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ROMAN DES ORIGINES ORIGINES DU ROMAN

1. FAITS ET DIRES

« Écrire des livres n'est pas sans avoir quel-que rapport avec le péché originel. Car qu'est-ce qu'un livre sinon une perte d'inno-cence, un acte d'agression, une répétition de notre chute ? »

E.M.CIORAN1

'APPRENTISSAGE littéraire de S. Foote aura été de courte durée ; il lui aura suffi de deux romans, Tournament et Shiloh (publié en 1954, mais composé dès 1948), pour entrer en pleine possession de son art. Si Tournament révèle un écri-vain-né et Shiloh, un historien en puissance, Tourbillon porte la mar-que d'un écrivain fait ; c'est une œuvre de la maturité, solide, riche de sens et équilibrée. On retrouve d'ailleurs, à la lecture, le souffle et l'élan qui ont accompagné sa composition ; l'auteur a déclaré l'avoir écrite « d'un seul jet, du début à la fin, en suivant les grandes lignes que j'avais notées sur le dos d'une enveloppe2 ».

L'œuvre présente aussi ce mixte caractéristique de réel et d'imaginaire, propre aux romans de S. Foote. Comme l'avertissement au lecteur (bel exemple de dénégation) le laisse supposer (« Aucun personnage ne représente ou n'est censé représenter une personne vivante ou disparue, que ce soit par son nom, son aspect ou ses actes et quiconque croit se reconnaître ou reconnaître un ami ou un ennemi se trompe »)3, le roman s'appuie bel et bien sur un authentique fait divers, qui a fourni à l'auteur son point de départ. Voici ce qu'il en dit dans une lettre en date du 29 novembre 1983 :

1 E. M. Cioran, La Tentation d'exister (Paris : Gallimard, 1956) 107.

2 J. E. Kibler, Jr. "Shelby Foote : A Bibliography" in Mississippi Quarterly, 24 (Fall 1971) 441, note 12.

3 Cet avertissement ne figure pas dans la version française du roman : Tourbillon, trad. par M.-E. Coindreau et H. Belkiri-Deluen (Paris : Gallimard, NRF, 1978).

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Oui, Tourbillon s'inspire, quoique très librement, d'un crime et d'un procès ayant eu lieu près de chez moi. Un peintre en bâtiment nommé Floyd Myers avait noyé une jeune femme appelée Imogene Smothers dans le Lac Ferguson, près de Greenville ; j'ai assisté au procès, du premier jour au dernier. Ils étaient tous les deux originaires de l'Alabama et ne ressemblaient en rien à Luther Eustis ou à Beulah Ross. Les autres personnages du roman, l'avocat Nowell, Dummy, Stevenson, le guichetier, etc. ne sont pas davantage modelé sur les per-sonnes impliquées dans cette affaire. Je me suis contenté d'emprunter les données de base en y intégrant les personnages qui me conve-naient4.

Deux autres précisions s'imposent à propos des relations que l'œuvre de fiction entretient avec la réalité extérieure : la première concerne le titre original, Follow Me Down, tiré d'un blues, "Fannin Street", qu'interprétait Huddie Ledbetter, surnommé Leadbelly. Ce blues a pour thème le désir d'indépendance d'un jeune homme, qui veut s'émanciper de la tutelle maternelle et visiter un quartier mal famé. Son refrain, "follow me down" (« suis-moi »), et le thème de la destruction de l'homme par la femme sont repris par le roman. La musique occupe en général une grande place dans l'œuvre de S. Foote (cf. "Le Crescendo final", L'Amour en saison sèche), et ce roman en particulier n'échappe pas à la règle. Outre les références à "Fannin Street" et les extraits de chansons, intégrés dans le texte, la plaidoirie de l'avocat Parker Nowell est construite sur le modèle d'une sonate :

« Je le leur ai servi comme ça, tout droit, en forme de premier mou-vement de sonate : exposition, développement, réexposition » (296).

