• Aucun résultat trouvé

Généralisation des modèles beckeriens sur le cycle de vie

Fécondité et activité des femmes : perspectives théoriques

2.2 Les modèles sur le cycle de vie

2.2.1 Généralisation des modèles beckeriens sur le cycle de vie

Robinson et Tomes (1982) formulent un modèle à deux régimes afin d’étudier la décision d’avoir des enfants et les choix d’activité dans la famille sur le cycle de vie. Comme Becker (1965), ils considèrent qu’une partie significative du temps des mères est dévolue aux enfants. Ils étendent le modèle de Becker (1965) en considérant un modèle sur longue période, au cours du cycle de vie, dans lequel l’offre de travail du mari et le nombre d’enfants sont endogènes. Le ménage maximise au moment du mariage sa fonction d’utilité à une période sur son horizon de vie commune sous sa contrainte budgétaire. La fonction d’utilité dépend notamment de la quantité et de la qualité endogène des enfants. Les agents sont en situation d’information parfaite : ils déterminent leurs choix en considérant la totalité de leur chronique de revenus, sur l’ensemble de leur vie. La contrainte temporelle est écrite sur le cycle de vie : le temps total disponible est la somme du temps total passé sur le marché du travail par les deux époux et du temps total passé dans la sphère domestique. La seule « solution en coin » possible concerne le travail des femmes : elles peuvent ne pas travailler du tout sur leur cycle de vie alors que les hommes sont supposés travailler au moins à un moment sur leur cycle de vie. L’idée est que considérer un modèle sur le cycle de vie plutôt qu’un modèle statique peut modifier les conclusions standard sur le coût d’opportunité en temps que représente la présence d’enfants sur l’offre de travail des mères. Selon les auteurs, le coût d’opportunité en temps est vraisemblablement plus important pour les enfants d’âge préscolaire, alors que le coût financier s’accroît avec l’âge des enfants. Sur le cycle de vie, l’importance relative de ces deux coûts et leurs conséquences nettes sur l’activité des femmes sont donc ambiguës.

Les auteurs distinguent deux régimes selon que l’épouse a déjà travaillé ou non : dans une première sous-population, les femmes n’ont jamais travaillé, dans une seconde, elles ont au moins travaillé pendant une période. A partir d’une comparaison entre les deux régimes, ils analysent le coût d’opportunité en temps que représente la présence d’enfants en termes de salaire pour les mères. Leurs résultats théoriques indiquent que les comportements de fécondité et d’offre de travail des familles diffèrent selon que la femme a déjà travaillé ou

non. En raisonnant sur le cycle de vie, ils ne retrouvent pas le résultat de Becker selon lequel le salaire féminin a un effet négatif sur la fécondité. Dans les familles où la femme est active pendant au moins une période sur son cycle de vie, plus le salaire est élevé, plus le nombre d’enfants est important. Un accroissement de salaire a théoriquement deux effets opposés sur la demande d’enfants : le coût financier que représentent les enfants induit un effet positif du salaire sur la demande d’enfants, alors que le coût d’opportunité en temps que représentent les enfants induit un effet négatif du salaire sur cette demande. Au total, sur le cycle de vie, les estimations empiriques sur le recensement canadien de 1971 indiquent que l’effet positif du revenu l’emporte. En contrôlant des biais de sélection pouvant affecter la partition entre les deux régimes (méthode d’Heckman (1979)), les auteurs trouvent qu’un accroissement du salaire de la femme sur son cycle de vie accroît le nombre final d’enfants. Cependant cet effet n’est significatif qu’au seuil de 10%. En revanche, lorsqu’ils divisent l’échantillon selon la participation courante de la femme, leur modèle conforte le résultat standard selon lequel le salaire et le nombre d’enfants sont corrélés négativement. Dans ce cas, le coût d’opportunité en temps est plus important et l’effet négatif du salaire sur le nombre d’enfants l’emporte. D’après les auteurs, leur résultat suggère que, lorsqu’ils sont jeunes, les enfants représentent un coût d’opportunité en temps d’autant plus grand pour les mères que leur salaire est élevé (ce qui peut expliquer la corrélation négative entre nombre d’enfants et participation courante), mais que globalement, sur le cycle de vie, cet effet n’est pas dominant, et que l’effet positif du coût financier des enfants l’emporte.

Ils s’intéressent également à la coordination des temps domestiques dans le couple : quand l’un des conjoints accroît son temps domestique, l’autre augmente-t-il le sien ou le réduit-il ? Autrement dit, les temps domestiques des conjoints sont-ils complémentaires ou substituables ? L’effet du revenu d’un des époux sur l’offre de travail de l’autre époux (élasticité croisée) est ambigu. Les auteurs supposent que l’élasticité directe est positive : si le salaire d’un des conjoint augmente, son offre de travail augmente. L’effet revenu d’une hausse du salaire d’un époux réduit l’offre de travail de l’autre époux. L’effet de substitution dépend directement de la coordination des temps des conjoints. Ainsi, si le temps de la femme et du mari sont complémentaires (utilisés de façon intensive dans la consommation ou la production du même bien domestique), l’effet de substitution entraîne une baisse du temps alloué par le conjoint à la sphère domestique et donc une hausse de son offre de travail. En revanche, si le temps de la femme et du mari sont des substituts (utilisés de façon intensive dans la consommation ou la production de biens domestiques différents, en cas de spécialisation des rôles par exemple), l’effet de substitution entraîne une baisse de l’offre de

travail du conjoint. En résumé, si on suppose que les temps des époux sont des substituts, l’effet de substitution est négatif, et une hausse de revenu d’un des conjoints entraîne une diminution de l’offre de travail de l’autre conjoint. En revanche, si les temps des époux sont complémentaires, l’effet de substitution est positif, et comme l’effet revenu est négatif, l’effet net est indéterminé. Les résultats empiriques indiquent qu’un accroissement du salaire du mari sur le cycle de vie accroît la probabilité que la femme travaille au moins pendant une période. L’élasticité croisée du revenu du mari par rapport à l’offre de travail de la femme est positive : les temps de la femme et du mari sont complémentaires. En revanche, un accroissement du salaire courant du mari réduit la probabilité que la femme travaille durant cette période.

Ces résultats, issus d’un modèle de cycle de vie, sont très différents des résultats issus d’un modèle statique où l’on considère simplement l’activité courante. La participation courante et la participation sur le cycle de vie sont deux dimensions différentes de l’offre de travail.