• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 SURVOL DU SYSTÈME ET FONDEMENTS DIDACTIQUES

3.2 Aspects ergonomiques de QEDX

3.2.1 Fondements didactiques

Les objectifs que nous nous sommes fixé sont très ambitieux, car ils impliquent, entre autres, l’analyse des interactions entre des enseignants et des élèves réels afin de produire le système proposé. Or, nous savons que l’efficacité des interventions pédagogiques dépend non seulement du discours complexe de l’enseignant, mais aussi de ses réactions non verbales, du contexte, de ses gestes, etc. Il serait donc utopique de penser qu’une analyse superficielle puisse nous permettre de concevoir le système souhaité. C’est pour cette raison qu’à la base, QEDX s’ancre dans la Théorie des Situations Didactiques (TSD) proposée par Brousseau (1998). Celui-ci présente une situation didactique comme une interaction élève-milieu qui est régulée par l’enseignant (flèches 1 et 2 de la figure 3.1). Dans le but d’intégrer un tuteur virtuel au système, le milieu didactique, soit une extension de la notion de milieu de Brousseau, a été proposé. Dans le cadre de la TSD, à tout état d’équilibre du système élève-milieu correspond un ensemble de connaissances et de compétences. Le fait de proposer à l’élève un problème adapté à l’objectif d’apprentissage visé crée un déséquilibre dans le système qui aura pour effet de pousser celui-ci vers un nouvel état d’équilibre lié à la nouvelle connaissance (partiellement) développée par la résolution du problème proposé. Le rôle de l’enseignant consiste donc à offrir des problèmes adaptés et à mettre en place un milieu qui permet au système de tendre vers le nouvel état d’équilibre recherché.

La TSD permet de bien modéliser les interactions didactiques dans une classe ordinaire, mais lorsque l’on intègre un système tutoriel intelligent au milieu, les relations entre l’enseignant et le système élève-milieu se voient modifiées. En effet, le milieu didactique contient un logiciel, dans notre cas QEDX, qui intègre à la fois un milieu virtuel de résolution de problèmes ainsi qu’un agent-tuteur qui joue le rôle d’un enseignant virtuel. La figure 3.1, traduite de Richard et al. (2011), montre cette nouvelle organisation du milieu didactique. L’ajout des relations 6 et 7, qui sont en fait une transposition des relations 1 et 2, sans pour autant éradiquer ces dernières, montre que l’agent-tuteur influence le système élève-milieu virtuel en lui fournissant une aide modélisée selon un contrat didactique réel observé et complémentaire aux interventions de l’enseignant. L’aide proposée dans QEDX est actuellement sous forme

Figure 3.1 Carte des interactions didactiques (traduit de Richard et al., 2011)

discursive, mais nous visons éventuellement à proposer des sous-problèmes, qui pourraient remplacer certains messages discursifs, ainsi que des itinéraires d’apprentissage personnalisés. La construction d’un système tutoriel intelligent comme QEDX, qui est en mesure de prendre en compte la relation 1 de la figure 3.1 pour produire une relation 6 cohérente, est très ambi- tieuse et une approche centrée sur le fonctionnement de l’outil produit rarement les résultats escomptés. La théorie instrumentale de Rabardel (1995) distingue l’outil technique de l’ins- trument au sens où ce dernier n’est pas seulement un objet, mais aussi un ensemble de schèmes d’utilisation. Pour créer un instrument, il faut donc utiliser une approche anthro- pocentrique, au sens de Rabardel (1995), c’est-à-dire qu’elle place l’utilisateur au centre du processus. Comme nous voulons que QEDX devienne un instrument d’apprentissage, nous de- vons non seulement créer le logiciel en fonction des apprentissages visés, mais aussi l’adapter en fonction de l’utilisation constatée afin qu’il soit en symbiose avec les objectifs de l’ensei- gnant. L’élaboration de QEDX s’est donc faite selon le paradigme de conception dans l’usage (Rabardel, 1995), illustré à la figure 3.2.

