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'ŒUVRE de S. Foote repose sur quatre piliers qui peuvent indif-féremment s'appeler : Littérature / Histoire / Mythe / Vérité ou Écriture / Réel / Fiction / Vérité.

La conjonction de ces quatre termes ne va pas sans poser quel-ques problèmes ; le principal tient à la définition de l'objectif que l'au-teur assigne à sa pratique d'écrivain, la Vérité, et à l'affirmation selon laquelle Histoire et Roman sont deux voies différentes, mais complé-mentaires, pour y accéder :

Ils ont tous deux [le romancier et l'historien] pour objectif de nous dire comment c'était : de recréer le passé par leur méthode respec-tive et de le faire revivre dans le monde qui les entoure.

Ce qui les oppose radicalement, c'est, à mon avis, que l'historien tente cette résurrection en communiquant des faits, alors que le romancier cherche à communiquer des sensations. Le premier met l'accent sur les actions, le second sur les réactions. Et pourtant ils ne sont pas totalement coupés l'un de l'autre15.

Cette communauté de but a pour corollaire l'identité des moyens d'expression ; histoire et roman relèvent d'une seule et même pratique, l'Écriture, d'un seul et même art, le Récit ou la Narration.

Pour l'auteur, l'histoire comme la fiction, c'est d'abord « un assem-blage de mots, de virgules et de points virgules » et la technique romanesque est parfaitement transposable au domaine de l'historio-graphie : « Je ne connais rien de ce que j'ai appris sur la composition romanesque au cours de la pratique de mon art qui ne soit applicable à l'historiographie16 ». Les historiens professionnels n'en ont pas moins accueilli les deux premiers volumes de The Civil War avec une cer-taine réserve, sinon une franche hostilité. L'auteur leur est apparu comme un franc-tireur foulant aux pieds une des sacro-saintes con-ventions par lesquelles le discours historique affiche son sérieux et

15 The Novelist's View of History, sans pagination.

16 J. Graham, "Talking with Shelby Foote-June 1970", 418.

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son érudition : l'usage de notes. La reconnaissance du statut d'his-torien de S. Foote dépendait donc de la présence de notes de bas de pages (Foot[e]notes). A View of History, publié en 1981, fut la réponse de l'auteur à ses détracteurs. Que reproche-t-il à son tour aux historiens de métier ? Essentiellement de ne pas se soucier des ques-tions de technique narrative : « D'où cette prose pépère que nous con-naissons trop bien, qui gâche l'histoire en la racontant, une prose tel-lement minable que les notes qui l'encombrent sont un soulagement plutôt qu'une interruption. »

Par technique, S. Foote entend, outre les questions de style, les problèmes posés par l'intrigue (management of plot) et la caractérisa-tion (treatment of character). Sur ce dernier point, il reproche à l'his-torien de fausser la perspective en écartant les données ne cadrant pas avec les sentiments de sympathie ou d'antipathie que dès le départ le personnage lui inspire : « Apparemment, l'historien étudie d'abord les documents pour se faire une opinion sur tel ou tel personnage ; puis, une fois fixé, annexe tous les documents qu'il peut trouver s'ils corro-borent le parti qu'il a déjà pris. Les autres ne sont mentionnés que pour se voir réfutés. »

Le romancier, en revanche, est tenu de suspendre son jugement et d'accorder a priori à tous ses personnages non pas le bénéfice du doute, mais une égale bienveillance : « La bonne façon de démolir un homme, c'est de lui témoigner de la sympathie et, tout en la lui accor-dant, de laisser le personnage lui-même montrer qu'elle n'est pas méritée17 ».

Quant à l'intrigue, qui détermine non seulement « l'insertion des événements dans une séquence dramatique », mais encore « ce qu'on laissera de côté tout comme ce qui sera inclus », les historiens, au dire de l'auteur, la jette par-dessus bord, dès le départ, « afin d'alléger le navire avant une longue croisière ». L'intrigue implique donc à la fois choix et dramatisation et, par ce dernier terme, S. Foote entend une forme de dynamique qui n'a rien à voir avec celle qu'engendre la sim-ple succession chronologique des événements.

