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La France : entre modèle « social-démocrate » et modèle « conservateur »

Politiques familiales et conciliation entre vie familiale et vie professionnelle

5.2 Les politiques familiales en Europe

5.2.2 La France : entre modèle « social-démocrate » et modèle « conservateur »

Le modèle français offre une sorte de compromis entre le modèle « social-démocrate » et le modèle « conservateur ». Jusqu’en 1970, le modèle français ressemblait davantage au modèle « conservateur ». Depuis, et malgré des différences majeures, il semble se rapprocher du modèle « social-démocrate ».

La France se rapprochait du modèle rhénan en ce sens que certaines politiques familiales incitaient les mères à se retirer au moins temporairement du marché du travail. A la fin du 19ème siècle, la législation sur le travail des femmes et des enfants, qui constitue une innovation de l’Etat français, a pour but de préserver l’unité de la famille et non de promouvoir les droits individuels des femmes. Après la seconde Guerre mondiale et jusqu’en 1962, les politiques familiales françaises sont natalistes et encouragent explicitement les mères à rester au foyer à partir de la seconde naissance, notamment à travers l’introduction de l’Allocation de salaire unique. La politique familiale était alors envisagée dans une perspective d’opposition entre natalité et travail féminin. « En 1954, hors agriculture, 82% des mères ayant deux enfants à charge et 90% des mères en ayant trois, [étaient] au foyer » (Martin, 1998). Cette faiblesse des taux d’activité des mères d’au moins deux enfants, et surtout leur diminution après la seconde Guerre mondiale, semble résulter en partie du caractère particulièrement incitatif de l’Allocation de salaire unique et des allocations familiales. En 1954, elles équivalaient à 50% du salaire moyen d’une ouvrière à cette date

pour les mères de deux enfants et à 82% pour les mères de trois enfants (alors qu’elles n’étaient que de 17% pour les mères d’un seul enfant)58.

Le modèle social français se rapproche du modèle « social-démocrate » en ce sens qu’il se caractérise traditionnellement par une intervention publique importante visant notamment à encadrer la vie familiale et professionnelle à travers un droit civil et un droit du travail développés et des aides financières conséquentes59. Depuis les années 1970, la politique familiale a moins tendance à opposer fécondité et travail des femmes et par conséquent à inciter les mères à rester au foyer. La notion de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle commence à émerger en tant qu’instrument permettant aux femmes d’accéder à l’égalité et d’acquérir une autonomie économique par le droit au travail au même titre que les hommes. Depuis la fin des années 1990, la politique familiale française s’est orientée plus précisément vers la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Notons par exemple que la moitié de la Conférence de la Famille 2005 était consacrée au thème de la conciliation.

Les mesures de la politique familiale française de ces vingt dernières années relevant d’une logique de conciliation sont principalement de trois ordres : les congés indemnisés accordés à la naissance, le congé parental rémunéré, et la garde des jeunes enfants60. Certaines de ces mesures relèvent davantage du modèle « conservateur » tandis que d’autres se rapprochent du modèle « social-démocrate ». « Au cours des années 1980 et 1990, des mesures qui aident les femmes à concilier emploi et vie familiale ont été mises en place, parallèlement à d’autres cherchant à restreindre leur offre de travail…Ainsi, l’investissement réalisé en matière de services de garde d’enfants et la diversification des aides financières accordées aux différents modes de garde…ont facilité l’emploi des femmes ; mais la création, puis l’extension, de l’Allocation parentale d’éducation a incité les mères de trois, puis en 1994 de deux enfants, à se retirer…de l’emploi…La coexistence de ces deux orientations résulte d’un compromis…où l’Etat cherche à faciliter l’insertion des femmes dans l’emploi à temps plein (même lorsqu’elles ont un premier enfant), tout en incitant les mères de famille plus étendue à se retirer du marché du travail » (Thévenon, 2004).

58 Martin (1998).

59 A titre d’exemple, les dépenses de l’Etat français en faveur des familles s’élevaient en 2004 à 3% du PIB, ce

qui est largement supérieur au niveau moyen des dépenses consacrées à la famille par les pays de l’OCDE (1,8%), mais inférieur à la moyenne des pays scandinaves (4%).

