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CHAPITRE 3 SURVOL DU SYSTÈME ET FONDEMENTS DIDACTIQUES

3.3 Architecture logicielle de QEDX

Maintenant que les bases didactiques qui sous-tendent l’élaboration de la version actuelle de notre système, soit QEDX, ont été clairement définies et que l’interface de celui-ci a été décrite à la section précédente, nous présentons la structure logicielle qui forme l’intelligence de Prof Turing et qui est le coeur de notre contribution au domaine des systèmes tutoriels intelligents en géométrie. Puisque la conception de notre système s’appuie sur une modélisation, fondée notamment sur des analyses didactiques, des interventions d’enseignants observés lors de la résolution, par les élèves, de problèmes en géométrie, la collaboration entre informaticiens et didacticiens est essentielle. Par conséquent, les structures et les algorithmes proposés ont été grandement influencés par ces derniers, car ce sont eux qui ont essentiellement identifié les interactions souhaitées et observées à l’interface de QEDX. De plus, comme il fallait que le logiciel puisse s’adapter à différents types d’enseignements, nous avons opté pour une approche guidée par les données, ce qui laisse un maximum de contrôle aux concepteurs de contenu, soit les didacticiens et les enseignants.

Figure 3.7 Architecture logicielle de QEDX

L’architecture logicielle de QEDX est construite autour du concept d’inférence, même si au- cun ordre particulier n’est imposé à l’élève lors de l’écriture des énoncés. Elle est composée de quatre couches distinctes (figure 3.7) qui interagissent afin de fournir un soutien à la démons- tration. Sommairement, la couche HPDIC permet de modéliser l’ensemble des solutions à un problème et celles-ci sont annotées par le MIA afin de consigner la chronologie des actions de l’élève. Ces informations sont ensuite interprétées par l’EDOI qui planifie une séquence de pistes de résolution, qui est exploitée par le GMD pour générer les messages d’aide dis- cursifs de QEDX. Dans les paragraphes qui suivent, nous présentons une brève description

de chaque couche et de leurs interactions dans le but d’illustrer le fonctionnement général de notre système tutoriel intelligent.

3.3.1 Graphe HPDIC

La couche de base de QEDX sert à modéliser l’ensemble des démonstrations acceptables pour un problème donné. Nous l’avons nommée «graphe HPDIC», car il s’agit d’un graphe qui contient des Hypothèses, Propriétés, Définitions, résultats Intermédiaires et Conclusion. Celui-ci est unique pour chaque problème et est construit à partir des inférences acceptables, déterminées par les didacticiens en fonction du problème à résoudre et du contexte scolaire, qui sont inscrites dans un fichier texte. Il y a donc un travail préalable à faire de la part de ces derniers pour être en mesure d’ajouter un problème au logiciel. Le graphe HPDIC est une structure statique qui est mise en mémoire lors du choix du problème.

Pour construire le graphe HPDIC, nous devons premièrement créer une structure en arbre pour chaque inférence inscrite dans le fichier texte. Dans cet arbre, la justification constitue le noeud central auquel s’arriment les antécédents, en tant que parents, et le conséquent, en tant qu’unique enfant. À partir de l’ensemble des arbres produits, il suffit de fusionner les noeuds comportant des résultats intermédiaires (antécédents et conséquents) identiques afin de produire le graphe. Celui-ci relie donc les hypothèses à la conclusion par une alternance de justifications et de résultats intermédiaires. Le graphe HPDIC obtenu est véritablement un graphe, car il peut comporter des cycles dans le cas où des inférences symétriques, dans lesquelles les antécédents et le conséquent sont intervertis, seraient utilisées dans des dé- monstrations distinctes. Par exemple, dans le cas du problème du rectangle (annexe A.1), une stratégie de résolution consiste à montrer que la figure est un parallélogramme pour déduire la valeur de l’angle ABC. De façon symétrique, il est aussi possible de calculer la valeur de l’angle ABC afin de déterminer que la figure est un parallélogramme. Ce sont ces deux inférences légitimes qui forment un cycle dans le graphe. À partir du graphe HPDIC, nous sommes en mesure d’énumérer toutes les solutions possibles à l’aide d’un algorithme que nous avons conçu et qui fonctionne en chaînage arrière, c’est-à-dire qu’il part de la conclusion pour remonter jusqu’aux hypothèses.

