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Forme de l’´etat laminaire final

On s’int´eresse ici non plus au temps que met le syst`eme pour atteindre un ´etat final, mais `a la forme de l’´etat finalement atteint. On va d’ailleurs voir que ces deux ”observables” (temps de retour `a l’ordre et allure de l’´etat final) peuvent ˆetre li´es.

L’´etat finalement atteint va bien sˆur d´ependre des conditions initiales dans lesquelles le syst`eme se place par lui-mˆeme lorsque la coupelle red´eborde `a t0. Cependant, on a vu que non

seulement ces conditions initiales ne sont pas vraiment contrˆolables, mais qu’en plus, en raison de la nature chaotique de ces transitoires, une petite diff´erence dans ces conditions peut mener `a des ´etats finaux tr`es diff´erents. Il vaut donc mieux ´evaluer la tendance sur les ´etats finaux en fonction de la viscosit´e et du d´ebit, apr`es un grand nombre d’acquisitions: en fait, on reprend les 250 acquisitions effectu´ees `a 100 cP sur lesquelles on a d´etermin´e le ∆T moyen. La figure 2.1 montrait l’exemple d’un ´etat final compos´e d’un domaine propagatif de colonnes d´erivantes `a parit´e bris´ee; la figure 2.8 montre un ´etat final oscillant, o`u l’amplitude des oscillations ´etendues sature sans provoquer une re-cassure du motif. Quels sont les param`etres du syst`eme qui ont conduit `a ce choix de l’´etat final plutˆot qu’`a un autre? Comment ce choix peut-il ˆetre reli´e aux mesures pr´ec´edentes de la dur´ee de vie moyenne d’un transitoire chaotique conduisant `a ces ´etats finaux? C’est ce que nous tentons d’appr´ehender ici.

Nous avons vu qu’un exemple particulier de retour `a l’ordre se produit avec l’huile silicone 200 cP, `a des d´ebits l´eg`erement inf´erieurs au d´ebit seuil Γc (mais dans une plage assez large):

l’´etat laminaire final est un ´etat oscillo-d´erivant, compos´e de petits domaines d´erivants les uns `a la suite des autres. Un exemple typique d’une telle r´eorganisation est donn´e en figure 2.9. En

100 101 102 103 0 2 4 6 8 10 12 14 16 Nbre d'évènements ∆∆∆∆T (s) 1 00 1 01 1 02 1 03 0 2 0 4 0 6 0 8 0 100 120 140 Nbre d'évènements ∆∆∆∆T (s) 1 00 1 01 1 02 1 03 200 400 600 800 1000 Nbre d'évènements ∆∆∆∆T (s)

Fig. 2.7 – Distribution cumul´ee des temps de retour `a l’´equilibre pour trois d´ebits, en partant des temps les plus longs (η=100 cP). (a) Γ = 0.136 cm2/s. (b) Γ = 0.277 cm2/s. (c) Γ = 0.315

´etat l’adjectif ”trip´eriodique” (voir agrandissement). Pour nuancer, cet ´etat est parfaitement trip´eriodique pour un nombre de colonnes multiple de trois (une cons´equence ´evidente des conditions aux limites p´eriodiques). Sur la coupelle I (d=10 cm) par exemple, il est obtenu pour 23, 24 et 25 colonnes (soit des longueurs d’ondes moyennes respectives de 1.30 cm, 1.24 cm et 1.195 cm). Pour 23 et 25 colonnes, on observe une l´eg`ere d´eviation par rapport au trip´eriodisme parfait.

Les raisons de la convergence du syst`eme vers un tel ´etat ont ´et´e pressenties par les ob- servations de la dynamique du motif et de ses processus de s´election interne. Pour ˆetre plus clair, il convient tout d’abord de pr´eciser que dans la plage de d´ebit o`u apparaissent ces ´etats oscillo-d´erivants, la longueur λ0 est instable. Γ0 est donc le d´ebit pour lequel la longueur d’onde

de r´ef´erence λ0 devient instable (voir figure 2.4-b. Etant donn´e que cette longueur d’onde est

celle mesur´ee `a l’ext´erieur d’un domaine de colonnes d´erivantes, tout ´etat d´erivant laissant un sillage derri`ere lui provoquera la cassure du syst`eme et la naissance de d´efauts. Ainsi, pour expliquer la diff´erence d’allure des < ∆T > avec le d´ebit pour 100 cP et 200 cP, il est remar- quable de constater qu’avec l’huile silicone `a 100 cP Γ0 ' Γc, ce qui interdit la pr´esence d’un

