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Marc Gaudry

F. Demande finale et flux sur le réseau On la retrouve bien dans la

3. L A SÉQUENCE CLASSIQUE À QUATRE ÉTAPES

3.2. La génération et la distribution

3.2.1. Considérées successivement

La Génération. La première étape est celle de l’explication des

productions ou émissions et des attractions, i.e. des vecteurs Tiet Tj

prédire la demande de services nouveaux comme par exemple le marché d’avions à décollage et atterrissage court (ADAC) reliant les centres villes par l’intermédiaire d’aéroports aménagés sur des parkings urbains jouxtant les CBD (Central Business District), ce qui était impossible en économie classique. En économie classique, il est impossible de dire quoi que ce soit sur le marché d’un nouveau bien sans expérience historique de la consommation de ce bien même si on connaît tout ce qu’on veut sur le marché des millions de biens existants. La simplification scalaire de la nature des biens adoptée au 19esiècle, de pertinence déjà douteuse dans les transports, avait vécu.

14. Par exemple, dans un modèle interurbain, l’usage de 20 ou 30 segments du marché des voyageurs serait considéré comme généreux alors que le même nombre pour expliquer le compor- tement de marchandises serait considéré comme à peine adéquat au regard de la diversité des besoins et des comportements des chargeurs en termes de transport.

qui sont les marges de la matrice O-D au Tableau 2, par les niveaux d’activité qui ont cours dans ces zones (i, j = 1, ... , ... , Z) :

Ti= p (Ai1,..., Aia,..., AiA) + ei (7)

et

Tj= a (Aj1,..., Aja,..., AjA) + aj (8)

où, dans le cas des voyageurs, les activités dominantes sont représen- tées par la population en (7) et les emplois en (8) et, dans cas des marchandises, par des variables comme la valeur ajoutée ou l’emploi. Ces équations contiennent généralement très peu de variables (sou- vent une ou deux) et sont toujours linéaires. Sauf erreur de notre part, on n’utilise encore pour ces régressions que les valeurs non nulles des vecteurs de Z observations : nous n’avons jamais vu de Tobit utilisé à cette étape pour exploiter les observations nulles qui, elles aussi, contiennent de l’information.

Plus étonnant, elles ne contiennent généralement pas de variables sur la disponibilité du parc de voitures particulières ou d’autres équi- pements de transport et aucune variable de prix ou de distance ou de temps de transport. La pratique de cette étape n’a guère changé depuis ses origines malgré quelques essais épars et minoritaires d’introduire dans les équations (7) et (8) des variables d’accessibilité ou de centra- lité qui permettraient ensuite de modéliser à cette étape15un effet de

retour des modifications de réseau.

Du point de vue de la théorie économique, les résultats sont inter- prétables comme des coefficients d’input ou d’output fixes : on expli- que la production et le besoin en « déplacements » ou en « tonnes ». Mais on n’explique pas (encore) des passagers-km ou des tonnes-km : on ne sait pas où vont les émissions et comment seront satisfaits les besoins définis par l’attraction, car on répondra à ces questions à la seconde étape.

Il faut avouer que les travaux des économistes pour représenter le rôle des transports dans la fonction de production des entreprises en sont toujours à leurs premiers balbutiements : le transport n’est pas (encore) un facteur de production et il n’a aucune productivité propre, et encore moins de productivité différenciée par mode. Il n’y a pas encore de substitution entre les formes de transport et les stocks ou d’autres intrants comme les communications, ce qui implique que les

15. L’usage de variables d’accessibilité dans les procédures explicatives de l’utilisation du sol est autre chose et concerne un autre niveau de la modélisation.

flux tendus sont sans justification théorique, sauf l’exception visible de Baumol et Vinod (1970).

Lors d’un examen que nous avons fait en 2000 de plus de 800 modèles calculables d’équilibre général, aucun de ceux qui incor- poraient le transport (moins de 2 %) ne le traitaient autrement que comme une « taxe » : ce n’était un facteur de production pour aucun économiste.

Il apparaît comme facteur de production et de localisation dans nombre d’études de développement régional mais son rôle y est tou- jours ad hoc et d’interprétation difficile parce que la mesure du capital transport est alors commune à toutes les activités de la zone et ne fait pas partie au sens strict, mesurable et différencié, de la fonction de production des firmes et des ménages ; ces fonctions sont d’ailleurs souvent moins bien formulées que (7) et (8) et leur identification économétrique est souvent au mieux ignorée.

La distribution. Les sources Tiet les besoins en personnes et tonnes

Tjétablis, on passe à l’étape de la distribution qui expliquera en fait la

distribution des longueurs des déplacements, par une modélisation

sous contrainte des flux de la matrice O-D elle-même. On part de :

Tij = g (Ti, Tj, Uij) + eij (9-A)

qu’on reformule ensuite pour refléter l’imposition des doubles contraintes décrites plus bas :

Tij = gc( [Êi, Âj], Ti, Tj, Uij) + e*ij (9-B)

où Uij est une mesure de l’utilité (ou de la désutilité) associée au

parcours de i à j et [Êi, Âj] désignent les facteurs d’ajustement qui font

respecter les doubles contraintes, respectivement sur les émissions et les attractions. Dans les premiers modèles, la distance de i à j est utilisée comme métrique de Uij mais des mesures plus complexes,

comme le coût généralisé (une combinaison habituellement linéaire d’argent et de temps) ont rapidement vu le jour pour cette « impé- dance ».