La conception dans l’usage consiste à faire des allers-retours entre des analyses théoriques et des expérimentations pour construire le système par réorganisations successives. Chaque cycle de développement de QEDX, qui peut être perçu comme une micro-recherche, est divisé en quatre phases qui s’apparentent à celles employées dans le cadre de l’ingénierie didactique. Nous adaptons ainsi «la phase 1 des analyses préalables, la phase 2 de la conception et de l’analyse à priori des situations didactiques de l’ingénierie, la phase 3 de l’expérimentation et enfin la phase 4 de l’analyse à postériori et de l’évaluation» (Artigue, 1996) à la conception d’un système tutoriel intelligent. Toutefois, un retour sur les phases antérieures est indispen- sable afin de faire évoluer notre système en accord avec les nouvelles informations relevées.

2 1 3 4 GGBT Didactique Informatique Couches Cycles Expérimentation Structure discursivo-graphique

Structure des messages

Structure des problèmes Structure évaluative Structure des profils d’intervention

Validation des solutions

+ Développement des messages discursifs Validation des messages discursifs

+ Développement des profils d’intervention

Validation des messages intégrés

+ Développement des compétences instrumentées Validation des interventions adaptées

+ Développement des sous-problèmes

Q ED X G G BT QEDX

Figure 3.2 Cycles de conception de QEDX (adapté de Richard et al., 2011)

Or, cette stratégie s’inspire de la Théorie Ancrée de Glaser et Strauss (1967) qui admet que le chercheur est influencé notamment par ses expériences et que celles-ci viendront transformer le processus même de la recherche. Pour que ses analyses représentent le plus fidèlement pos- sible la réalité observée, il doit alors s’imprégner consciemment de ces influences sans tenter de les supprimer. Ainsi, chaque phase expérimentale, en plus de servir à valider le travail réa- lisé, est mise à profit afin de recueillir des données pour la conception de la couche suivante. Il est dès lors possible d’intégrer des corrections de bogues, mais aussi de prendre en compte les schèmes d’utilisation constatés à la suite de chaque expérimentation. Le système issu de chaque cycle n’est donc pas un produit fini, mais un instrument en constante évolution. Dans le cadre de notre projet (figure 3.2), l’objectif du premier cycle de conception consistait à produire un système, nommé à l’époque GeoGebraTUTOR (GGBT), qui est en mesure d’encoder et d’inventorier toutes les solutions acceptables pour différents problèmes de dé- monstration (structure discursivo-graphique). Il s’agissait alors, au terme d’une analyse théo- rique, de choisir et d’implanter un certain nombre de problèmes qui proposent à la fois une diversité didactique, mais aussi des défis informatiques. GGBT permettait ainsi de résoudre quatre problèmes à son interface, mais n’offrait aucune structure d’aide. En effet, notre in- tention était d’étudier des interactions authentiques entre l’enseignant, l’élève et le système, donc une implantation ad hoc d’interventions artificielles aurait affecté nos observations. Le premier cycle se conclut par une expérimentation qui permit, d’une part, de valider les solu- tions implantées ainsi que l’interface proposée et, d’autre part, de recueillir des informations relatives aux messages discursifs employés par les enseignants pour aider les élèves.

Les données issues de la première expérimentation nous ont permis de corriger les solutions aux problèmes et de réaménager l’interface de GGBT. De plus, elles ont servi d’ancrage au

second cycle de développement où l’on a cherché à proposer une aide mettant en oeuvre une structure de messages discursifs inspirée des interventions des enseignants. Cependant, étant donné la complexité de ces dernières, nous avons restreint notre analyse à un sous-ensemble qui nous semblait pertinent. Un modèle de rétroaction d’un enseignant typique a alors été extrait et implanté dans la seconde itération de notre système, soit QEDX. Nous l’avons renommé afin de dénoter son indépendance par rapport à GeoGebra (Hohenwarter, 2013), un logiciel de géométrie dynamique, car même si nous employons actuellement ce dernier pour gérer la figure dynamique, nous envisageons de le remplacer. QEDX a ensuite fait l’objet d’une expérimentation en classe (voir section 3.4) permettant ainsi de clore le second cycle. Nous avons donc eu l’occasion de valider les messages discursifs proposés par notre système et de colliger des données concernant les différents profils d’intervention des enseignants. Ces dernières seront, par la suite, réinvesties dans les phases ultérieures du projet, comme indiqué, à titre informatif, sur la figure 3.2.