deuxi`eme palier dans la plage [Γ0,Γc]. En consid´erant tous les ´etats accessibles au syst`eme , si

la longueur d’onde λ0 est instable, le seul ´etat accessible au syst`eme est celui qui ne permettra

pas l’amplification des oscillations dans le sillage naissant habituellement derri`ere un domaine d´erivant. Cet ´etat oscillo-d´erivant est donc la seule configuration o`u des domaines d´erivants apparaissent sans s´electionner de longueur d’onde λ0 derri`ere leur passage. En ´eliminant donc

les ´etats comprenant des domaines d´erivants espac´es entre eux, ainsi que les ´etats oscillant ´etendus, instables bien avant Γ0, et en excluant les ´etats statiques tr`es resserr´es, atteignables

uniquement pour des conditions sp´ecifiques o`u doit intervenir la volont´e de l’exp´erimentateur, le seul ´etat accessible reste l’´etat oscillo-d´erivant. L’´etat d´erivant global pourrait aussi consti- tuer un bon candidat, mais son obtention n´ecessite l`a encore une volont´e de l’exp´erimentateur de cr´eer des conditions initiales impossibles `a obtenir spontan´ement (mouvement d’une aiguille initiant le mouvement d’ensemble , et supprimant ainsi suffisamment de colonnes: revoir partie 1).3

Les ´etats les plus faciles `a atteindre (dans l’emploi de l’adjectif ”facile”, on sous-entend un ´etat final laminaire atteignable `a partir d’un tr`es large ensemble de conditions initiales) ´etant instables, le syst`eme va sans cesse naviguer pr`es de ces ´etats tout en ´etant repouss´e 3. N´eanmoins, si on reconsid`ere le diagramme de stabilit´e pour l’huile silicone 200 cP report´e en partie 1 (figure 4.9), on remarque que dans la plage de d´ebit [Γ0,Γc], certains ´etats d´erivants globaux sont stables. Normalement, ces ´etats devraient donc apparaˆıtre `a la suite d’un transitoire chaotique. N´eanmoins, les conditions sur la vitesse et la positions n´ecessaires `a leur apparition sont si particuli`eres que leur obtention est contrari´ee par celle de l’´etat oscillo-d´erivant. En d’autres termes, le bassin d’attraction de l’´etat d´erivant global est tr`es r´eduit. Dans le soucis de v´erifier tout de mˆeme si un ´etat d´erivant global ne peut pas ˆetre obtenu apr`es un transitoire chaotique, nous avons consacr´e une journ´ee enti`ere `a attendre qu’un ´etat turbulent form´e `a un d´ebit de 0.38 cm2/s, l´eg`erement sup´erieur `a Γ

c4 . En vain: pendant de longues heures, l’´etat est rest´e turbulent. Dans nos conditions exp´erimentales, nous n’avons, il est vrai, pas pu nous affranchir de toutes les sources de perturbations externes. Peut ˆetre aurait-il fallu attendre une gr`eve de m´etro, l’un des facteurs perturbatifs les plus importants (ce qui `a Paris laisse effectivement plusieurs jours par an pour tenter l’exp´erience) ou s’exiler hors de Paris? D’ailleurs, comme le subodore T.Tel [101], un ´etat chaotique est peut-ˆetre toujours transitoire. Est-il alors possible que le syst`eme retrouve toujours un ´etat stable laminaire, apr`es avoir voyag´e dans tous ses ´etats possibles et avoir atteint les conditions tr`es particuli`eres qui lui permettent d’atteindre cet ´etat tr`es marginal? Le temps n´ecessaire pour v´erifier une telle hypoth`ese d´epasse sans doute la dur´ee de vie de nos outils exp´erimentaux . . .

donn´ees suivantes: le nombre de colonnes, ainsi que leurs positions relatives et leur vitesses (ces param`etres ´etant interd´ependants). En parcourant ses diff´erentes configurations, le syst`eme va finir par atteindre une configuration qui appartient au bassin d’attraction de l’´etat laminaire oscillo-d´erivant (au bout d’un temps tr`es variable qui d´epend des conditions initiales). On admet ainsi implicitement une ergodicit´e partielle dans le syst`eme: au bout d’un temps suffisamment long, la plupart des configurations du syst`eme seront balay´ees. Quant `a la convergence vers l’´etat oscillo-d´erivant, un tel ´ev`enement est relativement difficile `a pr´evoir: en examinant le diagramme spatio-temporel de la figure 2.9, on a du mal `a s’imaginer une dizaine de secondes avant la convergence , que l’on est dans une situation permettant une r´eorganisation si particuli`ere.