La forme fonctionnelle universellement utilisée pour (9) est celle d’un modèle gravitaire, donc multiplicatif, dont le seul paramètre estimé est celui de Uij, parce que les paramètres de puissance des

« masses » à l’origine et à la destination y sont arbitrairement fixés à 1. En milieu urbain, les élasticités ainsi estimées par rapport à la distance varient généralement de -1 à -3 selon le motif de déplacement des personnes : le motif travail est celui pour lequel la distance freine le moins et le motif personnel celui pour lequel il freine le plus ; en milieu

interurbain, elles sont supérieures en valeur absolue à -1 tant pour les personnes que pour les marchandises.

Une dimension fondamentale de l’estimation de ce paramètre de

Uijest le fait qu’elle soit faite sous les doubles contraintes suivantes

pour que les valeurs calculées Tij* fournissent une destination à toutes

les émissions et satisfassent exactement à tous les besoins d’attraction :

Ti=

j Tij* = Oi (10)

Tj=

i Tij* = Dj (11)

En conséquence, puisque les « marges » de la matrice sont repro- duites, l’estimation ne produit qu’une distribution des longueurs des flux, ce qui fournit le kilométrage « manquant » aux quantités de per- sonnes ou de tonnes modélisées à l’étape précédente. Ces contraintes sont souvent jugées comme étant raisonnables et un effort d’impor- tance est fait pour les imposer lors de l’estimation, surtout depuis que Wilson (1967, 1970) a dérivé ce modèle à doubles contraintes de la maximisation de l’entropie.

Du point de vue de la théorie économique, toutefois, l’assujettisse- ment à ces doubles contraintes impose, peut être involontairement, une structure arbitraire très particulière aux erreurs de régression e*ij

en (9-B) et nous pensons que l’estimateur est de ce fait biaisé.

Mais il engendre de surcroît et presque involontairement une pro- priété très particulière du modèle (9-B) en apparence gravitaire : suite à des modifications des coûts de transport sur une liaison ij, les flux seront réaffectés sur d’autres chemins pour satisfaire aux doubles contraintes : les termes Êiet Âjsont en effet fonctions de l’ensemble

des {Uij} et contiennent donc autre chose que des utilités Uijassociés à

la paire ij considérée, même si cela n’est pas apparent en (9-B). Il se produira donc une substitution entre les chemins qui changera la struc- ture spatiale de la matrice O-D. Cette propriété automatique disparaît naturellement si on n’impose pas les doubles contraintes, dans quel cas on revient à (9-A), ou si on n’en impose qu’une seule.

En fait, les doubles contraintes transforment profondément un modèle de demande où, en apparence, la taille du flux pour une paire origine-destination ij ne dépend que de ce qui se passe en i, en j, ou en

ij. Plus précisément, en (9-A), le coût de transport de i à j n’influence

que le flux sur cette liaison et n’a aucun effet sur les autres flux ik ou nj. Les doubles contraintes modifient cette propriété d’utilité séparable entre les flux sans que la structure de la substitution-complémentarité de (9-B) n’ait été explicitée autrement que comme une obligation comptable. Pour ces raisons, beaucoup de chercheurs préfèrent

regrouper les deux premières étapes en une seule et faire jouer aux prix un rôle clair sur le niveau et la longueur des flux justement en partie parce qu’ils n’utilisent pas les doubles contraintes.

3.2.2. Combinées en une étape

Si on remplace les « marges » par leurs facteurs explicatifs dans (9), et si on ajoute une variable bij indicatrice de la présence éventuelle

d’une frontière entre les zones considérées, le modèle devient :

Tij = g(Ai, Aj, Uij, bij) + eij, (i, j = 1, ... , Z) (12)

qui est en principe de forme quelconque et vise l’explication conjointe du niveau et de la distribution des flux.

Or il existe depuis longtemps pour ce modèle une pratique de la forme multiplicative, dite aussi « gravitaire », mais sans doubles contraintes, comme chez Newton16(1684). Déjà Lill (1891) utilisait un

modèle explicitement gravitaire des flux interurbains de voyageurs par train, comme l’ont fait approximativement nombre d’études de l’entre- deux guerres dont l’étude sur les marchandises de Morgenstern (1936) qui établit des flux internationaux en tonnes et en valeur avant de discuter du choix modal. Appliqué aux flux interrégionaux et interna- tionaux, le modèle s’est enrichi très tôt d’une mesure des « effets- frontières » dans l’explication des flux de transport et, un peu plus tard, dans l’explication des flux commerciaux et de communication.

Le succès empirique de ce modèle dans sa forme multiplicative est extraordinaire : des milliers d’applications, tant voyageurs que mar- chandises (à condition que leur niveau d’agrégation des flux soit suffi- sant), ainsi qu’aux flux commerciaux en valeur – et à toutes les échelles (urbaine, interurbaine, internationale). On peut dire qu’aucun modèle économique n’a eu plus de succès que le modèle gravitaire.

Du point de vue de la théorie économique, il semble compatible avec beaucoup de théories du commerce international. Toutefois, le fait que les flux indicés de i à j ne dépendent que de variables indicées en i, en j ou en ij, en fait une structure compatible avec l’axiome IIA (Independence from Irrelevant Alternatives) de Luce qui exige que les rapports de probabilité de choix entre deux « alternatives » ou choix ne dépendent que de leurs caractéristiques en propre et pas de celles des autres possibilités. Du point de vue de l’interprétation économi- que, il s’ensuit qu’il n’y a aucune concurrence ou complémentarité

16. Chez Newton, la constante gravitationnelle G, appelée aussi constante universelle de