Le graphe HPDIC constitue véritablement la base de notre système, car les informations qu’il contient sont exploitées par les couches supérieures. En effet, le MIA annote les noeuds pour rendre compte du cheminement de l’élève alors que l’EDOI l’utilise pour trouver la solution la plus avancée et pour choisir les inférences pour lesquelles Prof Turing fournira de l’aide. De plus, il est employé directement pour produire le texte de la fenêtre de rédaction. Sa structure a aussi été conçue dans le but de pouvoir y intégrer les graphes de construction et de pouvoir

l’utiliser comme représentation des preuves dans l’onglet Schéma. Ainsi, lorsque QEDX sera complété, le graphe HPDIC sera la structure qui unifiera les différentes représentations de la preuve et qui permettra d’offrir une aide contextualisée.

3.3.2 Modèle Itératif de l’Apprenant (MIA)

La couche suivante, soit le MIA, sert à modéliser le cheminement de l’élève lors de l’éla- boration de sa démonstration. Les systèmes tutoriels classiques en géométrie utilisent ha- bituellement une progression en chaînage avant ou arrière pour prévoir la prochaine action souhaitable de l’élève et limitent l’aide à cette unique action. Pour y arriver, seul l’ensemble des noeuds activés, sans égard à l’ordre d’activation, est requis. Certains systèmes utilisent, en plus, le dernier noeud activé pour offrir une aide plus personnalisée. En créant QEDX, notre but était de proposer, lors d’un blocage de l’élève, différentes pistes de solution, comme le ferait typiquement un enseignant. Nous avons donc proposé le MIA qui permet de rendre compte de l’avancement de l’élève, mais aussi de la chronologie de ses actions, pour être en mesure de proposer une aide qui a pour objectif de respecter son état cognitif, donc mieux adaptée à sa démarche de résolution.

Le graphe HPDIC étant statique, il nous fallait définir une structure pour enregistrer la pro- gression de l’élève dans l’élaboration de sa démonstration. En raison d’une communication actuellement déficiente entre le logiciel de géométrie dynamique, soit GeoGebra (Hohenwar- ter, 2013), et QEDX, nous avons décidé, pour l’instant, de ne traiter que les actions discursives de l’élève, à savoir les énoncés soumis qui sont issus de l’onglet Phrases. Dans ce contexte, le MIA consiste à ajouter des informations concernant les actions discursives de l’élève à chaque noeud du graphe HPDIC. Ainsi, pour chaque phrase inscrite qui se trouve dans le graphe HPDIC (action valide), nous indiquons, dans tous les noeuds la contenant, une valeur qui correspond au moment de l’activation. Dans la couche MIA de la figure 3.7, les noeuds activés ont une coloration jaune. Ces informations sont constamment mises à jour lors de l’élabora- tion, par l’élève, d’une démonstration. Elles sont utilisées dans les couches supérieures pour générer des messages adaptés et pour proposer des pistes de solution relativement aux actions valides récentes.

3.3.3 Évaluation des Démonstrations / Ordonnancement des Inférences (EDOI)

Pour aider l’élève, QEDX génère des messages instantanés et une série d’indices par l’entre- mise de la couche GMD. Ceux-ci ont pour but de relancer le processus de résolution lors d’un blocage sans pour autant donner directement les réponses. Pour produire ces messages, nous devons préalablement déterminer la démonstration la plus avancée parmi toutes celles qui

sont possibles et ordonnancer les inférences selon un ordre logique qui respecte l’état cognitif de l’élève. Dans le cadre de notre système, c’est la couche EDOI qui met en oeuvre ces deux opérations. Elle se charge, d’une part, d’estimer l’achèvement des différentes démonstrations, mais, en fait, seule celle qui est la plus avancée nous intéresse, car elle permet d’évaluer la progression de l’élève. Ainsi, cette dernière est utilisée pour générer le message instantané et proposer une preuve dans l’onglet Rédaction. D’autre part, l’algorithme d’ordonnancement emploie cette même démonstration, qui est considérée comme le plan de résolution courant de l’élève, pour privilégier les inférences qui font partie de celle-ci. Il combine cette information avec les données du MIA afin d’obtenir une liste ordonnée d’inférences qui est mise à jour après chaque action valide de l’élève et qui est exploitée par le GMD.

