• Aucun résultat trouvé

4 ‘R’ de sandhi : définition, description et modélisation

4.4 Glide formation

L’analyse de Broadbent (1991) est conçue dans le cadre de la Théorie des Eléments qui comme nous l’avons vu en 2.2. , a donné naissance à divers cadres théoriques ; Phonologie de Dépendance (Anderson et Ewen 1987, Durand et Anderson 1987), Phonologie de Gouvernement (Kaye, Lowenstamm et Vergnaud 1985, 1990), Phonologie de Particule (Schane 1984). Nous avons vu que dans ces différents modèles théoriques, l’intuition commune est que les éléments de base de la représentation des voyelles, |I, A, U| peuvent apparaître seuls ou dans des combinaisons où un élément peut avoir un statut de tête (ou gouverneur). Broadbent adopte une notation proche de celle de la Phonologie de Gouvernement et propose les représentations en (6) pour certaines voyelles de l’anglais, où l’élément tête est souligné et les éléments absents remplacés par une « voyelle froide » (cold vowel dans la terminologie KLV 1985). L’élément d’avancement de la racine de la langue, noté |┼|, correspond à la tension des voyelles.

(6) Représentations de certaines voyelles de l’anglais (Broadbent 1991 : 290)

High I I I I I V V V V V V V | | | | | | | | | | | | Back V V A A A A A A A A V V | | | | | | | | | | | | Round V V V V V V V U U U U U | | | | | | | | | | | | ATR ┼ V ┼ V ┼ V V V V ┼ V ┼ i ɪ e ɛ æ ɑ/a ə ɒ ɔ o ʊ u

Selon Broadbent le ‘r’ de sandhi doit être considéré comme un cas de formation d’une consonne glissante (« glide formation »), comparable aux glissantes [j] et [w] introduites après les voyelles hautes d’avant et les voyelles hautes d’arrière respectivement. Ces glissantes sont formées par l’épanchement dans une attaque vide, d’une propriété de la

115 voyelle finale précédente. Ce traitement est élaboré à partir de données observées dans l’anglais de Leeds dans le Yor shire, où la formation des glissantes peut être illustrée comme en (7) ci-dessous :

(7) Formation des consonnes glissantes (Leeds) see a siːjə be on biːjɒn]

pay as peːjəz]

Sue on suːwɒn] do it duːwɪt] go in [ɡoːwɪn

En observant la structure de ces voyelles en (6), on note que [iː] et [eː] ont en commun l’élément |I| comme tête, il semble donc logique que ce soit la propagation de ce dernier à une attaque vide qui déclenche l’insertion d’une glissante palatale j . De la même manière, les voyelles [uː] et [oː ont l’élément |U| comme tête, et ce dernier forme une glissante labiovélaire w lorsqu’il se propage à une position d’attaque. Dans cette variété, les voyelles qui déclenchent un ‘r’ de sandhi sont ə, ɛ, a, ɒ . Toutes ces voyelles contiennent l’élément |A| et Broadbent formule l’hypothèse que ce dernier, lorsqu’il est en position de tête, déclenche la formation d’une glissante ɹ . Cependant, |A| n’est pas en position de tête dans ə] et [ɛ] qui produisent pourtant du ‘r’ de sandhi (voir (6)). Dans une note de bas de page (1991 : 299), Broadbent concède : « Although this assumption enables us to account for r-formation it raises questions regarding the elemental composition of all non-high vowels, and clearly this requires further work. » Dans un travail plus récent, Boradbent (1999) propose donc de nouvelles représentations des voyelles finales de l’anglais de Leeds (voir ( ) ci-dessous) en utilisant l’approche de la Phonologie de Particules de Schane (19 4) dans laquelle |A| n’est pas une dimension extrême interprétable comme une voyelle maximalement ouverte, mais un élément d’aperture qui peut être réitéré, de sorte qu’un /ə/ comporte une unité d’aperture, et /a/, deux de ces unités. Nous reviendrons en 6.3.1.1 sur les implications de ce modèle pour la représentation des voyelles centrales.

116 (8) Représentations des voyelles produisant des glissantes en anglais de Leeds (Boradbent 1999 : 8)

voyelles déclenchant [j] voyelles déclenchant [ɹ] voyelles déclenchant [w] /i/ I /u/ U /e/ I /o/ U A A /ɛ/ A /ə/ A I /a/ A /ɒ/ A I U A A

