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1.3) François Arago : le Progrès par la Science et le savoir pour tous

L’intérêt culturel d’une partie de la société civile pour les questions scientifiques n’est pas nouveau au XIXe siècle, mais il ne concerne jusque là

65 Faideau Ferdinand, Exposition universelle de 1900, Guide du palais de l’optique, Paris : Chambrelent, 1900.

66 Brenni Paolo, « Dal Crystal Palace al Palais de l’Optique : La scienza alle esposizioni universali »,

op.cit., p.56.

67 En pratique malheureusement l’instrument n’a jamais fonctionné à la hauteur de ses promesses. Il a été utile à quelques astronomes pour observer les étoiles mais son emplacement n’était pas idéal. Pour une description précise de cette attraction et de ses enjeux, voir Launay Françoise., « The great Paris Exhibition telescope of 1900 ». In :

qu’une élite sociale et sa diffusion cible un public restreint. L’astronome François Arago (1786-1853) fut le premier à remettre en cause un tel consensus en France et c’est à lui que l’on doit, bien avant l’organisation des Expositions universelles, le spectacle « d’une foule qui est attirée par l’amphithéâtre, la chronique, la démonstration »68. Le grand Arago veut

concilier son statut d’académicien avec ses convictions républicaines sur la transmission des savoirs, qu’il juge nécessaire à la liberté des individus. Il invite la presse aux réunions de l’Académie des sciences et défend régulièrement les inventions optiques et mécaniques de son époque - notamment la photographie. Habité par la culture scientiste et la vulgarisation des sciences qu’il entend développer par tous les moyens mis à sa disposition, il dispense des cours publics et gratuits d’astronomie à destination des ouvriers parisiens et rédige d’innombrables notices scientifiques pour l’Annuaire du Bureau des Longitudes69. Ses initiatives

rencontrent un fort succès dont témoigne un dessin publié en 1845 dans la revue L’Illustration70 qui le dépeint en pleine oraison au cœur d’un

amphithéâtre rempli jusqu’aux rebords des fenêtres. La masse formée par le public est si dense qu’elle ne paraît pas quantifiable, seul un amas de gens regroupés se distingue, suspendu aux lèvres de l’astronome figuré seul sur l’estrade, le bras levé, en pleine démonstration. Le « célèbre interprète des astres » 71 délivre une leçon d’astronomie populaire « complèt[e] quant au

68 Daumas Maurice, François Arago 1786-1853. La jeunesse de la science, Paris : Belin, 1987, p.145. 69 L’Annuaire du Bureau des Longitudes peut être considéré comme « l’un des premiers

organes de vulgarisation de l’astronomie ». Voir : Le Lay Colette, « L'annuaire du Bureau des Longitudes et la diffusion scientifique : enjeux et controverses (1795- 1870) », Romantisme, n°166, 2014, Paris : Armand Colin / Dunod, pp. 21-31.

70 Image 15

71 C’est par cette formule qu’est qualifié Arago par l’auteur anonyme des Leçons d’astronomie

professées à l’Observatoire royal, par M. Arago membre de l’Institut. Recueillies par un de ses élèves,

publié par Just Rouvier à Paris en 1835. L’ouvrage fut réédité à plusieurs reprises ce qui révèle la popularité des leçons d’Arago autant que la soif d’apprendre qu’il avait envahi

fond, et élémentaire seulement par la forme, par des méthodes adaptées »72

qui formule les connaissances de la nature à l’adresse de ceux qui l’ignorent. La grande particularité d’Arago est de fournir une explication de la mécanique céleste et des derniers accroissements de sa science en n’employant aucune équation mathématique. Il raconte l’astronomie. A l’entendre, elle est d’abord technique puisqu’il décrit souvent les instruments qui la font progresser et qui sont les preuves tangibles de son succès. Ici encore, les progrès mécaniques sont pour le public des idées matérialisées qui le rapprochent de savoirs invisibles en s’appliquant à des outils technologiques palpables.

Pour satisfaire les attentes de son auditoire et répondre favorablement aux empressements de l’astronome allemand Alexander von Humboldt, Arago rédige même à la fin de sa vie une version littéraire de ses cours. L’œuvre en quatre tomes paraît un an après sa disparition sous la forme d’une

Astronomie populaire. Le lecteur y retrouve la volonté d’Arago de ne pas trahir

l’exigence scientifique de son sujet, alliée à l’utilisation d’un niveau de

Paris à l’époque. Cette publication n’a pourtant pas plu à Arago qui n’y reconnaissait pas son niveau d’exigence savante.

72 Arago François, Astronomie populaire, t. 1, Paris : L. Guérin, 1967 (2e éd.), « Avertissement de la deuxième édition », p. II-III. Voir aussi, Maurice Daumas, François Arago, op.cit., p.6. Les cours d’astronomie populaire sont également l’occasion pour Arago de révéler ses talents d’orateur et de pédagogue (p. 89). Sur le même sujet, Carole Christen cite un témoin de l’époque : « À peine était-il entré en matière qu’il attirait et qu’il concentrait sur lui tous les regards. Le voyez-vous qui prenait pour ainsi dire, la science entre les mains. Il la dépouillait de ses aspérités et des formules techniques et il la rendait si perceptible, que les plus ignorants étaient aussi étonnés et charmés de la comprendre. Sa pantomime expressive animait l’orateur. Il y avait quelque chose de lumineux dans ses démonstrations, et des jets de clarté semblaient sortir de ses yeux, de sa bouche et de ses doigts ». Voir, Christen Carole., « Les leçons et traités d’astronomie populaire dans le premier XIXe siècle », Romantisme, n°166, 2014, Paris : Armand Colin / Dunod, p.10 [http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=ROM_166_0008].