Pour r´esumer, l’explication propos´ee quant `a la convergence vers cet ´etat oscillo-d´erivant est tout simplement qu’il constitue l’´etat stable le plus facilement accessible au syst`eme, dans sa plage d’obtention. De fa¸con moins fr´equente, d’autres ´etats stables apparaissent et sont la combinaison d’un domaine d´erivant de taille moyenne et des petits domaines qui composent l’´etat oscillo-d´erivant (voir figure 2.10).

Le processus de s´election de l’´etat oscillo-d´erivant prend donc plus de temps car il met en jeu des m´ecanismes non-triviaux (et non-compris par rapport `a d’´eventuels arguments de sym´etries) globaux du syst`eme: le second palier `a 200 cP (figure 2.4-b) est associ´e `a une dur´ee moyenne `a peu pr`es 30 fois plus grande que la dur´ee associ´ee `a la r´eorganisation `a bas d´ebit, o`u des seuls des processus locaux de s´election de longueur d’onde entrent en jeu. Nous attribuons cette augmentation `a la taille du syst`eme qui est mesurable par le rapport du p´erim`etre de la coupelle avec la longueur d’onde de r´ef´erence λ0. Cette tendance a pu ˆetre v´erifi´ee par

l’utilisation d’une coupelle de taille plus importante: le facteur multiplicatif entre les temps relatifs aux deux paliers est en effet plus important lorsque la coupelle est plus grande (voir le paragraphe sur l’influence de la taille du syst`eme).

De mani`ere plus g´en´erale, un ´etat final particulier va ˆetre atteint pour un ensemble de conditions initiales, `a travers une relation surjective: en d’autres termes, l’´etat final est associ´e `a un ensemble de conditions initiales (position et vitesse des colonnes) repr´esentant un volume particulier dans l’espace des phases. Cet ensemble est g´en´eralement appel´e ”bassin d’attraction” par les physiciens du chaos, dans des syst`emes o`u on peut d´efinir facilement un espace des phases. La nature chaotique du syst`eme sugg`ere qu’il est illusoire de vouloir connaˆıtre la forme de ces ensembles, certainement tr`es complexes, peut-ˆetre fractals et non-connexes. D’autre part, comme on a pu le voir `a travers l’exemple bien pr´ecis de l’´etat oscillo-d´erivant, l’ensemble des conditions initiales pour lesquelles un ´etat particulier du syst`eme va ˆetre finalement atteint, varie avec les param`etres de l’exp´erience que sont la viscosit´e et le d´ebit. La solution qui s’est offerte consiste `a ´evaluer la taille relative de ces ensembles, par une ´etude statistique de l’´etat final sur un grand nombre d’acquisitions (250). La grandeur caract´erisant l’´etat final est le nombre de colonnes qu’il contient (la longueur d’onde moyenne, si on tient `a s’affranchir de la taille du syst`eme). Nous savons pertinemment que le nombre de colonnes n’est pas une grandeur qui caract´erise enti`erement le syst`eme: les diagrammes d’existence dans l’espace des param`etres (λmoy, Γ) donn´es en premi`ere partie montraient clairement des recouvrements entre

´etats dynamiques. A mˆeme d´ebit et pour un mˆeme nombre de colonnes (`a λ > λ0), le syst`eme

peut ˆetre statique (la dilatation est homog`enement distribu´ee) ou bien comporter un petit domaine d´erivant dans lequel la dilatation est enti`erement contenue. Un autre exemple: `a mˆeme nombre de colonnes, deux ´etats comprenant des domaines d´erivants peuvent ˆetre diff´erents, ceci

Fig. 2.10 – Etat r´esultant de la coexistence d’un domaine d´erivant et de plusieurs autres petits domaines composant l’´etat oscillo-d´erivant.

