)

Directeur de MSAI

2. Antoine-Laurent Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, p. 101. Cf. www.lavoisier.

cnrs.fr. 1. http://blog.formations-musique.com/index.php?post/2006/11/21/3-musique-

L’accès aux œuvres de l’esprit sur Internet passera t-il uni- quement par des lieux concentrateurs du monde marchand ? C’est bien l’idée suivie par Google, Amazon et consorts. Sera t-il ensuite médié en médiathèque par des prestataires du type Bibliomédias, Starzik, Naxos, etc. C’est un des enjeux majeurs actuels. Il existe des alternatives qui s’écartent de ce schéma : Automazic, Extranet de la Cité de la Musique, etc. En août 2010, aucun modèle économique n’avait démontré sa pertinence comme vient de le montrer la liquidation judiciaire de Jiwa et l’alliance de Deezer et Orange 5.

Cette perte du monopole de l’accès et le fait de passer par des prestataires s’accompagne d’un autre aspect peut- être plus important à terme ; la perte de la responsabilité éditoriale puisque la médiation se fait sur des catalogues déjà existants. L’usager sera amené à s’interroger sur la valeur ajoutée de la médiathèque puisqu’elle passe par des services extérieurs. Dans son esprit, elle ne serait plus qu’un intermédiaire. Une des pistes de réflexion pour le futur proche pourrait être la mise en place de consortiums desti- nés à gérer directement les enjeux de la propriété intellec- tuelle avec les ayants-droit pour proposer des services pilo- tés ou sous-traités par les médiathèques. Les Rencontres nationales des bibliothécaires musicaux de 2009 6 à Paris

avaient montré que les différents ayants-droit étaient très demandeurs. Cette solution aurait le mérite de clarifier considérablement la gestion des droits. Le récent projet Umma (Univers musical de médiathèque alsacienne) semble être une piste dans cette direction où plusieurs biblio- thèques du Haut-Rhin se sont regroupées et ont noué un partenariat avec MusicMe pour proposer un service d’écoute en ligne (streaming) de musique 7. Cette expérimentation est

également une proposition alternative à la numérisation du fonds. Numérisation est un autre mot qui pose problème. Comment est-il possible de numériser un phonogramme qui est déjà numérique ? « Sonielisation », peut-être ? Pas très sexy, j’en conviens.

L

EPOIDSDESBIBLIOTHÈQUES

Que reste t-il aux médiathèques si l’ère du monopole de l’ac- cès est révolue et si la responsabilité des choix éditoriaux est en péril ? Il reste, en fait, l’essentiel qui apparaît peut- être plus clairement aujourd’hui : la connaissance. C’est le plus de raison d’être. Ce monde s’évanouit devant nos yeux.

C’est la principale cause de la disparition des disquaires de type classique et de la mutation actuelle des médiathèques. La numérisation et la mise en réseau rendent obsolètes cette nécessité de lieux concentrateurs physiques accessibles au public. La mission d’accès par le prêt des médiathèques est globalement terminée parce qu’à terme (court ou moyen) tout sera accessible sur Internet. Pour prendre l’exemple de la musique, c’est la perte d’adhérence entre le phonogramme et le support dédié (le CD-audio) qui rend le phonogramme volatil d’où ma proposition du mot « soniel 3 ».

Les lieux concentrateurs ont-ils disparu ? Non, ils se sont déplacés. C’est un point essentiel pour comprendre que les médiathèques ont perdu une de leurs spécificités ; le monopole de l’accès des œuvres de l’esprit dans le service public. Les nou- veaux lieux concentrateurs sont virtuels dans l’usage mais ils s’appuient sur une infrastructure bien physique. La dématéria- lisation est un mythe. Ces nouveaux lieux concentrateurs s’ap- pellent : Gallica, Archive, Google 4, Amazon, iTunes, Deezer, etc. Les sites web ne sont que les fenêtres qui permettent d’accéder aux contenus physiquement stockés sur des disques durs dans des data centers. Répétons-le, la dématérialisation n’existe pas. 3. http://blog.formations-musique.com/index.php?post/2009/01/24/35-

soniels-ventes-en-hausse.

