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Marc Gaudry

F. Demande finale et flux sur le réseau On la retrouve bien dans la

16. Chez Newton, la constante gravitationnelle G, appelée aussi constante universelle de gravitation, comme son nom l’indique, ne varie pas par paire de corps considérée Le modèle (12)

3.3. Le choix modal et l’affectation

3.3.1. Considérés successivement

Le choix modal, d’abord agrégé. La plupart des déplacements sont,

au sens strict, intermodaux parce qu’ils se font par une combinaison de modes (e.g. accès à pied et autobus ; taxi et avion) analogue à celle du transport (combiné ou) intermodal des conteneurs et caisses mobiles. Dans ces conditions, si le problème du choix entre modes pour aller d’une origine à une destination est formulé comme un choix entre modes principaux, il est entendu que choisir un mode principal n’exclut pas l’usage d’autres modes pour une petite portion du trajet, ou qu’on peut définir pour les cas limites des combinaisons particuliè- res de modes principaux articulés en configurations complémentaires (e.g. park and ride, kiss and ride).

Formulés dans cette perspective des modes principaux, les premiers modèles de choix modal, formulés pour expliquer le choix entre le transport en commun (TEC) et la voiture particulière (VP), utilisaient au milieu des années 1950 des fonctions assez simples établissant une relation, souvent variable en fonction du niveau de motorisation donné dans la zone d’origine, entre la part de la voiture et le ratio des temps de transport par les deux modes considérés, ce qu’on peut écrire :

(partVP)ij= f ([(tempsVP)ij/ (tempsTEC)ij], [taux d’équipement VP]i) + µij (13)

où le rapport des temps de transport VP/TEC trace pour la part une « courbe de diversion » ou de détournement.

La forme linéaire. Typiquement linéaires et estimées par la

méthode des Moindres Carrés Ordinaires (MCO), ces fonctions posaient des problèmes de prévision. La simulation des effets d’une modification du ratio des temps de transport ou d’une autre variable (ou leur combinaison) pouvait19prédire une part négative ou une part

plus grande que 100 %.

Par ailleurs, le genre de formule (13) se prêtait mal aux cas où plusieurs modes sont en concurrence, même si elle pouvait être élargie pour tenir compte des prix des modes. On est donc rapidement passé à des formulations qui, par construction, rendaient impossibles des pré-

19. Ce qui est impossible par construction dans l’échantillon utilisé pour l’estimation, mais normal dès qu’on sort du domaine échantillonnal à des fins de simulation ou de prévision.

visions de parts négatives et ne sommant pas à 100 % tout en accom- modant en même temps plusieurs modes, chacun d’eux étant caracté- risable par un vecteur de propriétés (e.g. tarif, temps de trajet, fréquence).

La forme multiplicative. La première formulation complète et

cohérente qui s’imposa, surtout en modélisation interurbaine, fut le modèle de parts multiplicatif (McLynn et al, 1968) et ses diverses variantes, en fait identique au modèle « Multiplicative Interactive

Competition » (MIC) déjà connu de la littérature du marketing quan-

titatif :

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et qui permettait d’expliquer la part pidu mode i (i, j = 1, ..., M) à l’aide

de ses k caractéristiques Xiken comparant son « attractivité » à celle de

l’ensemble des possibilités regroupées au dénominateur.

Rapidement, ce modèle devint par ailleurs le cœur de la modélisa- tion des flux commerciaux (Armington, 1969) et il est encore utilisé dans ce contexte, en particulier dans les modèles calculables d’équili- bre général des flux commerciaux internationaux, car il autorise pour chaque type de bien des importations et des exportations sur le même

lien. En dépit de certaines théories sur la spécialisation internationale,

comme Heckscher-Ohlin-Samuelson (H-O-S), on observe que la plu- part des biens (e.g. voitures, machines-outils, nourriture) sont à la fois exportés et importés par beaucoup de pays et se comportent de facto comme les flux modaux bidirectionnels des modèles de transport et de communication sans qu’on ait vraiment besoin de la concurrence monopolistique entre produits légèrement différenciés pour le com- prendre.