0 20 40 60 80 100 120 140 20 21 22 23 24 25 26 27 28 = 0.277 cm / s ΓΓΓΓ= 0.315 cm 2/ s Nombre d'évènements Nombre de colonnes < λλλλ> = 1.36 cm <λλλλ> = 1.07 cm

Fig. 2.11 – Histogramme des nombre de colonnes dans les ´etats atteints apr`es un transitoire chaotique, pour trois d´ebits (η=100 cP).

en raison principalement du choix possible par le syst`eme de la longueur d’onde `a l’int´erieur d’un domaine d´erivant. Ce choix est fix´e par les conditions initiales et n’est donc pas contrˆolable directement.

La figure 2.11 montre les histogrammes du nombre de colonnes dans l’´etat final pour trois d´ebits, pour une viscosit´e de 100 cP. Les trois d´ebits sont respectivement ´egaux `a: 0.136 cm2/s

(soit une valeur ´eloign´ee du seuil Γc), 0.277 cm2/s et 0.315 cm2/s (une valeur proche du seuil).

Il est frappant de constater que la proportion des ´etats comportant 26 colonnes (λmoy = 1.15

cm) est tr`es importante `a bas d´ebit, mais devient insignifiante pr`es du seuil Γc. La raison `a cela

vient du fait qu’`a 26 colonnes, la dynamique du motif de colonnes est compos´ee d’un domaine propagatif de taille minimale. Ce domaine va cr´eer derri`ere son passage un sillage oscillant d’une longueur d’onde moyenne λ0. A des d´ebits proches de Γc, ces oscillations vont s’amplifier, ayant

la place pour le faire, et vont provoquer la rupture du motif en faisant naˆıtre des d´efauts. Ainsi, le syst`eme va revenir dans une phase turbulente, avant de trouver un ´etat qui lui convient mieux. Ceci est bien illustr´e par le diagramme de la figure 2.3. Cette tendance montre bien l’influence de l’augmentation du d´ebit sur la d´estabilisation de certains ´etats, conduisant `a des processus de r´eorganisations de plus en plus complexes qui durent de plus en plus longtemps.

La situation d’un ´etat `a 26 colonnes est en quelque sorte la plus facile `a obtenir `a bas d´ebit, car elle advient statistiquement pour le plus grand nombre de conditions initiales: `a l’instant initial, plusieurs domaines d´erivants naissent de fa¸con non contrˆol´ee et commencent `a se propager selon leur signe. Puisque la cr´eation des conditions initiales est la plus neutre possible quant `a un sens particulier de rotation, les domaines d´erivants initialement cr´e´es sont statistiquement autant dans un sens que dans l’autre. Il en r´esulte quelques collisions entre ces domaines avec annihilations partielles (voir le chapitre 4 de la partie 1), tant et si bien qu’il ne reste souvent plus au final qu’un ou plusieurs domaines se propageant dans le mˆeme sens. Il est plus courant que l’´etat r´esultant soit compos´e d’un ´etat unique, le plus petit possible. D’apr`es les observations exp´erimentales, il semble que si les ´etats statiques ou oscillants ´etendus (sur la petite coupelle: 27, 28 colonnes ou plus) ne sont pas au final les plus courants `a bas d´ebit, c’est `a cause de la s´election de la longueur d’onde λ0 `a l’ext´erieur des domaines d´erivants. Une fois

-1 0 1 2 3 4 5 0 10 20 30 40 50

Nombre de défauts

t (s)

Fig. 2.12 – Exemple du comptage de d´efauts lors d’un transitoire chaotique (Γ= 0.315 cm2/s,

η=100 cP).

cette longueur s´electionn´ee, il est difficile au syst`eme de basculer vers une valeur correspondant `a un ´etat statique homog`ene, fix´ee par la condition: λ = πd

n. On retrouve ici un autre effet de

la taille finie du syst`eme. La situation d’un ´etat `a 26 colonnes est au final la plus couramment obtenue `a bas d´ebit. Par la suite de l’augmentation du d´ebit, cette situation va devenir de moins en moins stable, ce qui va permettre au syst`eme d’atteindre plus fr´equemment l’´etat `a 27 colonnes, dont les conditions initiales d’obtention sont sans doute voisines de celles des ´etats `a 26 colonnes. Les proportions d’obtention des ´etats `a plus faible nombre de colonnes (23,24 et 25) sont quant `a elles inchang´ees par la variation du d´ebit. Les conditions initiales requises pour atteindre ces situations finales sont plus sp´ecifiques que celles permettant d’atteindre les ´etats `a 26 colonnes. Il n’y a donc pas d’influence de la perte de stabilit´e des ´etats `a 26 colonnes sur la proportion d’obtention des ´etats de plus faible nombre de colonnes.