4. Google annonce avoir numérisé 129 864 880 livres (août 2010) : http://book- search.blogspot.com/2010/08/books-of-world-stand-up-and-be-counted.html.

5. www.orange.com/fr_FR/presse/communiques/cp100721fr2.jsp. 6. Cf. compte rendu d’Édith Anastasiou, « Le temps des cigales », in Bibliothèque(s) n° 45, juillet 2009, pp. 64-65.

7. Compte rendu atelier 8 site ABF… ; www.xaviergalaup.fr/blog/2010/03/27/

experimentation-streaming-musical-dans-les-bibliotheques-alsaciennes ;

http://calice68.mt.musicme.com/

DOSSIER

GILLES RETTEL La médiathèque, c’est ce qu’on ne peut pas faire sur le web 69 Cette double idée de concentration et de fragmentation

est perpétuellement présente sur Internet. L’effet « longue traîne » est lié à la fragmentation mais il n’empêche pas les effets de concentration type « buzz ». Les internautes, les usagers ayant accès à pratiquement tout vont-ils se culti- ver, s’enrichir naturellement comme sans effort ? Non, et le risque est grand de voir apparaître une nouvelle fracture. Alors que l’accès aux œuvres de l’esprit n’a jamais été aussi aisé, il existe un risque que certaines parties de la popula- tion ne se recroqueville sur ce qu’elles connaissent déjà. Lionel Naccache le rappelle : la découverte de l’inconnu, l’ac- quisition de nouvelles connaissances c’est mettre en dan- ger ses certitudes. L’offre proposée sur Internet étant quasi illimitée et très peu hiérarchisée, il faut des repères forts pour donner un sens à ce capharnaüm. Les plus instruits sont favorisés. C’est un cercle vicieux. Ce risque de fracture culturelle, Philippe Coulangeon (sociologue au Crest) l’évo- quait lors des Rencontres nationales des bibliothécaires à Aix-en-Provence en 2010 où il distinguait les « omnivores » des « univores ». La surabondance de l’offre fabrique de « l’omnivoracité » et on risque d’avoir d’un côté « les happy few de la culture omnivores » et de l’autre les exclus de la culture qui seraient univores (exemple : l’univers des fans). Il faut reconnaître que pour un omnivore, on vit une époque formidable.

Dans un monde très éclaté (donc fragmenté) où chaque usager a plus qu’auparavant la responsabilité de ses choix (mais ne sont-ils pas en partie déterminés ?) les médiathèques peuvent (doivent) devenir des lieux inspirants et d’accompa- gnement vers la culture pour chacun mais cela passera par une véritable révolution culturelle.

sujet d’un livre de Lionel Naccache paru récemment 8. Extrait :

« On comprend ainsi pourquoi et comment notre attention s’est progressivement focalisée sur les objets du savoir plu- tôt que sur la condition du sujet qui se livre à l’exercice de la connaissance. » Transposé dans le monde des médiathèques, on peut l’exprimer par le primat donné au prêt physique d’ob- jets matérialisant des œuvres de l’esprit a focalisé l’attention sur la circulation des objets plutôt que sur l’appropriation de leur contenu par l’usager. La nouvelle donne pourrait donc être une chance pour les médiathèques.

La quête de l’accès à l’information étant globalement ter- minée, il s’agit de s’occuper de la connaissance, c’est-à-dire de l’accompagnement vers les œuvres et ce que l’usager va en faire. Comment un individu s’approprie des œuvres pour (en partie) se construire. C’est une construction qui prend évidem- ment du temps alors que tout est immédiatement disponible (volatilité) et en tous lieux (ubiquité). Le temps va donc deve- nir (est devenu) une valeur (économique) essentielle sinon la seule 9. Rappelons les propos de Patrick Le Lay, patron de TF1

en 2004 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible 10 ». S’approprier les œuvres ?

C’est pour l’usager les méditer, les digérer, les ruminer, les faire siennes au risque d’ailleurs de se mettre en danger (c’est la thèse de Lionel Naccache). C’est l’enjeu de la médiation. Globalement, le rapport aux œuvres en médiathèque doit être une expérience unique. La médiathèque, c’est ce qu’on ne peut pas faire sur le web.