Comme on le voit en ( ), les voyelles qui produisent un ‘r’ de sandhi ont toutes |A| comme élément dominant, au même titre que |I| domine les voyelles produisant [j], et |U| les voyelles produisant [w]. Broadbent (1999 : 9) souligne le rapprochement entre schwa et [r] qu’implique son analyse. En effet, si |A| est le trait principal de schwa, alors sa propagation à une position d’attaque équivaut à la propagation de schwa dans cette même position syllabique. Il s’agit selon Broadbent d’un indice du lien qui unit r et schwa, qui a déjà été observé sur des bases phonétiques par de nombreux auteurs (McMahon, Foulkes et Tollfree 1994, Gick 2002, Heselwood 2006). Broadbent suggère également que |A| représente le lieu d’articulation dans d’autres types de segments coronaux, dont /l/ et d’autres réalisations de /r/. Cette hypothèse soulève cependant de nombreuses questions. En effet, ce traitement se veut non-arbitraire, et présente le ‘r’ de sandhi comme une solution permettant d’éviter le hiatus après une voyelle non-haute. Si |A| représente la coronalité et que sa propagation à une position d’attaque déclenche l’apparition d’une consonne anti-hiatus, pourquoi alors aurait-on [ɹ] plutôt que [l] ou une autre réalisation de /r/ ? Il se pourrait que [ɹ] ne se compose que de |A| et que les autres segments coronaux incluent d’autres éléments, mais cette possibilité n’est pas couverte par Broadbent qui reconnaît que « A in an onset is a very imprecise structure » (1999 :17). La question du choix de [r] comme segment anti hiatus reste donc ouverte. Un autre problème signalé par Broadbent concerne le parallèle dressé entre le ‘r’ de sandhi et la formation des glissantes j et w . Catford (19 ) explique qu’il existe trois phases dans la production des voyelles ; « on-glide phase », « hold phase » et « off-glide phase ». Si l’on prolonge l’articulation des glissantes j ou w , on obtient les voyelles i et u . r, si l’on

117 prolonge l’articulation de ɹ], on entend [ɚ], un schwa coloré par ‘r’ ( r-colored schwa). Il semblerait donc selon cette expérience qu’un élément supplémentaire soit nécessaire pour caractériser [ɹ . Comme nous le verrons en 4.5, l’analyse de Harris (1994) se fonde également sur un lien phonologique entre [ɹ] et schwa, mais la composition de [ɹ] nécessite la présence d’un élément de coronalité |R|. Un traitement unifié des glissantes [j, w, ɹ] pose également problème lorsqu’on s’intéresse aux variétés rhotiques. En effet, comme nous le rappelle Giegerich (1999 : 2 7), l’anglais écossais standard produit des glissantes j, w , mais pas de ‘r’ de sandhi. Si l’on adopte le modèle de Broadbent, il faut rendre compte de l’absence de ‘r’ de sandhi en dépit de la présence de [j] et [w] de sandhi. De plus, dans beaucoup de variétés dont la RP, il est courant pour un mot comme buying d’être prononcé avec un hiatus baɪ-ɪŋ ou avec un affaiblissement du deuxième élément de la diphtongue (« smoothing ») [baːɪŋ (Durand 1990 : 206-207). Comme le souligne Durand (1997 : 69), il n’existe aucun équivalent du « smoothing » avec le ‘r’ de liaison, et si une analyse unifiant les glissantes j, w, r est soutenue, alors ce phénomène devrait également s’appliquer à ‘r’. Heselwood (2006 : 80) défend l’idée selon laquelle les cas de sandhi en [j] et [w] ne sont pas comparables au ‘r’ de sandhi : « While [j] and [w] can be explained as low-level articulatory transitional phenomena, my contention is that R-sandhi cannot. An interesting question in this regard is whether hiatus-breaking glides occur in languages that have no lexical glides. If glide-epenthesis requires the language in question to have the corresponding lexical glide (as implied in Uffmann, 2003: 17; 2005: 21) then the prediction would be that languages without lexical glides would not have epenthetic glides. If, however, hiatus-breaking glides are found in the absence of lexical glides, it would strongly suggest that they have a biomechanical origin, not a phonological origin. » Cruttenden (2008 : 306) considère également les liaisons en [j] et [w] comme des phénomènes transitionnels phonético-articulatoires, et souligne que la différence audible dans des paires minimales comme my ears [maɪ ʲɪəz] vs. my years [maɪ jɪəz] ou too-eyed [tuː ʷaɪd] vs. too wide [tuː waɪd] ne permet pas de dresser un parallèle avec les glissantes lexicales /j/ et /w/. En outre, Van Heuven et Hoos (1991) ont prouvé par une étude expérimentale en production et en perception qu’une distinction entre glissantes de transition (Wil Marie An zien) et glissantes phonémiques (Wil Marie Jan zien) existait chez les locuteurs néerlandais. A notre connaissance, aucune étude de ce type n’a été produite pour l’anglais. Enfin, il convient de noter que l’analyse de Broadbent s’appuie sur l’anglais de l’ouest du Yor shire (Leeds) dont le système vocalique est différent de celui de la RP ou d’autres

118 variétés non-rhotiques. Wells (1982 : 364) attribue également à /ɔː/ une qualité très ouverte donc proche de [ɒ] (sinon identique) en anglais de Leeds. La représentation de cette voyelle proposée par Broadbent a donc l’élément d’aperture |A| comme tête. Néanmoins, la RP possède uneopposition claire entre /ɒ/ (LOT, CLOTH) et /ɔː/ (NORTH, FORCE), et cette dernière a souvent une qualité très fermée, proche de [ɔ ]. Selon Broadbent (1991 : 290) et Harris (1994 : 107), la représentation de /ɔː/ est dominée par |U|. Cette voyelle devrait donc produire une glissante [w] et non un ‘r’ de sandhi.