La forme du Logit Multinomial Linéaire. Peu après une véritable

vague de ces modèles multiplicatifs, un autre modèle de parts apparut, qui évitait aussi les inconvénients de la forme linéaire de (13) : le modèle Logit multinomial appliqué à des parts. Ce modèle :

comprend des fonctions « d’utilité représentative » (pour employer la terminologie postérieure qui s’imposera après 1975 dans le cas d’appli-

cations aux choix discrets) linéaires : Vi= bi0+

n b i inX i n+

s bisXs+ ui (16)

où les variables explicatives utilisées dans chaque fonction Vi sont

partagées entre des variables Xnqui la décrivent et varient en consé-

quence entre les modes (e.g. tarif, temps de marche, temps d’attente et temps dans le véhicule), et des variables Xssocioéconomiques commu-

nes qui ne varient pas entre les modes ou « alternatives » (e.g. le revenu ou le sexe des voyageurs). L’indice de mode est utilisé en exposant afin de faciliter plus loin une écriture plus générale qui auto- riserait que les caractéristiques de tous les modes, comme leurs prix, soient utilisées dans toutes les fonctions d’utilité représentative (dont l’identifiant se trouve en indice).

Utilité et armature du modèle de demande. Du point de vue de la

théorie économique, les auteurs de ce modèle de parts (Ellis et Ras-

sam, 1970) reliaient pour la première fois l’interprétation des fonctions (16) à l’utilité, relation qui allait sous peu être rendue biunivoque par les démonstrations de Domencich et McFadden.

Ces démonstrations permettraient de déduire la forme même du modèle de demande à partir d’hypothèses sur la distribution du terme d’erreur de (16) plutôt que d’accepter la forme d’un modèle de demande sur une base ad hoc. Elles établiraient aussi qu’il y a relation biunivoque entre par exemple : (i) la forme Logit (15) et des erreurs qui obéissent à des lois de distribution Weibull (1939, 1951) indépen- dantes entre les fonctions d’utilité représentatives ; (ii) la forme Probit et des distributions normales ou gaussiennes (Gauss, 1823) des mêmes erreurs ; (iii) ... et ainsi de suite pour la distribution arc tangente et d’autres distributions. Une révolution à plusieurs égards20.

20. Du point de vue de l’histoire de la théorie économique, on peut constater que c’est la deuxième fois que la résolution des problèmes pratiques de modélisation de la demande de transport apporte une contribution fondamentale aux sciences économiques. Toutefois, dans le premier cas, celui de Dupuit (1844) qui est un auteur d’inspiration et de tendance marginaliste, l’utilité du consommateur est vraisemblablement déjà d’esprit plutôt ordinal alors qu’ici elle est fermement de type cardinal. Cela signifie que l’industrie qui s’est développée depuis 1975 sur la base du modèle Logit utilise tous les jours de manière convaincante des modèles qui nient en pratique une conquête de la théorie de la demande du 19esiècle, celle de l’optimum du consomma-

teur calculé sans référence au niveau de l’utilité. On abandonne ainsi la perspective ordinale qui ne s’intéresse qu’aux ratios des utilités marginales sans jamais en mesurer le niveau et on la remplace par une mesure très précise du niveau de l’utilité des alternatives qu’on discute à la cinquième décimale près ! Est-ce un progrès ou autre chose ?

Cette révolution : (i) inséra l’aléatoire dans la formulation même des fonctions d’utilité, traditionnellement déterministes ; (ii) établit l’existence d’un lien analytique biunivoque, et donc nécessaire, entre la forme de la fonction de demande et la formulation de fonction d’utilité sous-jacente dont elle était dérivée au sens strict, lien sans précédent comparable dans l’analyse des systèmes de demande où dominait alors le modèle de Rotterdam (Barten, 1969) parmi divers systèmes complets de demande (Brown et Deaton, 1971).

Comme l’a fait remarquer lui-même Deaton (1974) dans une étude qui lui valut le Prix Ragnar Frisch de 1979, la pratique de l’estimation des fonctions de demande était toujours prisonnière du dilemme sui- vant : soit on choisissait une fonction d’utilité, et alors la forme de la fonction de demande était indéterminée, soit on imposait à des fonc- tions de demande ad hoc et arbitraires des contraintes qui les ren- daient théoriquement conformes aux propriétés souhaitées de l’une ou l’autre fonction d’utilité, et alors la liste des variables était indétermi- née car on ne savait pas quelles variables paramétrer21. Mais on ne

dérivait pas22la forme exacte de la fonction de demande de ces fonc-

tions d’utilité déterministes qui supposaient une parfaite connaissance des préférences et définies sur des biens « scalaires ». McFadden éta- blissait un tandem utilité-demande en affirmant : « La forme de la fonction de demande est cela si et seulement si la fonction d’utilité est

ceci ; et inversement. »

