• Aucun résultat trouvé

d'encadrement des vies et contexte de pauvreté de masse

Chapitre 4. Temporalités et contenus des souvenirs personnels

4.2 La perception des événements de la vie

4.2.2 Les grands tournants de la vie

Considérer les tournants majeurs de la vie offre l'opportunité de vérifier ces résultats en prenant en compte toutes les étapes de l'existence. Si les interviewés les plus jeunes n'ont pas un parcours aussi étendu que les plus âgés, ces derniers, eux, peuvent porter un regard rétrospectif sur leur longue trajectoire, nous offrant un point de comparaison intéressant. Cependant, les biais méthodologiques inhérents à notre enquête ne peuvent être oubliés: la limitation du nombre d'événements à évoquer rend la tâche plus ardue pour les aînés que pour les jeunes, tout comme le temps qui passe peut affecter la mémoire et l'influence de l'histoire modifier les regards portés sur les expériences antérieures.

Le tableau 4.6 présente les domaines des tournants, selon la même logique typologique que pour les changements récents. Cette fois, c'est la famille qui prévaut (27% à Bandra, 24% à Santa Cruz) parmi les mentions, à nouveau avec une focale sur le mariage et la naissance des enfants. La famille est aussi citée par le plus d'individus, à Bandra (38%) et à Santa Cruz (32%). Apparaissent ensuite dans une même proportion les décès et les problèmes de santé, particulièrement évoqués par nos interviewés. Toutefois, le poids de la santé pèse moins que ce qui est ressortit dans la question sur les événements récents, ceux de l'année écoulée. De ce point de vue, la profession et l'éducation, eux, gagnent en importance lorsque l'entier de la vie est considéré, avec une fréquence proche de celle de la santé, voire supérieure à Santa Cruz.

Une fois les décès ajoutés au domaine familial, la profession prend la seconde place, talonnée par la santé, et ce quel que soit le lieu de résidence. Notons que l'apparition d'une citation surprenante dans sa forme et nouvelle par rapport aux mentions de changements de l'année écoulée: évoquer des années de travail ou le simple fait de travailler (assemblés dans le tableau 4.6 sous le type

"travail"). Certainement une marque de la précarité au quotidien et du soulagement de ne plus la connaître.

Tableau 4.6: les domaines et les types de tournants les plus mentionnés (%), selon l'âge et le ensuite les accidents et les hospitalisations (qui comprennent les opérations, et tout passage en milieu hospitalier). L'amélioration de la santé, elle, disparaît presque complètement (une seule mention à Bandra et cinq à Santa Cruz).

L'éducation est plus évoquée à Bandra qu'à Santa Cruz. Dans les slums, la réussite scolaire (ou la fin des études) est mentionnée à hauteur de 3%, alors qu'à Santa Cruz elle constitue 5% des mentions et se trouve à la place du 6ème type d'événement le plus cité. Une nouveauté apparaît également dans ce domaine: la mention du fait de ne pas avoir pu faire ou continuer ses études. Si elle est apparue dans l'échantillon des bidonvilles (2%), elle reste quasi absente (quatre mentions) dans celui de Santa Cruz.

4.2.2.1 Impacts croisés du lieu de résidence et de la cohorte

La fourchette de changements évoqués est relativement similaire d'une classe d'âge à l'autre (variant entre 31 et 40 types d'événements différents). Exception

121 En gris les pourcentages où moins de cinq individus sont représentés.

122 BA = Bandra

123 SC = Santa Cruz

faite du groupe le plus jeune, qui n'a pas encore pu vivre un certain nombre d'événements démographiques, la famille est le premier domaine cité par toutes les cohortes à Bandra East. A part un pourcentage légèrement plus faible parmi les mentions des cinquantenaires (23%), les classes d'âge réservent toutes près d'un tiers des souvenirs de leur vie aux questions de famille. Le constat est moins clair à Santa Cruz. Le taux de citations familiales tourne autour de 20%

dans la plupart des groupes, sauf pour les 35-39 ans qui se démarquent avec un pic de 33% de changements liés à la famille.

Les souvenirs des jeunes (28%), des trentenaires (12%) et des cinquantenaires (9%) de Bandra sont davantage orientés vers l'éducation que leurs homologues de Santa Cruz (23%, 8% et 4%), malgré un accès plus difficile aux études des premiers. La différence s'explique justement par la fréquence du type d'événement "pas d'étude", majoritairement évoqué à Bandra, qui manifeste un manque douloureux au point que les personnes pensent à l'évoquer lorsqu'on leur demande de se remémorer les tournants de l'existence. En termes d'individus concernés, ce sont les trois premières classes d'âge interrogées à Bandra qui comptent le plus d'individus mentionnant l'absence de suivi ou l'abandon contraint des études (respectivement 6%, 8% et 5% du sous-échantillon). Néanmoins, parmi les jeunes des slums, c'est avant tout la réussite scolaire (avoir passé un degré, réussi un examen décisif ou fini ses études) qui est mentionnée, soulignant la progression de la démocratisation de la scolarité à Mumbai.

