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Définition et description du ‘r’ de sandhi

4 ‘R’ de sandhi : définition, description et modélisation

4.1 Définition et description du ‘r’ de sandhi

Le ‘r’ de sandhi est un phénomène qui a été très largement étudié par les phonologues s’intéressant à la langue anglaise. Ce phénomène de liaison est attesté dans la plupart des variétés non-rhotiques de l’anglais4, c’est à dire celles dans lesquelles le ‘r’ n’est pas prononcé lorsqu’il se situe dans la rime d’une syllabe (car [kɑː], cart [kɑːt], carpet [kɑːpɪt]). Cependant, ce ‘r’ peut se maintenir lorsqu’il est suivi d’un morphème ou d’un mot à initiale vocalique (store [stɔː] mais storing [stɔːɹɪŋ , far [fɑː] mais far away [fɑːɹəweɪ]). Cette alternance entre ‘r’ et Ø est observable dans des mots où un <r> étymologique (et orthographique) est présent, mais également dans des mots sans <r> orthographique (law and order [lɔːɹənɔːɹdə], drawing [dɹɔːɹɪŋ ). Par conséquent, la littérature linguistique et notamment les manuels de prononciation de l’anglais ont souvent scindé le ‘r’ de sandhi en deux sous-phénomènes : le ‘r’ dit de liaison » impliquant un <r> orthographique, et le ‘r’ dit « intrusif » ne correspondant à aucun <r> orthographique (respectivement linking-r et intrusive-r dans la terminologie anglaise). Il convient de manier cette dichotomie avec prudence dans la mesure où elle résulte de considérations normatives liées au système orthographique de l’anglais et pourrait, dans certaines variétés, ou tout au moins pour certains locuteurs, n’être qu’illusoire d’un point de vue phonologique.

Peu de travaux ont proposé une analyse du phénomène réalisée à partir de données réelles de parole spontanée ou lue. A notre connaissance, parmi les travaux majeurs publiés jusqu’à présent, seuls Bauer (1984), Foulkes (1997), Hay et Sudbury (2005) et Barras (2011) ont adopté cette méthodologie, en s’intéressant respectivement à la RP, à l’anglais de Derby et Newcastle, à l’anglais Néo-Zélandais, et à l’anglais de l’est du Lancashire. Par conséquent, les traitements théoriques qui ont été proposés se fondent sur des variétés telles qu’elles ont été observées par les phonologues, et reflètent souvent un comportement idéalisé laissant peu de

4 A l’exception de certaines variétés du sud des Etats-Unis (Bailey 1969, Wells 1982, Harris 1994 : 232) et de l’Afrique du Sud.

102 place à la variabilité. De ces travaux, nous nous proposons d’extraire différents types de variétés dont le comportement vis-à-vis du ‘r’ de sandhi est idéalisé.

La plupart des descriptions pédagogiques de l’anglais RP se basent sur un système où le ‘r’ de sandhi est le reflet de la présence ou de l’absence d’un <r> orthographique. Comme le note Cruttenden (2008 : 305) : « Prescriptivists seek to limit the allowability of linking /r/ to those cases where there is an <r> in the spelling. » Bien que mentionnée, dans les manuels de prononciation plus récents (Roach 2009 : 115), comme une caractéristique très répandue, l’utilisation du ‘r’ intrusif reste déconseillée et décrite comme incorrecte ou sous-standard. Si l’on observe les dictionnaires de prononciation de référence (Roach, Hartman et Setter 2006, Wells 200 ), on constate d’ailleurs que tous les mots ayant un <r> orthographique final (et seulement ceux-là) sont accompagnés d’un /r/ en exposant signifiant la réalisation possible d’un r lorsque le mot suivant est à initiale vocalique. Il semblerait donc que ce ‘r’ soit traité par ces auteurs comme un segment sous-jacent en attente d’une attaque vide lui permettant d’être réalisé. Un tel système pourrait être qualifié d’hyper-conservateur puisqu’il correspond, d’un point de vue diachronique, à la RP telle qu’elle aurait été prononcée dans les premiers temps qui ont suivi sa dérhoticisation. Nous appellerons variétés de type A celles qui correspondent à ce système, dans lequel les mots qui alternent entre ‘r’ et Ø sont exclusivement ceux qui ont un <r> étymologique en position finale. Il existe donc, dans les variétés de type A, une opposition lexicale entre par exemple pour /pɔːr/ et paw /pɔː/, et c’est de la non-réalisation en surface d’un /r/ sous-jacent dont il faut rendre compte. Dans un cadre génératif standard, ce phénomène pourrait prendre la forme d’une règle comme (1) :

(1) r → Ø / ___ {C, {+,#}C, ##}

Cette règle est en charge d’effacer /r/ lorsqu’il est suivi d’une consone, d’un morphème ou d’un mot à initiale consonantique ou d’une frontière de groupe rythmique (Mohanan 19 5 : 147-148, Durand 1990 : 126-128). Comme nous le verrons plus bas, les approches multilinéaires, en réintroduisant le concept de syllabe, absent de SPE, ont reformulé les conditions de l’effacement du /r/ en termes de positionnement syllabique : /r/ est effacé lorsqu’il est situé dans la rime d’une syllabe. Quelle que soit la formulation, l’intuition de base reste la même : le ’r’ de liaison dans les variétés non-rhotiques de l’anglais est un

103 segment sous-jacent, et sa présence ou son absence sont le reflet de l’évolution historique de la langue.