La seconde relation est intertextuelle ; nous mentionnerons, en plus de The Ring and the Book, déjà évoqué dans la première partie, quatre textes liés à Tourbillon : la Bible, The Pilgrim's Progress/Le Voyage du Pèlerin de J. Bunyan, Tandis que j'agonise et Le Bruit et la fureur pour l'évidente parenté entre Benjy et Dummy. Nous reprendrons cette question.

S. Foote a présenté son second roman comme étant « l'étude d'un crime passionnel, la tentative de traiter une sujet plutôt sensa-tionnel et de le relater à travers une série de monologues dits par les protagonistes. [...] J'espère qu'on a l'impression de pénétrer jusqu'au

4 Lettre à P. Carmignani du 29/11/1983.

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cœur d'une affaire effroyable et d'en émerger à nouveau entier et sain d'esprit5 ». Pour le définir à notre tour, nous pourrions reprendre les termes mêmes d'un des témoins appelés à comparaître au procès du protagoniste, Luther Eustis : Tourbillon est l'histoire d'un « brave gars qu'une fille perverse a entraîné dans une sale histoire parce qu'il est un peu fou » (28). Le brave homme en question n'est autre qu'un petit fermier qui, toujours lesté de sa Bible, partage une existence mono-tone entre les travaux des champs, la prière et sa famille, composée d'une épouse aussi vaillante que revêche, et de trois enfants (dont une vieille fille aigrie et une handicapée qui lui est viscéralement atta-chée). Cette vie aussi rectiligne qu'une « longue route droite, sans un seul tournant, sans dos d'âne » (106), va soudainement dévier lorsque Luther, le puritain, délaisse araire et foyer pour suivre une fille de joie de dix-huit ans, Beulah, dont le nom de famille Ross signifie précisé-ment « une colline/un dos d'âne ». L'idylle qui se noue a pour cadre une île où Luther, enfant, s'est rendu en compagnie de son grand-père.

Mais l'île (« image mythique de la femme, de la vierge, de la mère » et lieu où « le temps suspend son vol »)6 a changé ; elle n'a pas échappé au Temps, et les sentiments de Luther pour sa dulcinée n'y échappe-ront pas davantage. La dégradation est très rapide ; deux semaines suffiront pour que la passion s'émousse, que la mauvaise conscience taraude l'homme adultère et que l'idylle se dénoue tragiquement : Beulah est étranglée, lestée de quelques blocs de béton pour faire bon poids et jetée dans le fleuve. Mais le crime est découvert, l'homme arrêté et la justice requise pour peser la faute et mesurer le châtiment.

Le roman s'ouvre sur le procès d'Eustis et les versions des faits se succèdent au rythme des témoignages prononcés à la barre. Les faits gagnent en profondeur et en complexité, car chaque témoin apporte un éclairage différent, ajoute une dimension ou une signification nou-velles, et le lecteur, mis en position de juge, doit finalement, comme les jurés, se prononcer en son âme et conscience.

5 "A Colloquium with Shelby Foote." in Southern Humanities Review, 4 (automne 1981) 284.

6 G. Durand, Les Structures anthropologiques de l'imaginaire (Paris : Bordas, 1969) 274 et 287.

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Le roman est divisé en trois chapitres, eux-mêmes subdivisés en trois sections :

Première Partie 1. Le greffier 2. Le reporter 3. Dummy Deuxième Partie

4. Eustis 5. Beulah 6. Eustis Troisième Partie

7. L'épouse 8. L'avocat 9. Le guichetier

Les récits d'Eustis et de Beulah occupent le centre de l'œuvre ; l'auteur, qui aime qu'une composition soit parfaitement équilibrée (« J'aime que le milieu d'un roman se trouve au centre du livre7 »), a commenté cette organisation interne, de la manière suivante :

J'ai conçu ce roman comme une expérience : étudier un crime passion-nel en m'y plongeant et en prenant du recul tour à tour, ce que j'ai indi-qué tout à l'heure à propos du milieu situé au centre. Le récit se déroule en trois mouvements. Le second, le milieu du roman, est consacré aux monologues du meurtrier et de sa victime. Le premier comprend trois narrateurs qui sont de plus en plus impliqués. Le pre-mier intervenant est un petit fonctionnaire dont le seul lien avec l'af-faire tient au fait qu'il est le guichetier. Le suivant est le reporter, impliqué à titre professionnel et qui doit découvrir les faits pour son journal. Le troisième n'est pas impliqué à titre professionnel, mais il s'y

