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Géographie des relations économiques entre deux aires

P ARTIE I W ENZHOU , RENCONTRE D ’ UNE DIASPORA EN F RANCE

2.3 Géographie des relations économiques entre deux aires

Dans cette section, nous nous proposons d’expliquer les stratégies employées pour recueillir des données sur deux zones géographiques liées, le lieu de départ et celui d’arrivée, de la diaspora Wenzhou. Nous expliquerons les détails de notre stratégie d’élaboration de liens de confiance avec certains membres de la diaspora Wenzhou afin d’élargir notre réseau de connaissances à la fois sur le territoire français et en Chine. Cette stratégie, consolidée par plusieurs séjours sur le terrain, rappelle celle-là même mobilisée par les Wenzhou dans leurs efforts de développement économique et de mobilité sociale. Nous terminerons par un retour sur certaines des difficultés rencontrées dans le cadre de nos enquêtes sur le terrain.

2.3.1 Stratégie de l’enquête de terrain : la formation de liens de « confiance »

Comme nous l’avons déjà souligné, notre travail de recherche a nécessité plusieurs enquêtes de terrain dans la région parisienne et deux enquêtes de terrain à Wenzhou en Chine, afin de collecter les documents, procéder aux entretiens, mener des observations et recenser les commerces.

Le premier travail de terrain à Paris, réalisé en décembre 2011, dura deux semaines. Nous avions comme objectif de poser les jalons d’un ou de plusieurs séjours ultérieurs. Pour ce faire, il nous a fallu prendre en considération les conditions d’enquête et leur faisabilité dans les quartiers concernés par l’immigration de Wenzhou. Nous avons aussi répertorié les associations chinoises telles que l’Association des Chinois Résidant en France (ACRF) et l’Association Pierre du Cerf, avant de prendre contact avec les personnes susceptibles de posséder des sources écrites sur les migrants chinois en France. C’est ainsi que nous avons fait la rencontre de PHY et PYQ qui nous ont permis d’accéder aux réseaux des Guanxi (relations sociales/interpersonnelles) de la diaspora Wenzhou et ainsi facilité la conduite d’entretiens auprès de ses membres. Le Guanxi est un réseau de relations, et la pratique du Guanxi est la technique qui permet d’utiliser ces relations dans un but défini.

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2.3.2 Difficultés rencontrées : faire face aux éléments prévisibles et imprévus

Les difficultés rencontrées au cours de notre travail de recherche sont de deux sortes : les éléments prévisibles tels que notre méconnaissance du « dialecte » de Wenzhou, et ceux imprévus, tels que notre proximité insuffisante avec la population enquêtée due106 au fort sentiment d’appartenance partagé par les membres de cette

diaspora.

En ce qui concerne les éléments prévisibles, une expression maintes fois entendues dans nos entretiens illustre bien l’importance de la connaissance du dialecte de Wenzhou pour les Chinois de Paris : « Si tu ne sais pas parler français, ce n’est pas grave pour monter ta propre affaire ! Si tu ne sais pas parler anglais, ce n’est pas grave ! Mais si tu ne sais pas parler le ‘dialecte’ de Wenzhou, c’est très grave, car tu ne peux pas faire des affaires ». Pour un Chinois du nord comme moi, qui ne sait pas parler le « dialecte » de Wenzhou, il est difficile de s’intégrer au groupe des Wenzhou.

Dans la réalisation de notre étude, le « dialecte » de Wenzhou s’est présenté comme une « langue étrangère », n’ayant aucun rapport, à l’oral, avec le mandarin. Dans ce contexte, la réalisation des enquêtes sur le terrain, surtout les enquêtes auprès des commerçants à Wenzhou, a présenté certaines difficultés. Lorsque nous avons enquêté auprès de personnes âgées originaires à Wenzhou qui parlaient peu le mandarin, il faut nous a fallu l’aide d’un intermédiaire pour la traduction en mandarin. Notre intermédiaire travaillait dans l’administration, ce qui manifeste implicitement sa préférence politique, et engendrait de la prudence dans les discussions avec les personnes enquêtées. Ces difficultés dans la conduite de nos enquêtes ont été rencontrées sur tous nos terrains de recherche, en Chine comme en France. C’est donc dire que certaines informations divulguées lors d’entretiens ont pu se perdre, en raison de notre handicap linguistique. En revanche, nous avons pu reconnaître l’accent des personnes originaires de Wenzhou lors des périodes d’observation et des relevés des commerces, ce qui nous a permis de les identifier plus facilement.

En ce qui concerne les éléments imprévus, les originaires de Wenzhou installés à Paris que nous avons rencontrés nous ont souvent fait part de leur « nostalgie pour leur village natal » (sixiang zhiqing, 思乡 情). En effet, pour les commerçants originaires de Wenzhou à Paris, la confiance mutuelle est principalement issue de cette « nostalgie », que le « dialecte » de Wenzhou permet de traduire directement et de façon évidente. Mais, cette « nostalgie pour le pays natal » est un élément sentimental difficile à saisir lorsque l’on ne partage pas cette origine. Pour un Chinois du nord, distant des originaires de Wenzhou par la langue, il y a donc des difficultés dans la communication. Le fait d’être un Chinois du nord a ainsi constitué un handicap qu’il nous a fallu combattre.

Enfin, une autre contrainte à la conduite des entretiens avec certains des entrepreneurs de Wenzhou était due à leur indisponibilité ou au manque d’intérêt envers notre recherche.

106 Cela se manifeste essentiellement par une frontière immatérielle entre les Chinois Wenzhou et les

Chinois non Wenzhou. Cette frontière est souvent provoquée par le handicap de la non pratique du dialecte de Wenzhou et par la difficulté d’intégrer les cercles et les réseaux sociaux de Wenzhou.

