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1.3 Modèles probabilistes de champs incidents

1.3.2 Fonctions de cohérence

On s'intéresse maintenant aux expressions retenues dans la littérature pour les fonctions de cohérence du champ incident. Celle-ci permet de décrire quantitativement la variabilité spatiale du champ sismique incident, aussi bien en terme d'amplitude qu'en terme de phase. Physiquement la variabilité spatiale se traduit simplement par l'observation de déplacements diérentiels non nuls en deux points plus ou moins éloignés du site étudié lors d'un trem-blement de terre. Elle dépend donc de phénomènes non-linéaires locaux tels que la présence en surface d'une faille induisant un mouvement relatif entre les points d'observations, ou la liquéfaction du sol sous l'action du séisme, ou bien encore les éventuels glissements de terrain engendrés. Généralement ces aspects sont ignorés dans l'étude de la variabilité spa-tiale des mouvements sismiques, ne serait-ce que parce qu'ils conservent un caractère très exceptionnel, sont plus facilement prévisibles et à ce titre peuvent être pris en compte direc-tement par une approche purement déterministe dans un dimensionnement industriel. Les études se concentrent plus volontiers sur les aspects, beaucoup plus diciles à caractériser, liés à la propagation des ondes sismiques depuis la source jusqu'en surface dans des régimes aussi bien linéaires (diractions multiples par exemple) que non-linéaires (amortissement et dissipation par exemple). Compte tenu de cette limitation, on considère que la variabilité spatiale du champ incident dépend de quatre phénomènes distincts généralement identiés comme suit :

1. l'eet d'incohérence pure : celui-ci englobe les eets des nombreuses diractions, ré-exions, interférences que l'onde sismique subit depuis la source, éventuellement très étendue, jusqu'à une distance du site étudié telle que globalement les données méca-niques des sols ne sont plus accessibles aux mesures ;

2. l'eet de passage d'onde : celui est lié aux diérences des temps d'arrivée de l'onde sismique aux diérentes stations de mesure. Il est purement déterministe dès lors que l'on connaît parfaitement la phase du signal ;

3. l'eet d'atténuation, correspondant à la dissipation en amplitude des ondes en fonction de la distance par amortissements géométrique et énergétique, à la diusion et à la dispersion lorsque la vitesse de phase dépend de la fréquence ;

4. enn l'eet de site, lié à la variabilité locale (géologie et stratigraphie) du prol du sol pour le site considéré.

Leur importance relative dépend essentiellement :

 de l'échelle d'observation : si elle est de quelques kilomètres, l'amortissement peut devenir le facteur prépondérant, tandis que si elle n'est que de quelques centaines de mètres il est plus probable que le contenu de la phase de l'onde aura un rôle important ;  de la gamme fréquentielle : les hautes fréquences sonts susceptibles d'être bien plus sen-sibles aux réexions multiples et à l'amortissement que ne le sont les basses fréquences. Une conséquence immédiate est que les accélérations observées dues à un séisme sont bien plus incohérentes que les déplacements ou même les vitesses correspondantes.

Der Kiureghian [56] compare par exemple l'inuence des eets du passage d'onde et du site sur la réponse sismique d'une structure étendue telle qu'un pont (déplacements diérentiels des appuis par exemple) : ainsi l'eet de site sera plus important pour des travées relati-vement courtes correspondant à une fréquence fondamentale de vibration comprise entre 0.5 Hz et 1.5 Hz alors que l'eet du passage d'onde est plus pénalisant pour des travées plus longues. Quoi qu'il en soit la complexité des phénomènes mis en jeu justie pleinement l'uti-lisation d'une approche probabiliste an de caractériser l'inuence de la variabilité spatiale des tremblements de terre liée à la propagation des ondes simiques.

La fonction de cohérence globale du champ incident sera le produit des fonctions de cohérence particulières liées à ces quatre phénomènes dans la mesure où ils restent relative-ment indépendant les uns des autres. Si l'on cherche en plus à évaluer l'eet des paramètres à long terme, il sut de multiplier cette fonction par la fonction de cohérence du mécanisme à la source - pourvu que celle-ci soit connue. C'est sur la base de cette classication que Der Kiureghian [56] a proposé un modèle théorique général de fonction de cohérence trans-versale, limité au cas stationnaire en temps et non-homogène en espace avec j = k dans l'Eq.(1.12), c'est-à-dire :