Dans QEDX, nous définissons la démonstration la plus avancée comme étant celle dont le ratio du nombre de phrases énoncées par l’élève par rapport au nombre de phrases nécessaires pour la rédiger en entier est le plus élevé. En présence d’un graphe HPDIC, il s’agit de calculer le pourcentage de noeuds activés pour chaque solution. Cette procédure demande cependant de calculer le ratio pour chaque démonstration après chaque action valide de l’élève, ce qui peut être long pour des problèmes possédant des millions de solutions. Pour éviter ces calculs onéreux, nous avons conçu un algorithme qui permet de propager une approximation du pourcentage de noeuds activés, mais celui-ci fonctionne uniquement sur des arbres HPDIC. Pour ce qui est des graphes HPDIC, nous créons, au préalable, un ensemble d’arbres HPDIC qui contiennent collectivement toutes les démonstrations du graphe d’origine. On peut alors, par traçage arrière, retrouver la démonstration la plus avancée de façon presque immédiate. Cette dernière sert notamment à ordonner les inférences dans l’EDOI et à produire le message instantané dans le GMD.

L’algorithme d’ordonnancement des inférences entre ensuite en jeu pour indiquer au GMD dans quel ordre les indices devraient être proposés à l’élève en état de blocage. À l’aide des données du MIA, il est possible de savoir sur quelle inférence l’élève a le plus récemment tra- vaillé afin de l’aider sur celle-ci en priorité. En fait, nous ordonnons toutes les inférences du graphe HPDIC selon un ordre chronologique inverse, soit de la plus récente à la plus ancienne. Dans le cas des inférences n’ayant pas encore été traitées par l’élève, elles se retrouvent dans un ordre quelconque en queue de liste, car il s’agit de nouvelles pistes qui n’ont pas encore été explorées par ce dernier. Lorsque la démonstration la plus avancée dépasse un certain seuil d’achèvement, les inférences faisant partie de celle-ci sont traitées en priorité, même si d’autres ont été travaillées plus récemment, car nous voulons inciter l’élève à compléter cette démonstration. Pour y arriver, nous ordonnons premièrement les inférences de la démons- tration la plus avancée. Nous y concaténons ensuite, en ordre chronologique inverse, le reste des inférences du graphe. Une fois l’ordonnancement complété, la liste ordonnée est fournie

au GMD, qui l’utilise pour générer les messages qui permettront possiblement de relancer le processus de résolution d’un élève bloqué.

3.3.4 Génération des Messages Discursifs (GMD)

Un des objectifs de QEDX consiste à offrir à l’élève une aide inspirée des interventions d’enseignants réels. Afin de l’atteindre, nous avons ajouté à notre système la couche GMD, qui génère les messages discursifs de Prof Turing visant à relancer le processus de résolution de l’élève. La séquence et la teneur des messages à afficher ont été déterminées à la suite de l’analyse des interactions entre les élèves et leurs enseignants, qui furent observées lors de l’expérimentation qui a permis de clore le premier cycle de conception (figure 3.2). Nous avons alors décelé une certaine structure tant au niveau de l’ordre des messages que de leur contenu et nous l’avons exploitée lors de la programmation de ceux-ci au sein de QEDX. La couche GMD, utilisant notamment la liste d’inférences ordonnée, complète donc l’intelligence de notre agent-tuteur. Elle est d’ailleurs une des principales contributions de notre recherche, car elle est en mesure de proposer des messages d’aide, selon un horaire préétabli, comme le ferait un enseignant typique. L’élève ne peut toutefois pas forcer QEDX à résoudre le problème à sa place, car il lui est impossible de solliciter directement des indices.