17 Cette affirmation s'appuie sur une autre déclaration de l'auteur, rapportée par E. Harrington : « En tant qu'homme, on doit sans cesse porter des jugements, mais en tant qu'artiste, on doit faire preuve de compréhension ».

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Dans cette offensive en règle contre cette forme de récit histo-rique qui a pour objectif d'expliquer « quelque action, ses conséquen-ces, ses débuts, son incidence et ce qui en résulta », S. Foote, qui s'en tient au comment c'était/how it was, retrouve, assez curieusement, la position d'un Augustin Thierry, historien du XIXe siècle, qui décla-rait, dans la préface d'un de ses ouvrages :

On a dit que le but de l'historien était de raconter, non de prouver ; je ne sais, mais je suis certain qu'en histoire le meilleur genre de preuve, le plus capable de frapper et de convaincre tous les esprits, celui qui permet le moins de défiance et laisse le moins de doutes, c'est la narration complète18.

À cette histoire narrative (l'histoire historisante), qui a la faveur de l'auteur, s'oppose aujourd'hui l'histoire-problème. La première relate, exhume le vécu, fait revivre le passé par procuration ; la seconde, « œuvre d'un analyste et non plus d'un narrateur ou d'un pro-phète19 », élabore du pensable. Toute la réflexion théorique contem-poraine sur l'historiographie tourne autour de ces deux modes d'écri-ture de l'histoire. Dans un article de 1967, “Le discours de l'histoire”, R. Barthes se fait l'écho de ce débat et en présente l'objet avec une rare clarté :

La narration des événements passés, soumise communément, dans notre culture, depuis les Grecs, à la sanction de la "science" histo-rique, placée sous la caution impérieuse du "réel", justifiée par des principes d'exposition "rationnelle", cette narration diffère-t-elle vraiment, par quelque trait spécifique, par une pertinence indubita-ble, de la narration imaginaire, telle qu'on peut la trouver dans l'épopée, le roman, le drame ? (Essais IV 82).

L'examen des notions de vérité et de réel fournira en partie la réponse. Les deux termes sont pour l'auteur indissolublement liés, puisqu'il se sert du second pour définir le premier ; la vérité du dis-cours historique, tel qu'il l'entend et le pratique, réside dans l'adéqua-tion au réel. Or, rien n'est précisément moins assuré que le statut de ce

18 Cité par R. Barthes, Essais critiques IV : le Bruissement de la langue (Paris : Le Seuil, 1984) 166.

19 G. Bourdé et H. Martin, Les Écoles historiques (Paris : Le Seuil, 1983) 211.

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référent : « on ne le connaît jamais que sous forme d'effets (monde physique), de fonctions (monde social) ou de fantasmes (monde cultu-rel) ; bref, le réel n'est jamais lui-même qu'une inférence20 ». Le para-doxe de l'historiographie en général et de la pratique historique de S.

Foote en particulier, réside dans cette mise en relation de deux termes antinomiques : le Réel, qui n'est pas représentable, mais seulement démontrable, et l'Écriture, qui ne peut que dire, à défaut d'imiter ou de montrer. Le premier terme relève d'une ontologie et le second, du lan-gage ; ce sont deux ordres difficilement conciliables. L'Écriture n'en est pas pour autant un instrument neutre ou innocent ; en histoire comme en littérature, l'Écriture penche, par une sorte de tropisme inhérent à sa nature, du côté du symbolique et du métaphorique et « le mythique est présent partout où l'on fait des phrases, ou l'on raconte des histoires (dans tous les sens des deux expressions)21 ». Comme le montrera l'exemple cité à propos de Shiloh, toute description d'une charge de cavalerie opère implicitement ou explicitement la fusion de la monture et du cavalier pour déboucher sur le stéréotype mythique de l'homme-cheval, du Centaure. Sur ce point, les conclusions de R.

Barthes recoupent les nôtres :

Lorsque, chez un historien, les unités indicielles prédominent (ren-voyant à chaque instant à un signifié implicite), l'Histoire est entraînée vers une forme métaphorique, et avoisine le lyrique et le symbolique ; c'est le cas, par exemple, de Michelet. Lorsque, au contraire, ce sont les unités fonctionnelles qui l'emportent, l'His-toire prend une forme métonymique, elle s'apparente à l'épopée ; on pourrait donner en exemple pur de cette tendance l'histoire nar-rative d'Augustin Thierry (162).