γV(x, x0, ω) = SV(x, x

0, ω) pSV(x, x, ω)SV(x0, x0, ω)

où dans l'Eq.(1.11) la transformée de Fourier n'est appliquée que pour la variable de temps ; pour une direction donnée du champ incident, la fonction de densité spectrale transversale SV(x, x0, ω) a la forme correspondant à l'Eq.(1.14) :

SV(x, x0, ω) = Q(x, ω)S(ω)Q(x0, −ω)

Dans ce modèle, la fonction de cohérence correspondant à l'eet d'incohérence pure est réelle, positive ou nulle ; l'eet du passage d'onde introduit un terme de phase pur, tandis que l'eet d'atténuation n'introduit lui qu'un terme réel relativement proche de 1 dans tous les cas ; enn l'eet de site n'introduit lui généralement qu'un terme de phase ne dépendant, sous certaines hypothèses simplicatrices réalistes, que des paramètres mécaniques du sol au droit des points d'observation considérés indépendamment de leur distance et du mouvement du bedrock.

Modèles empiriques

Dans le cas où l'on dispose d'enregistrements obtenus par des réseaux denses d'accé-léromètres, on peut construire par des méthodes de régression des modèles empiriques de fonctions de cohérence transversale. Ceux-ci, ainsi que les modèles semi-empiriques intro-duits ci-après, sont fondés sur un certain nombre d'observations générales concernant les accélérations enregistrées à la surface libre. Ainsi, les eets d'incohérence, d'atténuation et de site sont de nature isotrope (2), si bien que les fonctions de cohérence correspondantes ne dépendent en fait que de la distance kx − x0k. Pour ce qui concerne l'eet du passage d'onde, il est souvent possible d'identier une vitesse apparente approximative et une direction de propagation depuis l'épicentre. On peut dès lors retenir la forme générale de la fonction de

2Ou plutôt c'est une hypothèse souvent faite a priori pour le traitement des données relatives à un site particulier.

cohérence transversale :

γV(x, x0, ω) = ρV( x − x0 , ω)e−iω

r.(x−x0)

capp (1.16)

où capp est la célérité apparente de l'onde sismique dans la direction radiale (épicentre -point d'observation) de vecteur directeur unitaire r, et ρV(x, ω)est la fonction de cohérence transversale englobant les eets d'incohérence pure, d'atténuation et de site. Notons à ce stade que l'on trouve par ailleurs dans la littérature anglo-saxonne diérentes dénitions associées à la fonction de cohérence transversale : la cohérence (coherence) est le carré de la fonction de cohérence transversale, et est un nombre réel positif compris entre 0 et 1 ; en écrivant la fonction de cohérence transversale à valeurs complexes sous la forme :

γV(d, ω) = |γV(d, ω)| eiθ(d,ω) (1.17) avec d = kx − x0k, θ(d, ω) déni alors le spectre de phase (phase spectrum), |γV(d, ω)|la cohérence retardée (lagged coherency) et < [γV(d, ω)]la cohérence non retardée (unlagged coherency). Notons enn que, d'un point de vue terminologique, l'étude de la cohérence ne porte généralement que sur le terme de phase tandis que l'étude de la variabilité spatiale se réfère quant à elle à la fois au terme d'amplitude et au terme de phase.

Dans le tableau ci-dessous sont reportés les distances caractéristiques considérées pour l'élaboration de ces modèles à partir des enregistrements issus des quatre principaux réseaux décrits dans la littérature. Plusieurs modèles empiriques fondés sur des enregistrements

nom du réseau kx − x0kmin (m) kx − x0kMax (m)

El Centro 7.6 312.6

SMART-1 100. 4000.

LSST 0. 100.

EURO-SEISTEST 8.100. 100.5500.

Tab. 1.1  Distances caratéristiques entre stations de réseaux denses d'accéléromètres récents. particuliers des réseaux cités ci-dessus ont été proposés :

 Hoshiya & Ishii [95],

γV(x, x0, ω) = exp−α

x − x0 + y − y0 + z − z0  cos(βz) cos(βz0

) (1.18) avec α = a+bω

capp, la particularité de ce modèle étant de proposer une expression de la cohérence en profondeur et non pas seulement en surface. Il est fondé sur des enregistrements pour des distances entre stations de l'ordre de 50 m ;

 Harichandran & Vanmarcke [90] et Harichandran [89] pour le réseau SMART-1, |γV(d, ω)|1 = A exp −2Bd aβ(ω)  + (1 − A) exp −2Bd β(ω)  |γV(d, ω)|2 = A exp −2(1 − A)d aβ(ω)  + (1 − A) β(ω) = k  1 +  ω ω0 b−1 2 B = 1 − A + aA (1.19)

où la relation pour |γV(d, ω)|2[89] s'applique au delà de certaines fréquence et distance de coupure ;