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Si nous avons pu mener des entretiens à Wenzhou, c’est grâce à des personnes intermédiaires ou des amis personnels originaires de cette région et résidant maintenant à Paris ou à Poitiers, et qui nous ont aidé à créer des liens de confiance mutuelle avec les personnes enquêtées et ainsi de surmonter les difficultés liées à notre travail d’enquête. Le même constat vaut pour notre pratique d’observation participante, celle-ci a été aidée par des personnalités importantes de la diaspora Wenzhou à Paris.

Dans ce chapitre, nous avons présenté les lieux des enquêtés ainsi que la méthodologie appliquée aux quartiers étudiés. La délimitation des espaces étudiés a été mobilisée par la technique de relevé des commerces. En effet, ces relevés ont permis d’observer directement sur le terrain un élément essentiel de la mise en scène des commerces. Cette visibilité commerciale « chinoise » est très forte, et s’exprime d’abord par le biais des vitrines et des enseignes. Ces vitrines et enseignes affichent le plus souvent des idéogrammes chinois. Il est important de souligner une série d’observations sur les magasins chinois dans la rue des quartiers étudiés. Des enquêtes ont été réalisées auprès des commerçants sur place dans le magasin pour collecter leurs informations sur l’évolution de l’entreprise, de la clientèle, du quartier, de la marchandise et sur leurs parcours professionnels. Du point de vue plus technique et pratique, toutes ces observations de terrain ont été systématiquement retranscrites dans le cahier de terrain dans lequel figurent de brefs rapports et des documents photographiques. Ce support a été un outil de travail important pour notre analyse. Les techniques des relevés commerciaux et de l’observation sur le terrain ont permis de décrire une grande variété de niveaux de visibilité et de lisibilité de commerces chinois et d’en analyser les mises en scène.

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ONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

L’évaluation du nombre des Chinois d’outre-mer est très approximative en raison de la complexité de l’identification de la diaspora chinoise notamment dans les recensements de la population. Malgré ces approximations, ces chiffres nous permettent de disposer d’un aperçu global et d’un ordre de grandeur numérique pour apprécier la distribution de la diaspora chinoise dans le monde.

L’examen de l’évolution différentes évolutions de la diaspora chinoise au fil du temps, permet de constater que la diaspora chinoise la plus présente en Europe est celle venue de Wenzhou. La formation de la diaspora Wenzhou, comme celle de la diaspora chinoise, s’est réalisée autour de deux figures historiques : les commerçants (huashang) et les prolétaires (huagong). Ces deux figures emblématiques se sont constituées au sein de cette diaspora que l’on peut qualifier de « diaspora entrepreneuriale ».

La diaspora Wenzhou en France est en augmentation depuis les années 1980 et ce, de manière plus marqués depuis le tournant du siècle. Les quartiers d’installation des commerçants dans la région parisienne se sont transformés au gré de l’histoire des migrations internationales chinoises, dont la diaspora Wenzhou constitue une partie importante. Ces espaces, marqués par la concentration géographique de commerces et par la distribution en gros de produits chinois importés, sont investis et transformés par des entrepreneurs chinois de Wenzhou. Or, la majorité de ces entrepreneurs peuvent être qualifiés de diasporiques dans la mesure où ils maintiennent des relations économiques entre deux aires géographiques, la Chine et France et avec leurs homologues établis dans d’autres pays.

Nous avons mis en lumière la présence spatiale des commerçants chinois dans la région parisienne et leurs lieux de départ en Chine. L’émergence du quartier de l’implantation principale des commerces chinois, permet de souligner une dynamique de leurs activités économiques. Le maintien de la distribution de gros et du commerce d’import-export a ainsi eu pour conséquence de voir l’apparition de nouveaux rapports économiques et sociaux à travers la diaspora Wenzhou.

En dehors des méthodologies classiques, il est nécessaire de souligner l’importance de la formation des liens de « confiance » dans la stratégie de terrain. En effet, il est difficile d’enquêter auprès de ce type de groupes de migrants et la proximité autorisée par la confiance nous a permis de faire face aux éléments prévisibles et imprévisibles. À l’issue de notre enquête de terrain, il nous semble que l’usage Internet par les membres de la diaspora chinoise nous a été révélé par nos enquêtes. Nous avons alors orienté notre recherche sur l’étude d’un site créé par cette diaspora, notamment concernant les collectes des données scientifiques. Nous allons définir et expliquer cette méthode dans le chapitre 5 (cf.5.4). Enfin, nous espérons avoir contribué à l’édification

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d’une géographie des relations économiques entre deux aires, la Chine et la France, à travers ces différentes méthodes d’enquête mobilisées.

Par conséquent, les activités économiques d’une diaspora de diasporas nous permettent de faire l’hypothèse qu’il existe une reproduction en France de l’organisation économique de la diaspora Wenzhou. Ainsi, la diaspora Wenzhou a d’une part, connu un essor au point qu’émerge la concentration des commerces de gros en France, et a d’autre part, permis le développement économique de la région d’origine.

L’objectif de cette recherche est de montrer que la diaspora Wenzhou se sont regroupés et structurés en une organisation économique disposant de ses singularités et caractéristiques propres. Les parties qui suivent cette présentation dévoilent les positionnements de notre recherche et revient sur certains des choix méthodologiques pour l’analyse des caractéristiques économiques de la diaspora Wenzhou. Ces parties constituent un fil conducteur pour partir à la découverte du « Modèle de Wenzhou » tel qu’il a été étudié au cours de cette thèse. Nous allons dès à présent expliquer les éléments qui font la singularité de l’organisation économique de la diaspora chinoise issue de Wenzhou en France, et comment celle-ci s’articule avec le développement économique de la région d’origine en Chine.

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