Ainsi, littérature ou, en d'autres termes, « l'histoire-bataille, l'histoire-biographie22 », est soumise à la double attraction, au double risque, de l'épopée ou du mythe, deux pratiques du langage qui substituent, en tant que fictions, la vraisemblance de leurs énoncés au caractère vérifiable des faits. Nous serons ainsi amené à défendre, lors de l'analyse de Shiloh, la thèse suivante : la vérité visée par

20 R. Barthes, Essais critiques (Paris : Le Seuil, 1964) 163.

21 Ibid., 82.

22 G. Lefebvre, Réflexions sur l'histoire (Paris : F. Maspéro, 1978) 32.

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l'auteur n'a pour critère de vérification que sa conformité aux lois d'un dire, d'un genre littéraire ; elle s'articule sur un mythe personnel et collectif, garant de sa crédibilité. Il ne faut pas en chercher la sanction dans la Réalité, mais bien dans le Désir du Sujet, dans le regret que lui inspire le fait que les choses ne soient pas ce qu'elles auraient pu être.

Force nous est de reconnaître cependant que, dans ce débat, où nous prenons parti contre l'auteur, notre position est, tout autant que la sienne, soumise à des déterminations d'ordre idéologique. Notre conception de l'histoire est marquée par la réflexion contemporaine sur l'historiographie, qui pose le problème de sa finalité ou de sa fonction en termes antagonistes : représentation/mimésis d'une part, intelligibilité d'autre part, et tranche en faveur du second. Ce qui revient à dire que, « loin d'être simple reproduction du passé, la connaissance historique est réélaboration de celui-ci, car elle passe inévitablement par la conceptualisation. Connaître historiquement, c'est en effet substituer à un donné brut un système de concepts élabo-rés par l'esprit » (G. Bourdé 298). Voilà pourquoi l'histoire se détache à l'heure actuelle de la chronique ou de l'annalistique, qui s'épuisent à reconstituer le passé dans tout le désordre de son expérience immé-diate et directe. Il y a véritablement eu dans notre conception de l'histoire une révolution idéologique et épistémologique, qui s'est tra-duite, même s'il revient en force dans l'histoire destinée au grand public (un grand enfant ?), par « l'excommunication du Récit » (Lefebvre 32). Il s'agit moins, en effet, de revivre que de comprendre le passé, et R. Barthes est fondé à dire, au vu de cette évolution, que

« la narration historique meurt parce que le signe de l'Histoire est désormais moins le réel que l'intelligible » (E.C. IV 166).

Peut-être les vérités du moment seront-elles répudiées demain comme autant d'erreurs, mais la réflexion actuelle sur les conditions de production du discours historique a mis en lumière deux consé-quences dont la validité, nous en prenons le pari, sera difficilement remise en question. La première concerne la vérité de l'histoire, qui

« est fonction de la vérité de la philosophie mise en oeuvre par l'histo-rien23 ». Notion capitale que H.-I. Marrou, à qui nous la devons, développe jusque dans ses conséquences les plus extrêmes quand il

23 H.-I. Marrou, De la connaissance historique (Paris : Le Seuil, 1954) 228.

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écrit : « Il n'y a pas d'histoire véritable [...] qui soit indépendante d'une philosophie de l'homme et de la vie, à laquelle elle emprunte ses concepts fondamentaux, ses schémas d'explication et d'abord les ques-tions mêmes qu'au nom de sa conception de l'homme elle posera au passé » (228) et conclut :

La connaissance historique, reposant sur la notion de témoignage, n'est qu'une expérience médiate du réel, par personnage interposé (le document), et n'est donc pas susceptible de démonstration, n'est pas une science à proprement parler, mais seulement une connais-sance de foi (137).

La seconde conséquence met l'accent sur la nécessité d'une réflexion théorique préalable : « Parce que "l'historien est dans l'his-toire", il est bon que toute œuvre d'historien soit dès l'abord placée, par son auteur même, dans l'éclairage exact qu'il attribue personnel-lement soit à sa méthode de réflexion, soit aux circonstances de sa recherche » (294).