7 G. Garrett, "Talking with Shelby Foote-June 1970." Mississippi Quarterly, 24 (automne 1971) 406.

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intéresse parce que c'est le “benêt sourd-muet”8 et il se trouve mêlé au crime lui-même. Il est présent sur le lieu du crime, c'est donc un témoin oculaire. Ensuite, étant passé d'une personne à peine impliquée sur le plan professionnel à une autre qui l'est beaucoup, puis à un per-sonnage mineur qui a assisté à la scène, nous entrons dans le crime.

Alors, nous traitons du crime, relaté par l'homme qui l'a commis et la jeune femme qui fut assassinée. Après, nous en ressortons, grâce à un personnage mineur, modérément impliqué, un témoin oculaire, l'épou-se du meurtrier. De là, nous passons à l'avocat, qui est profession-nellement très impliqué, un peu comme le reporter, et puis nous voilà à nouveau à l'extérieur avec le guichetier [...] Nous sommes de plus en plus impliqués par des gens qui sont de plus en plus au courant de ce qui s'est passé, qui connaissent le cœur de l'affaire et la jeune femme assassinée. Finalement, au fur et à mesure qu'on en ressort, on est de moins en moins impliqué jusqu'au moment où on se retrouve dans “le monde” (Garrett 407-408).

La répartition et l'orchestration des voix narratives rappellent le roman de W. Faulkner, Tandis que j'agonise, où l'on trouve la même succession de narrateurs-témoins différents. Dans la section XL du roman, Faulkner fait une utilisation très audacieuse du monologue intérieur pour donner voix au chapitre à Addie Bundren, qui est déjà passée de vie à trépas. La cinquième section de Tourbillon s'organise de semblable manière, puisqu'elle consiste en la relation, par Beulah elle-même, du crime dont elle est victime. En fait, le début (« Le passé a fui, temps perdu et mort, et le futur aussi : le futur est mort », p. 149) et la fin (« Mais il n'y a plus de perles ; elles ont disparu », p.

173) du monologue intérieur de Beulah sont transcrits au présent (la narration est contemporaine des événements qu'elle rapporte), mais la partie médiane recourt aux divers temps du passé pour évoquer les événements antérieurs au point du récit où l'on se trouve, donc pour relater les antécédents de l'histoire.

8 Dans l'original, l'auteur parle du "dummy" qui signifie entre autres « l'idiot » et « le muet » (c'est le surnom du personnage qui s'appelle James Elmo Pitts) ; les traducteurs français ont pris le parti – regrettable – d'ignorer ces signi-fications.

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Cet emprunt manifeste pose une fois encore le problème de l'intertextualité, c'est-à-dire tout ce qui met un texte « en relation manifeste ou secrète avec d'autres textes9 ».

2. REDITES

Dans son intéressante tentative de classification des relations transtextuelles, G. Genette distingue cinq grandes catégories :

1. l'intertextualité : relation de co-présence entre deux ou plusieurs textes, qui se manifeste par la citation, le plagiat, l'allusion ; 2. la paratextualité : relation d'un texte avec le titre, le sous-titre, etc. ; 3. la métatextualité : relation de commentaire qui unit un texte à un

autre dont il parle sans nécessairement le nommer ou le citer ; 4. l'architextualité : relation ou non-relation avec un type générique ; 5. l'hypertextualité : relation unissant un texte B (hypertexte) à un

texte antérieur A (hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'est pas celle du commentaire mais par transformation ou imitation.

Les types 1, 2 et 3 sont effectivement présents dans le roman.