Au moment de la naissance d’un enfant, la mère bénéficie d’un congé de maternité de 16 semaines61 et depuis janvier 2002, le père dispose d’un congé de paternité de 11 jours. Le congé du père est plus court que celui de la mère, mais l’introduction d’un congé paternité vise à encourager une plus grande implication des pères dans la vie familiale. Selon une enquête menée par la Drees en 2004, parmi les pères potentiellement concernés par le congé de paternité, près des deux tiers ont pris leur congé de paternité en 2003 et en 2004. Les pères les plus jeunes y recourent davantage que les autres : 71 % des pères âgés de 25 à 34 ans ont pris leur congé de paternité contre 58 % des pères âgés de 35 ans et plus (Bauer et Penet, 2005).

Le dispositif du congé parental rémunéré (Complément de libre choix d’activité) est destiné aux parents qui souhaitent réduire ou cesser leur activité pour une durée de six mois à trois ans à la naissance d’un enfant. L’indemnité compensatrice s’élève au maximum à 520- 750 euros par mois, suivant les modalités adoptées.

Le Complément de libre choix d’activité est tout à fait égalitaire en théorie puisque le père comme la mère peuvent en bénéficier. Néanmoins, il se distingue du modèle « social- démocrate » et s’apparente davantage au modèle « conservateur » puisque contrairement aux pays scandinaves où l’égalité entre les sexes est un principe d’action politique, aucune disposition spécifique n’incite les hommes à y participer (comme un taux de remplacement plus élevé ou une attribution d’une partie du congé par exemple). En pratique, à défaut d’incitations explicites, les pères le prennent extrêmement rarement. En 2005, 97% des allocataires étaient des femmes. En effet, dans sa forme actuelle, le congé parental rémunéré est désincitatif pour les hommes puisque l’indemnité est faible et ne dépend pas du salaire antérieur62. Comme les hommes ont en général des salaires plus élevés que leur conjointe, il est financièrement optimal pour la majorité des couples souhaitant en bénéficier, que le

61 Hofferth et Curtin (2003) ont étudié l’effet potentiel de la législation américaine de 1993 (Family and Medical

Leave Act) et en particulier du congé de maternité sur la réinsertion des femmes sur le marché du travail après une naissance. Les congés américains et ses effets sont certes différents du congé français, mais elles en tirent néanmoins quelques conclusions intéressantes. Elles trouvent que depuis la mise en œuvre de ces mesures, les femmes reprennent leur activité professionnelle plus rapidement, et plus souvent dans leur emploi précédent (que lorsqu’il n’existait pas de mesure relative aux congés maternité et maladie). Ainsi, leur analyse confirme l’intérêt d’une législation permettant aux salariés de prendre ce type de congés.

62 Contrairement à la Suède par exemple, les prestations liées au congé parental rémunéré ne tiennent pas compte

du revenu d’activité des parents : un montant fixe mensuel est versé au parent bénéficiaire. Jusqu’au 31/12/2007, s’il peut bénéficier de l’allocation de base (c’est-à-dire si son revenu d’activité est inférieur à un plafond), il touche 359,67+171,06 euros, soit 530,73 euros par mois à taux plein. S’il ne peut pas bénéficier de l’allocation de base, il touche 530,72 euros par mois à taux plein.

bénéficiaire soit la mère63. Les mères s’investissent davantage dans la sphère familiale au détriment de leur activité professionnelle ce qui renforce les inégalités au sein du couple. A cet égard, les exemples étrangers montrent qu’il est possible d’impulser une nouvelle dynamique en accélérant la mise en place d’un partage plus équitable des responsabilités familiales entre le père et la mère. Les exemples étrangers montrent que les pères participent davantage dans les pays où une partie du congé leur est spécialement réservée et / ou l’indemnisation est proportionnelle au salaire avec un taux de remplacement élevé et un plafond d’indemnisation élevé64. Par exemple, depuis 2003, le congé parental rémunéré islandais est réservé à hauteur d’un tiers à la mère, un tiers au père et un tiers qu’ils peuvent se partager, chaque partie non utilisée par son destinataire étant perdue. Elle permet donc à la fois de stimuler la fécondité tout en ne faisant pas porter toute sa charge sur les mères. D’après les premières évaluations, ce dispositif fonctionne puisque les pères prendraient 30% du total disponible, soit toute la partie du congé qui leur est destinée (Drew, 2005). Une période de congé parental réservée aux pères existe également en Norvège, au Danemark et en Suède. Un autre mode d’incitation à la participation des pères existe en Italie où la durée totale du congé est allongée si le père l’utilise (Drew, 2005).