 Loh & Yeh [138] également pour le réseauSMART-1,

γV(d, ω) = exp [(−a − bω)dc] (1.20)  Abrahamson et al. [1] pour le réseauLSST,

tanh−1V(d, ω)| = (a1+ a2d)  exp ((b1+ b2d)ω) + 1 3ω c  + k (1.21)  Hao [86] pour le réseauSMART-1,

V(d, ω)| = exp− α1(ω)d2l + α2(ω)d2t ω αj(ω) = aj ln(ω) + bj , j = 1, 2 dl= |(x − x0).r| , dt= k(x − x0) − [(x − x0).r] rk (1.22) etc., avec les mêmes limitations que le modèle théorique de Der Kiureghian ; les diérents paramètres intervenant dans ces expressions sont évalués à partir des enregistrements pour le site considéré. Certains auteurs déduisent de ces fonctions exprimées pour des mouvements de translation les fonctions de cohérence pour des mouvements de torsion (Laouami [126], Hao [86]) dont on sait par ailleurs qu'ils sont ampliés par l'incohérence spatiale (voir la section Ÿ1.2) lorsqu'on s'intéresse à la réponse de la structure.

Globalement, la fonction de cohérence retardée tend à décroître quand la fréquence aug-mente et quand la distance entre les points d'observations augaug-mente également. La décrois-sance en fonction de la distance est plus forte aux basses fréquences et s'atténue en hautes fré-quences, tandis que la décroissance en fonction de la fréquence est plus prononcée passé une certaine fréquence et une certaine distance de coupure (Harichandran & Vanmarcke [90], Ha-richandran [89]). Par contre, l'écart-type dans l'espace des phases σV(x, ω) =pSV(x, x, ω) tend à augmenter quand la fréquence augmente (Hoshiya & Ishii [95]). D'autres études (voir par exemple Toksöz et al. [208]) montrent plutôt que la fonction de cohérence dépend du produit ωd

λ, où λ désigne la longueur d'onde, ce qui suggère une décroissance similaire en fonction de la fréquence et de la distance. Diérents facteurs inuent donc sur la perte de cohérence des ondes sismiques, et ceux-ci varient suivant les échelles utilisées ; par ailleurs les diérents auteurs ayant proposé des modèles de fonction de cohérence reconnaissent qu'ils restent largement dépendant des enregistrements (pour un séisme particulier) choi-sis pour l'analyse, même si le site reste le même. On peut tout de même remarquer que la caractérisation de la variabilité de la phase pose quelques dicultés d'analyse lorsqu'on traite un jeu de données expérimentales. Ainsi, en théorie, non seulement l'extrapolation du modèle obtenu pour un évènement particulier à un autre évènement n'est pas justiée, mais encore l'existence d'une fréquence ou distance de coupure interdit également l'extro-polation de ce même modèle à d'autres ordres de grandeur des distances de séparation ou des fréquences (3). Nous insistons encore ici sur le fait que ces études ne concernent que la cohérence d'une direction particulière du mouvement sismique, généralement horizontale (par exemple direction radiale parallèle à l'azimuth ou direction transversale), et qu'aucun résultat n'a à ce jour, à notre connaissance, été publié concernant la cohérence croisée de

3Notons néanmoins que la gamme des fréquences considérée en génie parasismique varie peu. On prendra typiquement [0, 20] Hz, voire [0, 10] Hz en sismologie.

deux directions du mouvement sismique. La prendre égale à zéro revient à négliger des in-formations, ce qui correspondrait à une approche conservatrice dans le sens de la sécurité pour le dimensionnement d'un ouvrage.

Modèles semi-empiriques

D'autres auteurs proposent quant à eux des modèles semi-empiriques de fonctions de cohérence, dans le sens où ils cherchent à établir une formule analytique pour celles-ci à par-tir d'un modèle physique donné, en introduisant diérents paramètres susceptibles d'être caractérisés par des approches expérimentales ou sur la base des enregistrements sismiques des réseaux denses présentés ci-dessus. Le modèle semi-empirique le plus couramment réfé-rencé dans la littérature est celui proposé par Luco & Wong [142] sur la base d'un modèle de propagation 1D (correspondant à une onde SH élastique) établi par Uscinski [212] :