Ainsi, par l'intermédiaire de citations ou d'allusions, Tourbillon se place sous l'invocation de W. Shakespeare. D'entrée de jeu, une cita-tion de Macbeth (Acte IV, scène 3) introduit le thème du Mal (Mac-duff : De quelle maladie parle-t-il ? Malcom : De celle qu'on nomme le “Mal du Roi”.) ; elle est ensuite relayée (261) par une référence (à propos d'Eustis) à Falstaff sur son lit de mort : « On dit qu'il a maudit le vin. Ça c'est vrai. Et les femmes. Non point... Il avait dit une fois que le Diable l'aurait par les femmes » ; cette dernière phrase étant, bien évidemment, une sorte de commentaire sur la situation d'Eustis.

Mesure pour mesure y ajoute le thème de la corruption (269), puis Troïlus et Cressida (256) fournit un parallèle pour l'atmosphère dans laquelle se déroule le drame d'Eustis et de Kate, sa femme :

9 G. Genette, Palimpsestes (Paris : Le seuil, 1982) 7.

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Ce qu'elle m'a raconté s'était déroulé dans une atmosphère très Troïlus et Cressida où les fidèles sont trahis et les braves sont tués. Je pensais à la phrase d'Emerson : « Notre foi vient à certains moments mais notre vice est perpétuel ».

Comme le montre la dernière phrase de ce passage, il est éga-lement fait allusion à d'autres auteurs : Emerson, mais aussi Browning et ensuite Keats. L'image de l'amant sur la célèbre urne fournit un contrepoint ironique à l'idylle de Luther Eustis (« et pourtant ne t'af-flige pas. Elle ne peut se faner », p. 225) dont la dulcinée, loin de dis-paraître, va même remonter à la surface ! Enfin, toutes les connota-tions diaboliques du crime de Luther renvoient à la légende de Faust, mentionnée plusieurs fois (« Son histoire était celle de Faust, insistait-il. Il avait vendu son âme au diable à son insu », p. 272). Toutes ces références accroissent la portée de l'œuvre et en multiplient les réso-nances.

La relation paratextuelle se manifeste par la répétition, en plu-sieurs points du récit, d'expressions faisant écho au titre du roman ; elles sont généralement attribuables à Beulah (cf. p. 142 : « Je te sui-vrai, je te suivrai jusque chez toi / "I'll follow...I'll follow you right to your house." »).

Quant à la métatextualité, elle met le texte en prise directe avec un double prototexte : Le Voyage du Pèlerin et surtout la Bible. Le livre de John Bunyan développe le thème universel du pèlerinage comme image de la vie ; il décrit en termes colorés et imagés la route que Chrétien, le personnage central, doit parcourir pour atteindre la Cité Céleste (il traverse « la Vallée de l'Ombre de la Mort », « les Montagnes délectables », « la Terre épouse » / the Country of Beulah, etc.) et les rencontres qu'il fait en chemin (Chrétien lie conversation avec des personnages allégoriques tels que Tout-Espérance, Fidèle, Cœur-Faible, Méfiant etc.). On peut, sans entrer dans le détail, esquis-ser plusieurs parallèles avec Tourbillon : l'itinéraire de Luther Eustis le conduit également vers Beulah, la Terre Épouse, dont le prophète Isaïe chante les louanges, et le fait passer par des étapes similaires (traversée du Fleuve, de la Vallée de l'ombre de la mort : « J'ai traversé la vallée des ombres, mais maintenant, me voici de retour », déclare Eustis, p. 61). Comme Chrétien, Luther Eustis fait diverses rencontres (Parker Nowell, l'avocat, est proche parent de M. Légalité, autre personnage du Voyage), et découvre également que la Porte de

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l'Enfer n'est pas très éloignée de celle du Paradis, mais somme toute, Tourbillon inverse l'original et le transpose sur un mode parodique et tragique. Chrétien abandonne femme et enfants pour, dit-il, chercher

« un héritage incorruptible, inaltéré et éternel », Luther part aussi en quête d'un héritage, mais le sien, nous le verrons, n'est pas de même nature : il est fait de violence, de corruption et de folie. C'est l'héritage du père, c'est-à-dire, selon la définition de S. Kierkegaard, « son péché ».