En France, les parents d’au moins deux enfants peuvent bénéficier de cette allocation jusqu’aux trois ans de l’enfant. Trois ans d’inactivité peuvent rendre plus difficile un retour sur le marché du travail. Depuis le 1er juillet 2006, les parents de trois enfants et plus peuvent opter pour un congé parental rémunéré restreint à un an maximum avec un niveau d’indemnisation supérieur (750 euros). Cette flexibilité accordée spécifiquement aux parents de trois enfants et plus n’a pas encore été évaluée mais est intéressante en ce sens qu’elle permet à des parents de s’occuper temporairement de leurs enfants sans s’éloigner trop longtemps du marché du travail. De même, dans d’autres pays européens, le congé parental peut être pris sur une durée plus courte mais est dans ce cas mieux rémunéré. Par exemple, le congé parental rémunéré suédois ouvre droit à 480 jours d’indemnités de congé parental qui s’élèvent pendant les 390 premiers jours à 80% du salaire sous plafond de sécurité sociale et un montant fixe de l’ordre de 10 euros par jour pour les 90 derniers jours (Drew, 2005).

En Europe, des congés parentaux rémunérés plus souples ont été mis en place afin de donner la possibilité aux parents de s’occuper de leurs enfants au moment où ils en ont besoin. Par exemple, les salariés autrichiens, danois et suédois peuvent soit prendre leur congé parental rémunéré en une fois soit par intermittence pendant les premières années de l’enfant.

63 D’après Boyer (2004), parmi les couples où les pères sont bénéficiaires de l’Allocation parentale d’éducation,

60% des conjointes ont un revenu professionnel supérieur, et ce facteur a compté dans leur décision.

En Suède, les parents peuvent travailler à temps partiel et recevoir des indemnités au prorata du temps non travaillé. Si au 18ème mois de l’enfant, la totalité des droits à indemnités n’a pas été utilisée, les parents ont des droits d’absence complémentaires jusqu’aux 8 ans de l’enfant. De même, depuis janvier 2000, les allemands peuvent recourir au temps partiel à deux reprises (Drew, 2005).

En France, les femmes sont les principales utilisatrices d’une mesure qui les éloigne du marché du travail, et ce, alors que « quatre bénéficiaires du CLCA à taux plein sur dix déclarent qu’elles auraient aimé continuer à travailler » (Berger et al., 2006). De plus, l’extension de l’Allocation parentale d’éducation au deuxième enfant en 199465 visait explicitement à inciter les femmes à se retirer du marché du travail. Le congé parental rémunéré ne semble pas faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle dans la mesure où il conduit les mères à adopter une stratégie d’alternance entre emploi et famille plutôt qu’à gérer simultanément vie professionnelle et vie familiale.

Le troisième axe de la politique familiale française porte sur la garde des enfants à travers le développement des services de garde, des aides financières et l’instauration d’un statut professionnel pour les assistantes maternelles.

Les aides financières à la garde d’enfant sont fondamentales puisque le coût relatif de la garde par rapport au salaire potentiel des mères peut jouer un rôle dans leur choix d’activité. Plus ce coût est faible, et plus les femmes seront incitées à travailler, et ce quel que soit leur niveau de diplôme. Avec la mise en place de la Prestation d’accueil du jeune enfant le 1er janvier 2004, le Complément de libre choix du mode de garde se substitue aux aides antérieures. Elle est versée aux parents d’enfants de moins de six ans qui continuent de travailler, et ce, quel que soit le mode de garde choisi. L’objectif est d’améliorer l’accès des familles aux différents modes de garde, notamment aux modes de garde individuelle, dont les familles à bas et moyens revenus étaient de fait exclues66. Enfin, afin d’éviter que le coût de la garde ne contraigne certains parents à faire le choix de l’inactivité, la loi du 23 mars 2006 a prévu une priorité d’accès aux crèches pour les bénéficiaires de minima sociaux reprenant un travail.