langage accessible à tous73. Là encore, l’astronome inaugure une méthode

nouvelle et fonde une littérature scientifique inédite qui se détache à la fois des mathématiques astringentes des traités savants et de la littérature galante de ses prédécesseurs du XVIIIe siècle, tels Bernard de Fontenelle et Jérôme de Lalande74. Il ne rédige pas non plus une cosmogonie, ni une histoire de

l’astronomie comme certains de ses contemporains (Humboldt par exemple) et encore moins un roman dont les artifices fictifs sont pour lui des « ornements étrangers »75 à « la rigueur, la clarté des méthodes

d’investigation dont [l’astronomie] fait usage, la magnificence et l’utilité des résultats [étant] ses titres »76. François Arago construit un nouveau style

d’écrit savant. Son Astronomie populaire se lit sans connaissance préalable ; elle revient sur les problématiques essentielles du cosmos en évoquant à chaque

73 En témoigne un journaliste de l’époque : « [… ] du moment où j’ai ouvert ce livre, il m’a semblé qu’un voile se déchirait devant mes nébuleuses. Sans être obligé de calculer pendant des heures entières, comme autrefois, je suivais les lignes de ce livre comme on lit un volume d’histoire, si ce n’est peut-être que j’étais plus intéressé. […] vous pourrez vous asseoir : vous avez l’univers devant vous ». Paulin Victor, « Astronomie populaire, par François Arago », L’Illustration – Journal universel, 23 décembre 1854, p.422.

74 Bernard de Fontenelle publie en 1686 Entretiens sur la pluralité des mondes, destiné à vulgariser les connaissances de l’époque en astronomie en empruntant à la littérature la méthodologie didactique du dialogue. Puis, Jérôme de Lalande publie en 1795 un traité galant intitulé Astronomie pour les dames. L’ouvrage d’Arago est plus proche de la littérature scientifique qui parait au-delà des frontières françaises. On citera par exemple Sir John W.F. Herschel, médaillé d’or de la Royal Astronomical Society et fils d’un constructeur de télescope qui, en 1833, commence la rédaction de ses Outlines of

Astronomy traduites en français dès l’année suivante. Entre 1834 et 1871, onze rééditions

de l’ouvrage seront nécessaires à satisfaire le nouveau lectorat de l’astronomie populaire. En Allemagne, Alexander von Humboldt publie en 1845 Kosmos. Entwurf einer

physischen Weltbeschreibung traduit dès l’année suivante en français sous le titre Cosmos. Essai d’une description physique du monde. Le premier tome fut relu par François Arago en

personne avec qui Humboldt partage la conviction que populariser les connaissances sur la nature est indispensable à la liberté des individus.

75 Arago François, Astronomie populaire, op.cit, « Avertissement de l’auteur », p.i. 76 Idem.

fois les auteurs de référence mais toujours brièvement et, enfin, elle s’astreint à développer les éléments scientifiques essentiels que le lecteur doit connaître sans jamais verser dans les digressions de style ou dans l’idolâtrie savante. Arago introduit par exemple son ouvrage par plusieurs chapitres centrés sur des notions rudimentaires de géométrie et il franchit chaque fois un nouveau palier de complexité. Il explique d’abord la ligne, le cercle, la sphère, puis livre ensuite la définition du mouvement, de l’inertie, de la rotation de ce cercle devenu sphère qui se transforme en base pour concevoir la forme d’une planète et le mouvement auquel elle se soumet dans l’univers. Peu à peu le lecteur est immergé dans un enseignement sur la nature invisible et les lois qui la dirigent. C’est dans cette façon d’amener les connaissances par des nivellements didactiques de plus en plus profonds et suivant un raisonnement cognitif abordable que réside la méthode aragonienne. L’astronome entraîne son lecteur ou son auditoire dans « une inondation de vérité »77 dont les bienfaits commencent à être reconnus par

la République et la morale sociale.

77 « Une inondation de vérité, voilà le salut. Il y a eu jadis, la géologie le démontre, un déluge funeste, le déluge de la matière, il nous faut maintenant le bon déluge, le déluge de l’esprit. L’instruction primaire et secondaire à flots, la science à flots, la logique à flots, l’amour à flots, et tous les malades que la nuit fait, tous les bègues de l’intelligence, tous les eunuques de la pensée, tous les infirmes de la raison, et les esprits haillons, et les âmes ordures, et le sabre, et la hache, et le poignard, et les pénalités monstres, et les codes féroces, et les enseignements imbéciles, et Dracon et Loriquet, et les erreurs et les idolâtreries, et les exploitations, et les superstitions, et les immondices, et les mensonges, et les aprobes, disparaitront dans cet immense lavage de l’humanité par la lumière » écrit Victor Hugo. Voir Hugo Victor, « Reliquat des Misérables » / Les

Misérables. In, Hugo Victor, Œuvres complètes, Roman IV, Paris : Ollendorff, 1904-1924,

p.561. On sait que Victor Hugo est, avec le roi de Prusse, l’un des rares visiteurs de prestige à qui Arago à ouvert les portes de l’Observatoire de Paris en 1834. La connivence politique d’Arago et de Hugo est connue à l’époque puisque l’écrivain s’est publiquement exprimé pour défendre l’astronome et salué ses engagements.