Lorsqu'ils mentionnent des souvenirs d'ordre formatif, les jeunes parlent essentiellement d'une expérience personnelle. A Bandra, 96% des événements cités les concernent, et 97% à Santa Cruz. Les autres groupes parlent également de leurs enfants mais toujours avec une large majorité d'événements personnels. La totalité des mentions "pas d'étude" concerne directement l'interviewé, ainsi que la quasi-totalité des mentions d'"échec scolaire". Par contre, la réussite scolaire engage parfois les enfants, dans les deux terrains d'enquêtes.

Les tournants professionnels sont évoqués dans une proportion similaire par les habitants des slums quel que soit leur âge (entre 13% et 17%), cette variabilité étant plus distendue à Santa Cruz (entre 10% et 21%). En majorité, ils concernent directement le répondant. A Bandra, le conjoint est le second membre de la famille qui est évoqué, sauf dans le cas du premier emploi qui concerne toujours ego et des quelques mentions de satisfaction professionnelle, alors qu'à Santa Cruz ce sont les enfants qui suscitent l'attention.

Une première stratification par âge ressort de nos résultats. Les jeunes sont très centrés sur l'éducation, et dans une moindre mesure également les trentenaires.

La famille influence davantage les souvenirs des cohortes plus âgées, avec une concentration particulière autour des naissances et des mariages pour les 35-39 ans. Dans les classes d'âge suivantes, ce sont les décès qui viennent accroître les mentions de la famille. En second lieu, une stratification d'ordre socioéconomique, liée au lieu de résidence des répondants, voit le jour. Les décès concernent davantage d'individus dans l'échantillon de Bandra que dans celui de Santa Cruz, même si le nombre final de pertes mentionnées est comparable. L'éducation, bien que beaucoup évoquée par les 20-24 et 35-39

ans des deux quartiers, l'est différemment. Dans les slums, les réussites scolaires prennent de l'importance, et la frustration de ne pouvoir continuer ou débuter ses études est aussi palpable, ce qui n'est pas le cas à Santa Cruz.

Enfin, concernant le monde professionnel, les deux cohortes les plus âgées de Santa Cruz évoquent plus fréquemment le fait d'avoir dû reprendre ou changer de travail, ce qui sera développé au chapitre 5 et mis en lien avec l'évolution du tissu industriel de Mumbai.

4.2.2.2 Les tournants de la vie au prisme du genre

Sans surprise, une différence de genre conséquente se remarque dans les tournants de la vie évoqués par les répondants. Le tableau 4.7 souligne une forte prévalence familiale dans les tournants féminins, et une centration autour de l'éducation et de la profession pour les hommes.

Tableau 4.7: les domaines et les types de tournants les plus mentionnés (%), selon le sexe et le lieu de résidence (%)124

Domaine Femmes Hommes

Type Bandra Santa Cruz Bandra Santa Cruz

Famille

Les souvenirs des femmes contiennent plus de mariages (17% à Bandra et 18%

à Santa Cruz), de naissances (11% et 8%) et de décès (18% dans les deux enquêtes) que ceux des hommes (10% et 9% pour les mariages, 4% et 5% pour les naissances, 11% et 6% pour les décès). Ces événements familiaux concernent, quel que soit le sexe de l'interviewé, autant soi-même que la famille

124 En gris les pourcentages où moins de cinq individus sont représentés.

proche. Par contre, les hommes évoquent moins les unions de leurs enfants (15% à Bandra et 17% à Santa Cruz des changements familiaux) que les femmes (26%).

Au niveau de la santé, les mentions sont très proches en général mais aussi lorsque l'on se penche sur le détail des réponses. Toutefois, les hommes sont plus nombreux à mentionner des accidents que les femmes, que ce soit à Bandra (11% et 4%) ou à Santa Cruz (9% et 6%), ce qui ne ressort pas dans le tableau 4.7, laissant entrevoir que les hommes concernés mentionnent plusieurs fois la santé. A Bandra, ce sont exclusivement des femmes qui évoquent les déclins graduels.

Les hommes à Bandra sont plus nombreux à évoquer des événements professionnels, l'éducation par contre est citée pratiquement au même niveau.

Néanmoins, des divergences apparaissent lorsque l'on creuse ces réponses;

elles seront développées dans le chapitre 5. Les différences de mentions économiques et des déménagements sont aussi minimes entre hommes et femmes.

4.3 Evénements récents et tournants: les capitaux à