V(d, ω)| = exp " − ηωd capp 2# η = r µ r `cor (1.23)

où cappest la vitesse apparente de propagation en surface de l'onde SH, `corest la longueur de corrélation (échelle caractéristique) des hétérogénéités alétoires le long de la trajectoire de l'onde, µ est un coecient caractérisant la variation relative déterministe des modules élas-tiques moyens du milieu, et η un paramètre caractérisant le degré d'incohérence du milieu ; r est la distance parcourue par l'onde. Le paramètre η

capp contrôle essentiellement l'allure de la fonction de cohérence retardée (1.23) et peut être calé sur la base des accélérogrammes considérés. Ce modèle conduit à une valeur de la cohérence de 1 à la fréquence nulle quelle que soit la distance de séparation d et qui tend vers 0 quand la fréquence et/ou la distance de séparation augmente(nt), contrairement à certains des modèles empiriques proposés.

Zerva & Harada [231] proposent un modèle fondé sur l'étude analytique de la propa-gation d'ondes S à incidence verticale (impliquant un découplage complet des diérentes polarisations possibles) dans un demi-espace constitué d'un bedrock rigide et d'une couche d'épaisseur constante dont les paramètres mécaniques (module de cisaillement et densité) varient aléatoirement suivant la direction horizontale. L'eet du passage d'onde est pris en compte, tandis que l'eet d'incohérence pure (1. page 31) est caractérisé par la fonction de cohérence retardée de Luco & Wong [142] ci-dessus, Eq.(1.23) ; l'eet d'atténuation (3. page 31) est lui négligé ; ainsi l'objectif de l'analyse eectuée est le calcul de la fonction de cohérence correspondant à l'eet de site pour le modèle proposé ; enn la cohérence de la source sismique est prise en compte, mais les auteurs montrent que son eet sur les déplace-ments diérentiels et les déformations en surface est négligeable. La fonction de cohérence des déplacements en surface obtenue est essentiellement pilotée par la fonction de cohérence au niveau du bedrock (eet d'incohérence pure) exceptée une décroissance marquée loca-lisée au niveau de la fréquence dominante de la couche dont l'importance diminue avec la distance ; cette observation est en accord avec les observations expérimentales. La fonction de cohérence des déformations est quant à elle essentiellement pilotée par la fonction de cohérence locale liée au site (eet de la couche), c'est-à-dire que les déformations en surface dues au séisme sont principalement controlées par l'aléa sur les paramètres mécaniques de la couche au dessus du bedrock.

Récemment, Riepl [176] a essayé dans sa thèse de caractériser les variations en fonction du temps de la fonction de cohérence, tenant compte de la non-stationnarité eective du champ incident sur la base d'enregistrements du réseau européenEURO-SEISTESTen Grèce. En partant d'un modèle exponentiel de la fonction de cohérence sans le terme de passage d'onde :

ρV( x − x0 , ω) = e−[αωr.(x−x0)]β

l'auteur établit que, comparativement aux résultats expérimentaux obtenus pour quatre événements, la valeur la plus stable pour le paramètre d'atténuation spécique du site, α, est obtenue pour β = 1.0 lorsque la durée du signal prise en compte ne varie pas. Par ailleurs, l'étude de l'inuence de la durée T du signal prise en compte suggère une variation logarithmique de ln α en fonction de T . Ainsi la cohérence diminue quand T augmente, c'est-à-dire que la contribution de la coda (4) à l'incohérence spatiale du mouvement sismique augmente en fonction de la durée. On peut donc estimer qu'il est préférable de ne conserver que des durées courtes an de n'évaluer la cohérence que sur la partie la plus énergétique du signal, si bien que dans ce cas l'hypothèse de stationnarité n'est plus du tout adaptée : la partie la plus énergétique du signal, sur une courte durée suivant l'arrivée de l'onde, est la plus cohérente tandis que la coda l'est beaucoup moins, même si elle contient des phases signicatives. Ce résultat est corroboré par diérentes analyses du paramètre ln α en faisant glisser une fenêtre de largeur 5s. Riepl note également, en accord avec d'autres études (par exemple Harichandran [89]), que la décroissance de la fonction de cohérence en fonction de la pulsation ω est moins prononcée que celle en fonction de la distance entre stations ; elle relève l'existence d'une distance de coupure de l'ordre de dc ' 100m (voir TAB. 1.1) au delà de laquelle la fonction de cohérence décroit continuement en fonction de la distance alors qu'elle reste quasiment uniforme en dessous de dc. Par ailleurs, l'inuence relative de diérents paramètres physiques à long terme tels que l'angle d'incidence, la distance épicentrale ou la magnitude du séisme a été analysée et il a été montré que ceux-ci n'avaient que peu d'eet sur la cohérence étudiée.