C'est précisément sur ces deux points, concernant l'idéologie et la théorie, que la pratique de S. Foote prête, selon nous, le flanc à la critique, et ce, d'autant plus que sa doctrine en la matière peut se résumer en une seule formule ; à bonne rhétorique, point n'est besoin de réflexion théorique. En outre, partant de la constatation que l'histo-ricité comme le romanesque ne peuvent s'appréhender que par la nar-ration, moyen d'exposition commun aux deux genres, S. Foote conclut à la parfaite analogie des deux discours ; l'historique passe ainsi sous la juridiction du littéraire, c'est-à-dire des (Belles) Lettres et donc d'un Art qui repousse sans cesse l'aveu de son artifice.

Quant à l'idéologie, elle entre en jeu dès qu'il y a occultation du processus de production et valorisation du seul produit, doté d'un sta-tut d'entité autonome. L'opération n'est pas sans rapport avec le féti-chisme ; l'œuvre est réifiée sinon déifiée et l'Écriture, loin d'être, selon le vœu de R. Barthes, une façon de penser la littérature, n'a pas d'autre objectif que de l'étendre. En ne mettant jamais en question « le pacte qui lie l'écrivain à la société24 », l'auteur entretient l'illusion qu'il exis-terait une Écriture neutre et innocente parce que débarrassée des marques les plus évidentes de sa fabrication et de sa relation à la

24 R. Barthes, Degré zéro de l'écriture (Paris : Le Seuil, 1953) 22.

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société où a lieu sa mise en œuvre. C'est là un vice rédhibitoire aux conséquences graves ; la pratique historique de l'auteur vise non la déconstruction du mythe, mais sa perpétuation. L'histoire du passé, en tant que seul “dire”, s'affirme donc comme refuge devant les sollicita-tions et les défis de l'histoire contemporaine, celle qui reste à “faire”.

C'est donc avec une certaine réticence que S. Foote reconnaît que son histoire de la guerre civile – innocemment ou habilement sous-titrée Récit/A Narrative – a peut-être un objectif autre que celui de dire « comment c'était » ; par exemple, défendre une thèse ou avancer une interprétation nouvelle. L'œuvre se propose effective-ment, toujours « par la description des choses telles qu'elles ont existé », de montrer que le théâtre d'opérations de l'Ouest a été aussi important, dans le déroulement du conflit, que celui de l'Est, de réha-biliter le personnage très controversé de Jefferson Davis, Président de la Confédération, et d'un autre Sudiste, plus controversé encore, le Général Nathan Bedford Forrest (cf. sur ce dernier point, l'analyse de Shiloh). Il n'est pas non plus indifférent que Shiloh, qui raconte la bataille du même nom en faisant alterner les récits des Yankees et des Confédérés, rompe cet équilibre en faveur du Sud et donne le mot de la fin au lieutenant confédéré, Palmer Metcalfe.

C'est à partir de telles observations et des principes théoriques que nous venons d'exposer que nous formulerons notre position à l'égard de la pratique historique ou plutôt historico-romanesque de l'auteur. Elle pose un problème fondamental, qui peut s'énoncer en ces termes : l'histoire sert-elle d'alibi à la fiction ou est-ce l'inverse qui se produit ?

Reste à présent à définir une notion dont nous avons fait et ferons encore grand usage : le mythe. Il est en fait plus facile de parler de mythes particuliers que du mythe en général, c'est-à-dire d'un modèle générique, qui serait en quelque sorte le paradigme des pre-miers. Plusieurs auteurs (M. Eliade, C. Lévi-Strauss, R. Barthes, A.

Greimas, G. Dumézil, G. Durand...) ont cependant essayé de dégager un invariant et les définitions qu'ils proposent peuvent se ramener à deux types :

– les définitions à dominante qualificative, portant essentielle-ment sur la nature, l'être, les caractères spécifiques du mythe (Qu'est-ce qu'un mythe ?) ;

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– les définitions à dominante fonctionnelle, mettant l'accent sur la finalité, le rôle du mythe (À quoi sert-il ?).