Premièrement, la couche GMD génère les rétroactions instantanées qui modélisent certaines réactions spontanées de l’enseignant. Elles apparaissent dans la fenêtre de clavardage sous forme d’émoticônes et de messages courts en réponse à la soumission d’un énoncé. Ces ré- troactions sont simples à produire, car elles ne dépendent que de la pertinence de l’énoncé soumis et de la progression de l’élève. D’une part, la pertinence est évaluée en utilisant les données de la couche HPDIC ainsi qu’une banque d’erreurs modélisées. La progression est, d’autre part, calculée sur la solution la plus avancée, extraite par la couche EDOI, et permet d’influencer la rétroaction dans le cas d’un énoncé valide, à savoir s’il est contenu dans un des noeuds du graphe HPDIC.

La couche GMD met également en oeuvre une machine à états finis qui comporte tous les états nécessaires afin de reproduire les principales stratégies employées par les enseignants observés pour relancer un élève bloqué dans son processus de résolution. À chaque état est associé un ensemble de messages qui pourraient être affichés dans la fenêtre de clavardage. Cependant, puisque tous les états ne sont pas utilisés dans toutes les situations, il est possible d’en sauter certains en ne leur attribuant aucun message. Comme QEDX a été conçu selon une architecture guidée par les données, les messages pour les différents états sont définis par les didacticiens ou les enseignants dans un fichier texte. En plus des messages statiques, il est possible de composer des messages dynamiques qui intègrent certains énoncés inscrits

par l’élève. Différents niveaux de messages peuvent même être programmés, allant des plus génériques aux plus précis. Les concepteurs de contenu ont donc un contrôle déterminant sur les interventions de Prof Turing.

Pour générer les messages, la machine, à la suite d’une action valide de l’élève, récupère la liste ordonnée d’inférences produite par l’EDOI et se place dans un état initial. Elle parcourt alors séquentiellement les divers états et affiche, dans l’ordre prévu, les messages contenus dans chacun, tout en respectant les délais établis. Les premiers états renferment des messages génériques qui s’appliquent à l’ensemble du problème tandis que les suivants sont associés aux éléments d’une inférence particulière qui provient de la liste de l’EDOI. Notre machine parcourt, dès lors, tous les messages d’aide par rapport à une inférence avant de passer à la suivante, soit une autre piste de résolution. Elle continue de traiter les inférences jusqu’à ce que la liste de l’EDOI soit vide ou qu’un délai maximal sans action valide soit atteint. À ce moment, la machine se place dans un état final qui indique l’action que l’élève devrait exécuter ou qui l’invite à consulter son enseignant. Tous les messages de QEDX sont ainsi générés par la couche GMD, alors que les autres couches (EDOI, MIA et HPDIC), de même que les textes créés par les didacticiens, servent à déterminer leur séquence et leur contenu. Cette dernière couche permet donc de reproduire un sous-ensemble appréciable des interventions d’un enseignant typique lors de la résolution, par l’élève, d’un problème de géométrie. Dans cette section, nous avons proposé une synthèse des quatre couches, relativement au- tonomes, constituant QEDX (figure 3.7). La couche de base contient le graphe HPDIC qui rassemble toutes les démonstrations acceptables pour un problème donné et qui est exploité par les différents composants de notre système. Au-dessus s’ajoute la couche MIA qui permet de rendre compte du cheminement de l’élève dans son processus de résolution en consignant la chronologie de ses actions discursives. À partir de cette dernière, la couche EDOI déter- mine la démonstration la plus avancée et ordonne les inférences pour établir la stratégie d’aide à adopter. Enfin, la couche GMD génère une rétroaction instantanée et, si nécessaire, un message court à la suite de chaque action discursive de l’élève afin de l’informer de sa progression. De plus, à partir de la liste ordonnée des inférences, elle produit, à la manière d’un enseignant, les indices proposés par Prof Turing dans le but de soutenir le processus de résolution de l’élève. Dans la section suivante, nous décrivons les expérimentations ainsi que la méthodologie qui ont permis de concevoir et de valider la version actuelle de QEDX.