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Fréquence des changements selon la position dans le parcours de vie parcours de vie

d'encadrement des vies et contexte de pauvreté de masse

Chapitre 4. Temporalités et contenus des souvenirs personnels

4.1 Le nombre et la distribution des événements perçus comme marquants à différentes étapes du parcours

4.1.1 Fréquence des changements selon la position dans le parcours de vie parcours de vie

Au total, 1231 changements récents ont été signalés (670 en 2012 et 553 en 2014). A Bandra comme à Santa Cruz, les interviewés sont près de deux tiers à évoquer un souvenir au moins au cours de la dernière année de vie (respectivement 57% et 61%) (voir le tableau 4.1). Dans les deux échantillons, les écarts entre les sexes et entre les classes d'âge sont modestes, évoluant entre 50% et 65% d'individus ayant cité au moins un événement.

Le nombre moyen de changements récents parmi les individus ayant rapporté au moins un événement se situe autour de 1.8 en 2012 et de 1.5 en 2014.

L'explication de cet écart réside sans doute dans le mode de passation de chacune des enquêtes. Pour rappel, à Bandra les enquêtrices n'étaient pas directement rémunérées au questionnaire, alors que c'était le cas à Santa Cruz.

Dans ce second terrain, la perspective de se voir refuser un questionnaire trop peu rempli a dû encourager les enquêteurs à trouver des individus ayant au moins un événement récent à raconter; à l'inverse, les enquêtrices en 2012 ont davantage laissé les répondants s'exprimer quand ils avaient un changement à évoquer, voire plusieurs.

Tableau 4.1: le pourcentage d'individus n'ayant pas ou ayant cité au moins un changement récent, selon l'enquête, le sexe et l'âge

Bandra Santa Cruz

Au moins un changement

% (n)

Pas de changement

% (n)

Au moins un changement

% (n)

Pas de changement

% (n)

20-24 ans 58 42 65 35

35-39 ans 58 42 57 43

50-54 ans 50 50 56 44

65-69 ans 65 35 65 35

80-84 ans 51 49 65 35

Femmes 58 42 58 42

Hommes 55 45 65 35

Général 57 (357) 43 (276) 61 (381) 39 (241) Moyenne

(écart-type)

1.83 (0.80)

1.45 (0.62)

Des analyses complémentaires ont confirmé le peu de divergences dans le nombre de changements récents répondus entre les deux terrains d'enquêtes.

Une régression logistique (cf. tableau 4.2) a établi dans quelle mesure le fait de mentionner ou non au moins un événement au cours de la dernière année peut

être mis en relation avec les caractéristiques sociodémographiques des répondants. Le lieu de vie (bidonville ou quartier de classe moyenne inférieure), le sexe, l'âge et le niveau d'éducation ont été un à un contrôlés, une fois l'effet des autres facteurs neutralisé, et aucune différence significative n'a été constatée (à l'exception des sexagénaires par rapport aux plus jeunes et des individus avec un niveau d'étude secondaire par rapport aux universitaires;

toutefois, ces résultats sont peu significatifs).

Contrairement aux observations faites en Occident, à Mumbai le nombre moyen d'événements rapportés ne varie guère entre les groupes d'âge. La différence majeure surgit lorsque les jeunes cohortes de chaque enquête sont comparées l'une avec l'autre. En effet, le groupe des 20-24 ans vivant en bidonvilles et ayant cité au moins un changement mentionne en moyenne 2 événements, contre 1.3 pour leurs homologues habitant à Santa Cruz. Au niveau des sexes, les femmes des bidonvilles ayant cité au moins un changement évoquent en moyenne davantage d'événements que les hommes (2 contre 1.8). Somme toute, les différences restent faibles: dans nos enquêtes, être à l'orée de la vie adulte ne semble pas signifier une période de vie plus turbulente, plus riche en moments marquants.

Cette absence de diversité dans la densité événementielle de nos échantillons ne reflète pas forcément une absence de stratification selon l'âge, car elle peut s'expliquer de diverses façons. En premier lieu, il est possible que les jeunes Indiennes et Indiens vivent moins d'événements entre 19 et 24 ans que ceux mentionnés par les jeunes Occidentaux, en raison de leur moindre accès à l'éducation et de la nécessité associée d'entrer plus précocement, avant 19 ans, sur le marché du travail. En deuxième lieu, les personnes d'âge mûr à Mumbai peuvent subir davantage de changements probants que dans des contextes plus favorisés, en lien avec les conditions de vie plus difficiles en termes sanitaires et de protection sociale.

Dans une étude méthodologiquement similaire à la nôtre mais passée à Genève en 2003, Cavalli et Lalive d'Epinay (2008) observent bel et bien une densité de changements plus élevée durant la jeunesse, mais pas de diminution du nombre d'événements rapportés entre 50 et 84 ans, laissant entrevoir une maturité et une vieillesse qui connaissent également leur lot d'agitation. Dans le contexte indien, nous l'avons dit, la retraite ne représente pas une étape universelle, loin s'en faut. Toutefois, ne pas avoir de changement important en référence à la sortie de la vie active (qui marquerait en particulier les individus positionnés entre 65 et 69 ans) ne semble pas un obstacle au fait de mentionner des événements dans la vieillesse, dénotant d'une certaine similarité avec les résultats suisses.

Tableau 4.2: rapports de cotes issus de modèles de régression logistique sur la variable

"avoir mentionné au moins un changement récent"111

modèle 1 modèle 2 modèle 3 modèle 4 modèle 5 Lieu de vie (référence = Santa Cruz East)

Bandra East 0.806° 0.810° 0.810° 0.865 0.891 Sexe (référence = Hommes)

Femmes 0.928 0.928 0.970 1.025

Classe d'âge (référence = 20-24 ans)

35-39 ans 0.863 0.859 0.937

50-54 ans 0.724° 0.737 0.843

65-69 ans 1.207 1.296 1.494°

80-84 ans 0.846 0.953 1.100

Education (référence = Supérieure)

Sans 0.821 0.792

Primaire 0.898 0.925

Secondaire 1.306° 1.326°

Santé auto-évaluée (référence = Très bonne)

Bonne 0.700°

Moyenne 0.532**

Mauvaise 1.375

Seuils de significativité: ° ≤ 0.1; * ≤ 0.05; ** ≤ 0.01; *** ≤ 0.001.

Fondamentalement, c'est moins la fréquence que le contenu des événements qui peut faire ressortir une stratification selon l'âge. A cet égard, un aspect intéressant est révélé par les tests de régression. Il concerne la perception de sa propre santé par l'interviewé, et plus précisément la propension à évoquer autant de changements lorsque l'on se considère en mauvaise santé qu'en très bonne. Etre mal en point provoque une perception discontinue de l'existence, hachée par des événements. Ceci suggère bien que la nature des changements varie entre les groupes plus que leur nombre. Avant de se pencher sur le contenu, la section suivante sort des positions dans le cours de la vie pour

111 Lors de chaque régression présentée dans ce travail, une vérification de la corrélation des variables a été faite. Il n'est jamais apparu de corrélation trop élevée pouvant conduire à un biais dans les résultats des modèles.

explorer une vision rétrospective longitudinale à travers laquelle les individus portent un regard global sur leur existence et y "disposent" les événements cruciaux de leur vie.

4.1.2 La temporalité des grands tournants de l'existence selon les