Le dénominateur commun aux premières, c'est la notion de récit. Conformément à l'étymologie (muthos = parole, récit), le mythe est défini comme un récit à valeur symbolique mettant en scène, dans un passé ou un avenir fictifs, des personnages réels ou imaginaires ; une société donnée y révélerait ainsi sa structure, ses archétypes, ses croyances fondamentales, ses tentatives d'explication du monde phy-sique ou sa foi en une quelconque eschatologie. Dans cette perspec-tive, le mythe, comme l'écrit R. Barthes, dans Mythologies, est une parole, un système de communication, qui « ne se définit pas par l'objet de son message, mais par la façon dont il le profère ; il y a des limites formelles au mythe, il n'y en a pas de susbtantielles25 ». Si le mythe est essentiellement récit, la réciproque n'est pas vraie, mais nous pensons cependant que le mythe est l'horizon du récit. Tout récit court le risque de se mythiser, d'être attiré par ce que R. Jakobson appelle « le pôle métaphorique du langage », aussi peut-on légitime-ment se demander avec K. Ruthven si : « La métaphore est un mythe condensé ou si le mythe est une métaphore dilatée ? 26 ».

Dans la seconde perspective, c'est la fonction cognitive du mythe qui a été mise en avant. Le mythe serait un instrument d'appré-hension et de compréd'appré-hension de la réalité. L'anthropologie structurale a rapproché le mythe d'un modèle logique capable de résoudre une contradiction : « La pensée mythique procède de la prise de con-science de certaines oppositions et tend à leur médiation progressi-ve27 ». Ce qui prime alors, dans le mythe, c'est moins sa lettre que son intention, qui est d'opérer une sorte de coincidentia oppositorum :

___A__

= ___B___

Non A Non B

25 R. Barthes, Mythologies (Paris : Le Seuil, 1970) 193-194.

26 K. K. Ruthven, Myth (London : Methuen and Co Ltd, 1976) 56.

27 C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale (Paris : Plon, 1958) 248.

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La spéculation mythique serait ainsi mise en branle par la per-ception d'une opposition de type binaire et chercherait à organiser, ne serait-ce qu'au plan de l'imaginaire, un monde sans contradictions, d'où son caractère “euphorique” et “euphémique”. C'est cet aspect que nous avons retenu, dans notre présentation du mythe sudiste, mais il en est un second, qui revêt, dans le cadre de cette étude, une impor-tance particulière :

Le mythe a pour charge de fonder une intention historique en nature, une contingence en éternité. [...] Ce que le monde fournit au mythe, c'est un réel historique, défini, si loin qu'il faille remon-ter, par la façon dont les hommes l'ont produit ou utilisé ; ce que le mythe restitue, c'est une image naturelle de ce réel. [...] Une pres-tidigitation s'est opérée, qui a retourné le réel, l'a vidé d'histoire et l'a rempli de nature (Mythologies 229-230).

Cette transformation de l'historique et partant, du culturel en naturel, est le propre de la fonction idéologique. Elle a joué à plein dans la société sudiste, qui a lentement doté tout un ensemble d'ima-ges et de stéréotypes, produits à un moment particulier de son histoire, d'une existence autonome et durable au sein du mythe, ainsi devenu, au double sens du terme (un ailleurs et un moyen de défense), un alibi perpétuel.

C'est là une illustration convaincante de la façon dont une

« société produit des stéréotypes, c'est-à-dire des combles d'artifice, qu'elle consomme ensuite comme des sens innés, c'est-à-dire des com-bles de nature28 ». Si l'histoire se définit comme le domaine de l'irré-médiable, de « l'ayant été » (it was), le mythe, domaine de ce qui « au-rait pu être » (might have been), en devient ainsi, pour le Sudiste, non pas le contraire, mais le double nécessaire. Quand W. Faulkner fait dire à un des personnages d'Absalon ! Absalon ! que ce qui aurait pu être est plus vrai que la vérité29, il donne la formule qui explique la

« société produit des stéréotypes, c'est-à-dire des combles d'artifice, qu'elle consomme ensuite comme des sens innés, c'est-à-dire des com-bles de nature28 ». Si l'histoire se définit comme le domaine de l'irré-médiable, de « l'ayant été » (it was), le mythe, domaine de ce qui « au-rait pu être » (might have been), en devient ainsi, pour le Sudiste, non pas le contraire, mais le double nécessaire. Quand W. Faulkner fait dire à un des personnages d'Absalon ! Absalon ! que ce qui aurait pu être est plus vrai que la vérité29, il donne la formule qui explique la