Dès les premières descriptions de la RP au début du XXe siècle, l’existence même de ce type de système soulève des questions. Daniel Jones, rigoureux observateur de la prononciation de l’anglais note la présence de r à la fin de mots qui en sont orthographiquement (donc historiquement) dépourvus, comme dans idea[r] of. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le point de vue de Jones sur ces ‘r’ non-étymologiques évolue au cours de ses publications. D’abord convaincu qu’il appartient à un groupe légèrement majoritaire n’utilisant aucun ‘r’ intrusif, et qu’il s’agit d’une caractéristique purement londonienne (Jones 1917), il reconnaîtra plus tard : « I occasionally found myself using intrusive /r/ » (Jones 1956 a, xxv). Il arrivera finalement à la conclusion que le nombre de locuteurs n’utilisant pas le ‘r’ intrusif est probablement réduit (Jones 1956b, § 66). La présence occasionnelle du ‘r’ intrusif semble signaler l’existence d’un système, que nous appellerons B, dans lequel règne un déséquilibre statistiquement significatif entre deux sous-phénomènes de sandhi : le ‘r’ de liaison, apparaissant à la fin de mots pourvus d’un ‘r’ étymologique (par exemple star, longer), est présent de manière catégorique, alors que le ‘r’ intrusif, inséré après une voyelle non-haute dans des mots comme draw ou sofa, est variable. Pour modéliser ce ‘r’ intrusif, on fait appel à une règle variable d’épenthèse de la forme (2) :

(2) Ø → r / V -haut] --- #V

Cette règle, active au niveau post-lexical, est chargée d’insérer un r entre une voyelle non-haute en position finale et un mot à initiale vocalique. L’existence d’une variété de type B dans laquelle l’utilisation du ‘r’ de liaison est catégorique mais où le ‘r’ intrusif est variable est rejetée par certains auteurs. Harris (1994 : 293, note 5) souligne que les locuteurs qui s’appliquent à éviter le ‘r’ intrusif suppriment également certains ‘r’ de liaison et que par conséquent les deux réflexes sont non-distincts.

Dès lors, certains auteurs pensent qu’il existe des variétés plus innovatrices » dans lesquelles le ‘r’ intrusif s’est généralisé au niveau post-lexical. Dans ces variétés, que nous appellerons « de type C » et qui correspondent par exemple à la description faite de l’anglais de Boston dans plusieurs travaux (McCarthy 1991, 1993), il ne semble plus y avoir de distinction entre les mots pourvus d’un ‘r’ étymologique et ceux qui se terminent

104 historiquement par une voyelle, de sorte que le ‘r’ de sandhi est présent de manière catégorique. Ainsi, Hughes, Trudgill et Watt (2005 : 65), parlant du sud de l’Angleterre, y décrivent l'intrusion comme « so automatic that if speakers with a southeastern-type English accent fail to use intrusive [r], especially after /ə/ or /ɪə/, they are probably non native speakers. » Ils soulignent cependant que beaucoup de locuteurs de ces variétés s'efforcent d'éviter l'intrusion au niveau lexical. n peut dès lors également postuler l’existence d’une variété C’ dans laquelle le ‘r’ de sandhi est variable au niveau lexical. Pour les variétés de type C, Wells (1982 : 222) formule une analyse dans laquelle le ‘r’ de sandhi est le résultat d’une règle unique d’insertion de type (2) qui agit sur des formes sous-jacentes à voyelle finale : « Instead of these alternations being produced by an /r/-dropping rule operating on underlying forms containing /r/, a new generation of speakers came to infer underlying forms without /r/, a phonetic /r/ … being introduced in the appropriate intervocalic environment by a rule of ‘r’ insertion .» Cette analyse a souvent été considérée comme un cas d’inversion (Vennemann 1972) dans lequel une règle chargée d’effacer un /r/ dans un contexte donné est ré-analysée en une règle chargée d’insérer un segment dans un contexte inverse. Ici, la règle (1) qui efface /r/ en position de coda sauf lorsqu’il est suivi d’une voyelle, est ré-analysée comme une règle qui insère un r à la frontière d’une voyelle non-haute et d’un mot à initiale vocalique (nous reviendrons à plusieurs occasions sur la question des voyelles non-hautes comme déclencheurs d’insertion). Ce traitement implique également une ré-analyse du lexique à l’issue de laquelle les formes sous-jacentes n’ont plus de /r/ en position finale, par exemple spar et spa partagent la même représentation sous-jacente /spɑː/. Ces ré-analyses du système dérivationnel et des représentations lexicales s’inscrivent dans la suite du processus diachronique de dérhoticisation de l’anglais. Par conséquent, le traitement par insertion présuppose que les systèmes de type C correspondent à une étape subséquente de l’évolution de systèmes traditionnels de type A, dans lesquels l’intrusion n’existe pas. Cette hypothèse est rejetée par Harris pour qui l’apparition du ‘r’ intrusif est indépendante du ‘r’ de liaison : « [T]he floating-r account is entirely neutral on the question of historical precedence » … « The historical evidence suggests that intrusive r has been around for a long time and that its emergence was originally motivated by a disfavouring of final schwa. » (Harris 1994 : 252-254). Si l’on accepte cette analyse pour les variétés de type C alors la distinction entre ‘r’ de liaison et ‘r’ intrusif devient illusoire d’un point de vue phonologique puisque elle ne repose que sur la représentation orthographique des mots.

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