65 L’effet de l’extension de l’Allocation parentale d’éducation au deuxième enfant sur l’activité des mères a

notamment été étudié par Piketty (2005) et Pailhé et Solaz (2006).

66 La Prestation d’accueil du jeune enfant a fortement revalorisé les montants d’aide accordés aux parents qui ont

recours à une assistante maternelle et permet de faire converger la participation des familles vers un taux d’effort de l’ordre de 12% de leurs revenus, soit le taux qui correspond à l’accueil en crèche. Par rapport au dispositif antérieur, les parents ayant un revenu inférieur à trois Smic, reçoivent une aide supplémentaire de 150 euros par mois, soit une augmentation de 75% de l’aide perçue.

Au-delà des aides financières, les évolutions vers une professionnalisation du statut d’assistante maternelle (projet de loi 2007) peuvent favoriser l’activité des mères : d’une part, elle rassure les parents actifs qui souhaitent confier leur enfant en bas âge à une assistante maternelle et, d’autre part, elle peut constituer une opportunité d’emploi pour des femmes jusque là inactives.

Enfin, avec la scolarisation quasi totale des enfants dès l’âge de trois ans, la France se rapproche fortement du modèle « social-démocrate ». En revanche, en 2003, seuls 29% des enfants âgés de moins de 3 ans avaient accès à une crèche ou à une assistante maternelle. A titre de comparaison, selon le rapport du groupe de travail « familles et entreprises », en Suède en 1999, 75% des enfants de 1 à 5 ans étaient accueillis soit en crèche soit chez une assistante maternelle. Depuis la mise en place de l’aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) ainsi que de la loi précisant le cadre de l’agrément en juillet 199267, le nombre d’assistantes maternelles agréées a fortement augmenté : il est

passé de 166 700 en 1995 à 258 400 en 2001 (Barrère-Maurisson et Lemière, 2006). En 2000, un objectif relativement ambitieux avait été défini en terme d’offre de garde professionnelle : 70 000 nouvelles places devaient être créées entre 2000 et 2008 soit une augmentation de 24%. Néanmoins, l’offre de garde demeure insuffisante et inégalement répartie sur le territoire. Par exemple, pour 100 enfants de moins de trois ans, le nombre de places en crèches varie de 3 à 39 selon les départements, la moyenne nationale étant de 14 places (Chastenet, 2005). Pour réduire ces différences, les aides à la création de places nouvelles de la CNAF sont désormais affectées en priorité aux projets situés dans les départements les plus mal lotis.

5.3 Synthèse

Ce chapitre a permis de dégager des hypothèses sur les éléments de politique familiale qui pourraient affecter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Premièrement, le congé parental rémunéré français semble rendre plus difficile la poursuite d’une activité professionnelle pour les mères d’au moins deux enfants. D’une part, cette mesure incite des mères, qui ne le souhaitent pas forcément, à sortir au moins temporairement du marché du travail, et d’autre part aucune disposition n’incite les pères à en bénéficier davantage. De plus, le congé est long et pourrait donc rendre plus difficile une réinsertion sur le marché du travail.

67 L’agrément est ainsi délivré pour cinq ans et les assistantes maternelles peuvent accueillir trois enfants au

Deuxièmement, la France est relativement bien dotée en termes de modes d’accueil pour les jeunes enfants (environ un tiers des enfants âgés de moins de trois ans sont gardés en crèche ou par une assistante maternelle et la quasi-totalité des enfants âgés de trois à six ans sont scolarisés en maternelle). Globalement, cela devrait faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Certaines caractéristiques du système de garde des jeunes enfants pourraient néanmoins atténuer cet effet positif : en particulier, la faiblesse de l’offre de garde pour les enfants de moins de trois ans dans certains départements et l’inadéquation des horaires d’ouverture des services de garde avec les horaires de travail des parents.

Les chapitres suivants visent à tester quelques-unes de ces hypothèses. En particulier, L’Allocation parentale d’éducation rend-elle plus difficile la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ? L’accroissement de l’offre de garde gratuite pour les enfants de moins de trois ans la rend-il plus aisée ?

Chapitre 6

Conciliation entre vie familiale et vie