La Bible joue un si grand rôle qu'on peut la considérer comme un actant à part entière, assumant les fonctions d'adjuvant et d'oppo-sant. Le Livre Saint sert de mobile à Luther Eustis (« le Seigneur m'a appelé », p. 224) ; il y trouve également la justification de ses actes (« Il citait et paraphrasait la Bible à tout bout de champ, pressurant, modelant, déformant chaque histoire jusqu'à ce qu'elle s'accorde avec la sienne propre », p. 268), mais c'est aussi, juste retour des choses, une Bible qui le trahit en permettant à Dummy, le sourd-muet, de découvrir l'adresse et la véritable identité de celui qui se fait appeler

"Luke Gowan" (« C'est une Bible qui l'a trahi », p. 295). Cependant, la relation entre l'œuvre et le prototexte biblique est encore plus étroite que ces premières remarques le laissent supposer. En effet, on devine sous l'action romanesque une sorte de trame biblique ; les actes de Luther Eustis suivent un canevas préétabli. Ainsi, la Genèse et l'his-toire d'Adam et Ève au Paradis terrestre fournissent un contrepoint à la fugue du petit-fermier et de Beulah Ross (« le vieil Adam, et Ève », p. 140) ; le précédent scriptural vient immédiatement à l'esprit de Luther quand il débarque sur l'île, d'abord assimilée au « Paradis avant qu'Ève et le Serpent soient venus le corrompre » (138). Luther Eustis suit en fait un scénario biblique, qu'il interprète librement et souvent de façon perverse, mais le parallèle est toujours sous-jacent.

Quand, tourmenté par le doute, il cherche à savoir si l'injonction à laquelle il a obéi émane de Dieu ou de Satan, c'est à Job qu'il s'identi-fie ; de même, Luther, dont le prénom combine étymologiquement les deux sens de « renommée + armée », se compare à Jacob luttant avec l'ange et le forçant à lui accorder sa bénédiction. Mais ce signe lui est obstinément refusé ; Eustis interroge Dieu, qui reste sourd à ses sup-pliques, et les histoires qu'il lit dans la Bible le confrontent toujours à la même question angoissante : « Est-ce que c'était censé s'appliquer à moi ? » (144).

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Les autres personnages ont aussi leurs homologues dans la Bible ; Miz Pitts est assimilée à la sorcière d'Endor ; quant à Beulah, elle finit par incarner, aux yeux de Luther, Jézabel, la séductrice : elle devient donc symbole d'impureté. Pour Luther, l'herméneute dévoyé, il n'y a ni sens premier (les êtres et les actes sont toujours doublés d'une signification biblique) ni expérience première (tout est répéti-tion). Le tragique de sa destinée tient au fait qu'il est condamné à répéter un acte ayant déjà eu lieu. Comme le Sud avant lui (cf.

L'Enfant de la fièvre), Luther Eustis ne peut que rejouer l'épisode le plus tragique de ce que nous avons appelé le scénario biblique : la chute. Les rôles sont établis de toute éternité ; après le meurtre de Beulah, l'histoire de Luther trouve sa contrepartie dans celle de Caïn et d'Ismaël, les deux proscrits condamnés à l'errance (les références apparaissent p. 179).

La lettre biblique double donc l'expérience et l'itinéraire de Luther Eustis ; comme un palimpseste, le prototexte biblique s'inscrit en filigrane sous le récit du tragique pèlerinage d'un combattant de la foi. Nous n'avons mentionné que quelques points d'interférence entre le texte sacré et le texte profane, mais ces exemples suffisent à impo-ser l'évidence et la nécessité d'une interprétation allégorique, c'est-à-dire qui postule l'existence – comme dans le cas de la Bible – d'un sens spirituel (ou symbolique) plus profond que le sens littéral.

Cependant, à la différence de l'exégèse allégorique, qui fait des évé-nements et des personnages de l'histoire sainte le symbole des réalités spirituelles à venir, le sens second dans Tourbillon renvoie non à l'avenir, mais au passé, au déjà-là et au déjà-écrit qui scellent le destin de Luther Eustis.