Émergence des choix discrets. Si toutes les formulations mention-

nées dans les équations de (13) à (15) sont bien des modèles de parts parce qu’elles sont appliquées à des données agrégées, l’étude de Char-

les River Associates de 1972 (Hall et McFadden, 1972) remaniée23et

publiée ensuite comme livre (Domencich et McFadden, 1975), non seulement resserrait le lien avec l’utilité décrit plus haut mais estimait

21. Pour citer le texte lui-même : « [There is] a basic dichotomy between utility and demand which runs through all of the empirical literature. Demand models may be derived either by the selection of a utility function or by the arbitrary specification of a system of equations which may then be modified according to the utility theory. If we choose the first course of action, we have the difficulty of the choice of functional form ; if we choose the second, we have the difficulty of choice

of variables to parametrize. In both cases, because of the mathematical complexity of a conversion

from one to the other, a decision may have unexpected or untoward consequences » (op. cit., p. 342).

22. Par contre, la théorie de la dualité établissait déjà bien des points de passage entre utilité et demande, mais la relation entre la forme de la fonction d’utilité et celle de la fonction de demande n’y est pas toujours aussi clairement bidirectionnelle que dans le cas du modèle Logit ou Probit.

23. La remarquable annexe qui montre les difficultés de formuler des fonctions de demande modales agrégées quand les biens sont de nature vectorielle n’a malheureusement pas été repro- duite dans le célèbre livre. Pour un exposé des problèmes rencontrés durant les années 1960 avec les fonctions agrégées en milieu urbain et un résumé des principales formulations, voir la première partie du rapport fait dans le cadre du projet européen STEMM (Gaudry et al, 1998).

les paramètres de modèles Logit linéaires aux fonctions (16) réinter- prétées avec données individuelles ou discrètes, données qu’avait utili- sées Warner (1962) dix ans avant cette réinterprétation.

Dans la foulée, confortée par l’explicitation du lien avec l’utilité, une vague considérable de travaux firent du Logit Linéaire, appliqué le plus souvent aux choix discrets (individuels), la base d’une reprise du processus classique qui, commençant avec succès par le choix modal, s’étendit bientôt aux quatre étapes de la séquence classique, mais alors avec un succès bien moindre, à mesure que les questions posées se rapprochaient de l’explication de la décision de se déplacer et remon- taient une à une les marches des étapes précédentes.

En effet, s’il est facile de décrire les caractéristiques des modes qui n’ont pas été choisis (ce qui est essentiel à la calibration du modèle de choix modal), il est beaucoup plus difficile de décrire (dans un modèle de distribution) les caractéristiques des déplacements pour motif achats ou travail qui n’ont pas été faits, et plus difficile encore de faire (pour un modèle de génération) la liste des caractéristiques des activi- tés concurrentes aux déplacements effectués mais qui, elles, n’ont pas été réalisées.

Quant à l’affectation, l’usage du Logit (Dial, 1971), dont la Loi

d’Abraham (e.g. Abraham, 2001) est en France un cousin proche24, n’y

fut jamais dominant comme il l’était et l’est toujours pour le choix modal, car d’autres méthodes étaient considérées comme plus convaincantes à divers égards ou, en situation de congestion, plus favorables du point de vue algorithmique et du coût de calcul.

La floraison baroque de 1977. On peut dériver le Logit Multinomial

de plusieurs manières, mais aucune n’a eu autant d’influence que celle de Domencich et McFadden dont le succès est sans doute imputable au rapport bidirectionnel intime établi entre l’armature du modèle et l’utilité aléatoire25.

La vague du Logit a aussi été favorisée par la facilité relative d’estimation de ses paramètres, par opposition par exemple à ceux du

24. Contrairement à ce qu’on a pu dire ou écrire (Leurent, 1999), ce modèle cesse d’être un « Logit logarithmique » dès que la mesure d’impédance qu’il utilise possède plus d’un terme : par exemple, l’usage d’une combinaison linéaire de temps et d’argent en fait un modèle unique qui n’est plus un cas particulier du Logit Box-Cox Standard [(15) et (19)]. Voir le détail dans Gaudry (2006).

25. On peut obtenir le Logit comme sous-produit de la dérivation du modèle gravitaire de