• Aucun résultat trouvé

Pourquoi expliquer la hausse de l’activité des femmes par les interactions sociales ?

Mesure et explications de l’influence sociale sur la participation des femmes au

8.1 Pourquoi expliquer la hausse de l’activité des femmes par les interactions sociales ?

8.1.1 Définition des interactions sociales et du multiplicateur social

Les interactions sociales désignent les relations sociales à travers lesquelles s’exerce une influence susceptible de modifier les comportements individuels. Au niveau agrégé, lorsque

les interactions sociales influencent les comportements individuels, les individus s’influencent les uns les autres, ce qui crée un effet « boule de neige ». Dans ce cas, une petite modification exogène du contexte dans lequel les individus prennent leurs décisions peut avoir des effets épidémiques non attendus. En effet, chaque individu modifie sa décision pour deux raisons : un motif direct (la variation du contexte) et un motif indirect (la modification des décisions des individus de son groupe de référence). Ainsi, les décisions des uns se répercutent sur celles des autres. Une petite différence contextuelle peut entraîner de fortes modifications de comportement au niveau agrégé car les interactions sociales amplifient les conséquences individuelles de cette petite différence.

Selon la terminologie de Glaeser, Sacerdote et Scheinkman (2003), cette excès de variance au niveau macroéconomique correspond au « multiplicateur social ». Ainsi, les variations importantes des comportements individuels que l’on observe par exemple pour la participation des femmes au marché du travail pourraient résulter d’interactions sociales100.

Des modèles économiques d’interactions sociales se sont développés afin d’étudier les interactions non marchandes c’est-à-dire les interactions entre individus non régulées par un mécanisme de prix. Ces modèles reviennent sur le comportement atomisé de l’agent représentatif, qui choisit son action sans se préoccuper de ce que font les individus autour de lui, afin de tenir compte de l’influence des autres individus sur les comportements individuels. Différentes hypothèses ont alors été avancées, mais non testées, pour expliquer le conformisme : externalités positives (respect de la conduite à droite), préférence inhérente pour le conformisme, transmission d’information101 et sanction des déviants. En ce qui concerne la participation des femmes au marché du travail, Akerlof et Kranton (2000)102 et Clark (2003), expliquent qu’avant la seconde Guerre mondiale l’inactivité des femmes était la norme sociale : cela faisait partie de leur identité. Par conséquent, elles n’avaient pas intérêt à dévier de ce comportement communément admis sous peine de se voir infliger un regard réprobateur par la société qui s’avérait coûteux pour elles. La norme était alors parfaitement internalisée par les femmes et les hommes.

100 Voir Glaeser, Sacerdote et Scheinkman (2003) pour une définition du multiplicateur social et son lien avec

des variances empiriques élevées et les interactions sociales.

101 Dans ce cas, l’agent imite parce qu’il pense que l’autre agent a plus d’information que lui. C’est cette

hypothèse qui sous-tend les modèles de cascades informationnelles (voir par exemple, Bikhchandani, Hirshleifer et Welch (1992)).

102 Akerlof et Kranton (2000) proposent un modèle économique qui intègre l’identité comme argument dans la

fonction d’utilité et discute de l’application de ce modèle à l’évolution des stéréotypes sexuels sur le marché du travail et ses conséquences sur l’activité féminine. Dans ce cadre, la norme sociale intervient dans l’utilité identitaire d’un individu.

8.1.2 L’évolution de l’activité des femmes concorde avec la présence

potentielle d’interactions sociales

La participation des femmes au marché du travail a considérablement augmenté dans les pays occidentaux depuis le milieu des années 1960. Dans un premier temps, Becker (1981) explique la hausse de l’activité des femmes par une hausse de la rentabilité du temps de travail des femmes relativement à la rentabilité du travail domestique (voir chapitre 2), due notamment à la disponibilité croissante et au coût décroissant de substituts aux biens produits dans la sphère domestique. La théorie économique néoclassique attribue ensuite la hausse de l’offre de travail des femmes à l’accroissement des salaires réels au cours du temps. Selon cette théorie basée sur un arbitrage entre travail et loisirs, les femmes se porteraient davantage sur le marché du travail du fait qu’on leur propose des salaires plus importants. Dans les années 1970, le modèle néoclassique est vivement critiqué dans la mesure où, alors que le salaire réel n’augmente plus, le travail des femmes continue de progresser103.

Costa étudie l’évolution des taux de participation des femmes au marché du travail aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne sur plus d’un siècle. En France, le taux de participation des femmes au marché du travail s’est accru au 19ème siècle pour atteindre un pic en 1911. Il décroît ensuite jusqu’à la fin des années 1960, et repart à la hausse, pour retrouver en 1998 son niveau de 1911. Par rapport à la Grande-Bretagne, les taux de participation français du 19ème siècle sont considérablement élevés. L’auteur explique que cela vient du fait qu’à cette époque la France s’industrialise relativement lentement et est dominée par une agriculture qui emploie beaucoup de femmes. De plus, durant l’industrialisation, la France semble moins attachée à la conception selon laquelle l’homme subvient aux besoins de sa famille que la Grande-Bretagne.

Ces différences temporelles et géographiques sont cohérentes avec un rôle significatif des interactions sociales dans la décision des femmes de participer au marché du travail. Ainsi, l’entrée de certaines femmes sur le marché du travail peut motiver l’entrée d’autres femmes, indépendamment des effets de revenu. Une femme qui observe que certaines femmes de son entourage commencent à travailler est plus incitée qu’auparavant à entrer sur le marché du travail. Les interactions qu’elle peut avoir avec les femmes de son environnement social peuvent modifier l’opinion qu’elle a d’une femme active et peuvent influencer son

103 Goldin (1990) montre que l’importance du revenu comme facteur explicatif de l’offre de travail des femmes a

diminué tout au long du 20ème siècle : le comportement d’activité des femmes serait de moins en moins sensible

comportement d’offre de travail. Progressivement, de plus en plus de femmes travaillent. Le multiplicateur social se met en place et la norme évolue104. Cette théorie permettrait d’expliquer pourquoi, à certaines périodes, l’emploi des femmes s’accroît plus vite que ne peut l’expliquer l’évolution des fondamentaux. Notons que ces interactions sociales peuvent s’exercer au moins à deux niveaux. D’une part, une femme observe que dans la société (le pays par exemple) où elle vit, le travail des femmes est admis voire favorisé : c’est la norme, ce sont donc des interactions sociales globales qui orientent son choix. Et d’autre part, il est aussi envisageable que ce soient les décisions des relations proches qui influencent les décisions individuelles (la famille, le quartier). Il est assez vraisemblable que ces deux phénomènes interviennent dans le choix individuel, et ceci d’autant plus que les variances du taux d’activité des femmes dans le temps et dans l’espace sont importantes, que l’on considère des unités géographiques assez grandes (pays) ou étroites (quartier).

8.2 Mesure des interactions sociales : la littérature économique et