C

ONCENTRATIONETFRAGMENTATION

Les lieux concentrateurs, nécessaires dans le monde phy- sique, ne le sont pas forcément dans le monde d’Internet. En fait, il existe deux possibilités d’accéder à des concentra- tions d’œuvres de l’esprit (qui se matérialisent par une seule fenêtre) sur Internet :

• les lieux concentrateurs tels que définis plus haut, type Gallica ;

• des sites ou des logiciels qui permettent d’accéder à des concentrations d’œuvres mais qui sont dispersées physique- ment sur des machines multiples. C’est la raison première de l’existence d’Internet : le partage et la mutualisation. L’exemple le plus connu – avec les problèmes de droits affé- rents – est le P2P. On peut également citer les agrégateurs de blogs.

8. Lionel Naccache, Perdons-nous connaissance ? Odile Jacob, 2010. 9. Cf. Hervé Le Crosnier, « Pour un regard politique sur la “courbe d’audience” », in Bibliothèque(s), n° 39, juillet 2008, pp. 18-21.

10. www.observatoire-medias.info/article.php3?id_article=225. Équipements électroniques de stockage d’un data center.

les trois textes qui constituent la base de notre réflexion sur ce que doit être une bibliothèque publique : celui de l’ABF intitulé La bibliothèque publique, la Charte des bibliothèques du Conseil supérieur des bibliothèques, et le Manifeste de l’Unesco sur les bibliothèques.

Ces trois textes, auxquels on peut ajouter les Principes directeurs de l’Ifla permettent d’asseoir auprès des stagiaires les grands principes qui régissent les missions des biblio- thèques et de rappeler en particulier comme l’indique la Charte que « la bibliothèque est un service public nécessaire à la démocratie » et doit assurer l’égalité d’accès à la lecture et aux autres sources documentaires. Les missions sont pré- cisément déclinées : formation, information, action culturelle, patrimoine, chacune faisant l’objet de développements expli- cités aux stagiaires. Outre ces missions fondamentales, il est rappelé que la bibliothèque remplit aussi un rôle social dans la cité et un rôle éducatif complémentaire – bien que différent – de celui de l’école.

À sa manière, chacun des textes référents rappelle la finalité de ces missions : il s’agit de satisfaire les besoins du public, de tous les publics ; ainsi sont posées les questions d’égalité d’accès aux ressources, d’accessibilité des lieux, de continuité du service, d’horaires d’ouverture, d’accueil, et bien sûr de gratuité des services de base de la bibliothèque. La notion de service public est donc aussi abordée du point de vue de la mise en œuvre de ces missions par l’or- ganisation des services de lecture publique de la collectivité (État, départements, communes ou intercommunalités) ; tout en rappelant qu’un service de lecture publique n’a pas de

1. La notion de

service public

dans la forma-

tion d’auxiliaire

de bibliothèque

de l’ABF

S

ERVICEPUBLICETSERVICESAUPUBLIC

La formation d’auxiliaire de bibliothèque dispensée par l’ABF aborde cette notion de deux manières différentes ; de manière spécifique dans les tout premiers cours de l’an- née consacrés aux missions et au statut des bibliothèques publiques, et de manière implicite dans un grand nombre d’autres cours dispensés tout au long de la formation. Cette différenciation fait écho à la double acception de cette notion de service public : à la fois mission d’intérêt général et mode d’organisation de services pris en charge par la collectivité.

Dès les premiers cours, il est donc rappelé que si la France ne dispose pas de législation sur les bibliothèques – la fameuse loi tant de fois réclamée, étudiée, proposée mais jamais discutée au Parlement –, il existe tout de même un certain nombre de textes réglementaires qui traitent des bibliothèques – parmi lesquels celui qui régit le contrôle des bibliothèques – mais aussi des textes de référence pour les professionnels et les élus. Ainsi, sont principalement évoqués

JOSETTE GRANJON

Commission Formation de l’ABF

CÉCILE TRÉVIAN

Commission Formation de l’ABF BM de Saint-Quentin-en-Yvelines

Dans le document 53-54 : Service public (Page 69-72)

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