QEDX, qui est le sujet de cette thèse, n’est donc pas un produit final. En fait, il est en constante évolution, car il y a adaptation mutuelle entre les utilisateurs et notre système tu- toriel intelligent. Par conséquent, nous ne prétendons pas que ce dernier aura un impact me- surable sur la réussite des élèves dans son état actuel et c’est pour cette raison que nous avons évité d’évaluer sa performance à l’aide de prétests et de post-tests. Toutefois, la conception de notre système est basée sur des observations d’interventions d’enseignants réels et celles-ci ont servi à élaborer des spécifications en collaboration avec les didacticiens de l’équipe. Dans ce contexte, nous avons opté pour une validation par les experts, soit les didacticiens, car ils ont la compétence requise pour analyser les échanges entre les élèves et QEDX. Nous nous assurons ainsi que notre système est valide du point de vue didactique et qu’il peut prétendre offrir un soutien pertinent (relation 6 de la figure 3.1) par rapport aux interactions qui ont été observées entre les élèves et les enseignants, sans pour autant remplacer ces derniers. Finalement, nous avons tenté, en concevant QEDX, de créer un Espace de Travail Géométri- que (ETG), soit un environnement propice à l’exercice réussi de la géométrie. Premièrement, un ETG est un univers organisé dans lequel s’effectue le travail du géomètre (novice) et, selon Kuzniak (2006), il intervient naturellement dans l’analyse de l’interaction sujet-milieu lors de la résolution de problèmes de géométrie. Le concept d’ETG permet de préciser la relation 2 (figure 3.1) de la TSD. Par exemple, Kuzniak (2011) utilise trois genèses, soit la genèse instrumentale, la genèse vidéo-figurale et la genèse discursivo-graphique, pour préciser cette relation. Dans le cadre de notre travail, nous avons analysé QEDX en cherchant à y repérer la possibilité de recourir à l’une ou l’autre de trois démarches, soit celles définies par Coutat et Richard (2011). Il y a premièrement la démarche de découverte qui s’articule autour de l’exploration des propriétés des objets géométriques et l’intégration des figures

dynamiques tend à bonifier celle-ci. Ensuite, la démarche de validation intervient lorsque l’élève tente de consolider les propriétés observées en un système formalisé et c’est alors que de nouvelles connaissances peuvent émerger. Quant à la démarche de modélisation, elle permet à l’élève de traduire son raisonnement opéré sur la figure géométrique en un raisonnement qui respecte le modèle déductif. Ainsi, elle s’accomplit principalement lors de la rédaction de la démonstration. Ces trois démarches sont, comme les genèses, des témoins du travail du géomètre au sein de l’ETG. Nous verrons, dans la section suivante, comment l’interface de QEDX permet de résoudre des problèmes par l’entremise de ces trois démarches.

Pour mériter le statut d’ETG, QEDX doit respecter deux conditions (Tessier-Baillargeon et al., 2014), soit d’être organisé de façon à permettre à l’élève de s’approprier le problème posé puis de clore sa résolution et, de plus, amener l’élève à travailler conformément aux attentes de l’institution scolaire. La première condition est considérée à priori par le fait que QEDX a été conçu à l’aide d’une démarche évolutive illustrée à la figure 3.2 et que chaque itération de celui-ci est influencée par les observations faites dans des situations authentiques de résolution de problèmes en classe. De plus, il a été démontré à postériori que son interface permet de réaliser les démarches de découverte, de validation et de modélisation (voir chapitre 7). En ce qui concerne la deuxième condition, il faut savoir que les graphes de démonstration pour les cinq problèmes inclus dans QEDX (annexe A) ont été sélectionnés et composés par les didacticiens de l’équipe qui connaissent le système scolaire québécois. Notre logiciel ne travaille donc pas en géométrie purement formelle, même s’il s’en approche, mais peut se conformer aux démarches ciblées par des enseignants québécois et peut aussi être adapté en fonction des approches adoptées par d’autres enseignants d’ici et d’ailleurs.