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Facteurs pouvant influencer l’organisation des langues

2. LE BILINGUISME

2.4 Organisation des langues dans le cerveau bilingue

2.4.2 Facteurs pouvant influencer l’organisation des langues

Si les études comparant l’organisation cérébrale des monolingues et des bilingues sont rares, nombreux sont les chercheurs qui se sont penchés sur les différences dans la représentation des langues entre les bilingues précoces et les bilingues tardifs. Les résultats obtenus ne sont pas toujours cohérents, mais ces différences pourraient en partie être expliquées par le fait que les tâches effectuées pendant les expériences varient beaucoup (mots ou phrases, production ou compréhension et ainsi de suite). Toutefois, au premier abord, les études paraissent indiquer que l’âge d’acquisition a bel et bien une influence sur la représentation des L2 dans le cerveau bilingue.

59F. FABBRO, « The Bilingual Brain: Cerebral Representation of Languages », in Brain and Language, 2001, p. 212.

60Ibid.

61M. PARADIS, op. cit., p. 116.

En 1997, une expérience effectuée à l’aide d’un PET-scan et comparant l’activation des aires de Broca et de Wernicke chez des bilingues précoces et tardifs a montré que, pendant des tâches de production en L1 et en L2, les zones activées autour de l’aire de Broca sont pratiquement les mêmes chez les bilingues précoces tandis qu’elles sont séparées de manière distincte chez les bilingues tardifs62. D’autres études ont également permis de constater que les zones associées respectivement à la mémoire déclarative et à la mémoire implicite ne s’activaient pas de la même façon en fonction de l’âge d’acquisition, confirmant l’hypothèse selon laquelle les personnes apprenant une langue à l’âge adulte sollicitent surtout la mémoire explicite alors que les bilingues précoces utilisent davantage leur mémoire implicite63.

Une activité plus importante dans l’hémisphère droit a parfois été remarquée chez les bilingues tardifs64. Néanmoins, Michel Paradis fait remarquer qu’elle est certainement le signe d’un recours plus important à des procédés pragmatiques plutôt que celui d’une différence dans la latéralisation des fonctions liées au langage :

[…] greater right-hemisphere activation in late bilinguals than in unilinguals and early bilinguals can be seen as indicating that they use their pragmatic ability as a compensatory mechanism […] 65.

Certains linguistes se sont demandé si les différences relevées entres les bilingues précoces et les bilingues tardifs étaient réellement liées à l’âge d’acquisition ou si d’autres facteurs entraient en jeu. Daniela Perani a notamment fait remarquer que les chercheurs soutenant que la L2 n’est pas localisée de la même manière chez les bilingues tardifs s’étaient souvent focalisés sur l’âge d’acquisition dans leurs expériences, sans pour autant vérifier

62K. H. S. KIM, et al., « Distinct Cortical Areas Associated with Native and Second Languages », in Nature, 1997.

63C. WEBER-FOX et H. NEVILLE, « Maturational Constraints on Functional Specializations for Language Processing », in Journal of Cognitive Neuroscience, 1996, D. PERANI et al., « Brain Processing of Native and Foreign Languages », in NeuroReport, 1996, et S. DEHAENE et al., « Anatomical Variability in the Cortical Representation of First and Second Language », in NeuroReport, 1997, cités d’après M. PARADIS.

64PERANI, op. cit., et DEHAENE et al., op. cit., cités d’après M. PARADIS.

65M. PARADIS, op. cit., p.182.

que les compétences des deux groupes testés étaient comparables. Aussi a-t-elle mené une étude comparative dont les participants étaient des bilingues précoces ou tardifs ayant une maîtrise de la L2 élevée et comparable66. Elle a alors pu constater que les mêmes zones s’activaient chez les bilingues tardifs et chez les autres bilingues, donnant à penser que ce n’est pas l’âge d’acquisition qui influence la représentation de la L2, mais le degré de maîtrise de la L2. Toutefois, cette conclusion ne peut être généralisée car les tâches effectuées par les sujets de cette étude étaient exclusivement des tâches de compréhension.

D’autres chercheurs, comme Franco Fabbro, ont également émis l’hypothèse que le contexte d’acquisition de la L2 pouvait jouer un rôle:

When a second language is learned formally and mainly used at school, it apparently tends to be more widely represented in the cerebral cortex than the first language, whereas if it is acquired informally, as usually happens with the first language, it is more likely to involve subcortical structures […]67.

En effet, comme nous l’avons vu plus haut, la distinction entre les bilingues précoces et les bilingues tardifs correspond souvent à une différence dans les modalités d’apprentissage de la L2.

Dans une recherche visant à évaluer l’influence de l’âge d’acquisition et de l’exposition à la L268, Daniela Perani est parvenue à des résultats allant à l’encontre de la théorie selon laquelle le niveau de compétence serait à l’origine des différences dans l’organisation cérébrale des bilingues précoces et des bilingues tardifs. Les sujets de cette étude avaient un niveau de compétence élevé et comparable. Pourtant, des différences ont pu être observées. D’une part, des activations plus importantes étaient présentes chez les bilingues n’ayant pas appris la L2 dès la naissance, même si leur âge d’apprentissage se situait

66D. PERANI et al., « The Bilingual Brain : Proficiency and Age of Acquisition of a Second Language », in Human Brain Mapping, 2003.

67F. FABBRO, op. cit., p. 214

68D. PERANI et al., « The Role of Age of Acquisition and Language Usage in Early, High-Proficient Bilinguals : An fMRI Study During Verbal Fluency », in Brain, 1998.

autour de trois ans. Cela laisse à penser que l’âge d’acquisition à son rôle à jouer, même s’il se situe avant le terme supposé de la période critique. D’autre part, certaines zones, notamment le LIFC, présentaient des activations plus intenses lorsque les sujets bilingues utilisaient la langue à laquelle ils étaient le moins exposés. Cette étude laisse donc à penser que l’âge d’acquisition et l’exposition plutôt que le niveau de compétence sont les facteurs qui influencent l’organisation cérébrale des bilingues:

[…] more extensive cerebral activations are associated with the language acquired as second even if mastered with equal level of proficiency. This effect appears to be modulated by exposure, as it is less evident in bilinguals who are more extensively exposed […]69.

En conclusion, les neurolinguistes ont encore beaucoup à faire pour comprendre l’organisation des langues chez les bilingues et pour identifier avec certitude les facteurs qui peuvent l’influencer. Il est très probable que l’âge d’acquisition, le niveau de compétence et les modalités d’acquisition jouent un rôle dans l’organisation de la L2 chez les bilingues, mais nombre d’études restent à faire pour pouvoir l’affirmer avec certitude.

69Ibid., p. 180.