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4 Les facteurs d'entrée : Itinéraires personnels des étudiants

Ce cadre théorique permet de comprendre la manière dont une tâche est abordée et explique en partie l'engagement et la persévérance Le but de maîtrise-approche, parce qu'il établit un lien

I. 4 Les facteurs d'entrée : Itinéraires personnels des étudiants

Nous avons rappelé supra l'aspect incontournable du baccalauréat comme marqueur de l'itinéraire personnel pour qui s'intéresse à la réussite académique. La filière suivie au lycée caractérise le parcours antérieur des étudiants durant deux ans au moins, elle est porteuse d'un certain climat normatif, psychologique et académique. De plus, cette filière est elle-même le résultat d'un processus d'orientation qui n'est pas neutre vis-à-vis de la réussite académique et de l'origine sociale « les enfants d'ouvriers constituent ainsi 14 % des effectifs des filières générales, 26 % de ceux des filières technologiques et 36 % de ceux des filières professionnelles » (Duru-Bellat & Kieffer, 2008, p. 126). L'IUT constitue ainsi le troisième nœud d'un processus d'orientation débuté au collège et poursuivi au lycée, en classe de seconde. Cette dépendance marquée entre le type de baccalauréat la catégorie socio-professionnelle des parents s'explique par l'effet cumulatif de plusieurs mécanismes. Une part tient dans la différence de réussite académique selon le milieu social (inégalité de réussite), le reste des facteurs explicatifs étant plutôt lié à des différences d'orientation (Landrier & Nakhili, 2010).

Dans le tableau qu’il brosse des théories explicatives des inégalités de réussite liées au milieu social, Merle (2009b) montre l'importance de deux cadres explicatifs qui ont émergés au milieu des années 70 et font encore école aujourd’hui. Selon Boudon (1973), ces inégalités sont portées par une interprétation individualiste de la situation. Les inégalités résultent d’une rencontre entre des positions

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sociales et des points de bifurcations. Les classes sociales expliquent des différences de perception des chances de réussite et du rendement scolaire. Les acteurs agissent alors rationnellement vis-à-vis de ces différences de perceptions. Ceci engendre des choix d’orientation différents à compétences scolaires égales, les individus adoptent ainsi des comportements d’auto-sélection. L’institution éducative est vue comme un marché où les élèves seraient des consommateurs éclairées. À charge pour l’organisation de l’institution d’organiser ce marché. De ce point de vue, l’accent mis sur le choix des élèves au détriment des résultats scolaires renforcerait les mécanismes d’inégalité. Bourdieu (1974) oppose à cette vision individualiste un regard global sur la logique immanente aux actions humaines qui ne soit ni mécaniste ni finaliste. Les actions mises en œuvre par un individu répondent à un ensemble de stratégies reposant sur le principe d'habitus. Ce principe générateur éclaire le but des stratégies mises en œuvre sans leur attribuer une intention qui relève du sujet comme conscience individuelle. La genèse de l'habitus est tout aussi collective qu'individuelle. Il est possible de parler de stratégies car il y a ajustement aux conditions objectives mais il n'y a que l'illusion de la finalité puisque le principe générateur de ces stratégies repose sur des conditionnements primaires. Ainsi, l'ensemble de ces stratégies forme un système ordonné et orienté de pratiques que tout groupe doit produire pour se reproduire en tant que groupe. Ce système donne son unité à la science des pratiques. Il est notamment formé des stratégies de fécondité, des stratégies successorales, des stratégies éducatives, des stratégies prophylactiques, économiques, d'investissement social, matrimoniales et idéologiques. Ces stratégies sont « objectivement orchestrées » ce qui tend à favoriser leurs « suppléances fonctionnelles ». Elles demandent donc à être étudiées toutes ensembles pour prendre réellement sens. Par exemple, les stratégies scolaires d'une classe sociale donnée sont en partie le résultat de ses stratégies de fécondité, ces stratégies de fécondité étant elles-mêmes dépendantes des stratégies scolaires de la classe sociale considérée. De ce point de vue, la culture scolaire, par sa proximité avec la culture des classes les plus aisées, constitue un véritable sésame pour les enfants des classes les plus favorisées et « les verdicts scolaires ne peuvent être dissociés de biais, i.e. d’erreurs systématiques notamment en faveur des enfants d’origine sociale favorisée » (Merle, 2009b, p. 99). De la sorte, l’école organise la reproduction des inégalités sociales tout autant qu’elle les légitime. « L’étroitesse du recrutement social des grandes écoles […] est la manifestation emblématique de l’efficacité sociale des mécanismes de la reproduction » (Merle, 2009b, p. 100). Consécutivement, à l'émergence de ces deux visions des causes des inégalités scolaires, la psychologie du développement apporte un autre éclairage sur la formation de ces inégalités : « À l’age de 5 ans, les inégalités entre les enfants de cadres et les enfants d’ouvriers sont sensibles dans plusieurs domaines cognitifs [...] » (Merle, 2009b, p. 103). L'école ne ferait alors qu’accroître les inégalités entre les plus forts et les plus faibles, le cercle vertueux de la réussite s'opposant à la spirale de l'échec.

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comme la résultante d'une moindre performance académique des enfants des classes sociales les moins favorisées et d'un mécanisme d'auto-sélection des individus marquée par leur origine sociale : « Un bachelier scientifique à l’heure, [...] a plus de deux fois plus de chances de vouloir s’orienter en classe préparatoire quand il est de milieu favorisé que quand il est issu d’un milieu populaire » (Landrier & Nakhili, 2010, p. 28). Toutefois, les trois théories explicatives des inégalités de réussite et de différentiation sociale de l'orientation présentées supra n'épuisent pas les causes de ce phénomène. Le contexte académique proximal, l'établissement fréquenté et son offre de formation constituent une troisième famille de facteurs explicatifs de la différentiation sociale des filières du baccalauréat (Duru- Bellat, Le Bastard-Landrier, Piquée, & Suchaut, 2004; Landrier & Nakhili, 2010; Merle, 2009b). La tonalité sociale des établissements, le traitement par les acteurs de l'orientation pas toujours méritocratique et l'offre faite aux individus marquée par la culture de l'établissement, sont autant de causes de différentiation : « les élèves formulent des choix d’études différenciés car situés dans des contextes où les pairs, les enseignants et les palettes d’offre de formation varient » (Landrier & Nakhili, 2010, p. 25). L'effet de l'établissement peut même apparaître massif lorsque l'on constate « [qu']un élève, à résultats scolaires et origine sociale donnés, a près de deux fois plus de chances de s’orienter en classe préparatoire si son établissement en comporte une » (Ibid., p. 29). L'effet cumulatif de ces différents facteurs sera de concentrer dans les mêmes filières les élèves en difficulté académique et ceux d'origine sociale modeste.

De surcroît, les inégalités de réussite liées à la catégorie sociale ne s'arrêtent pas aux portes de l'enseignement supérieur. Dans une étude sur la probabilité de réussir sa première année en un ou deux ans, auprès de presque 3 000 étudiants d'universités Belges, (Vermandele, Dupriez, Maroy, & Van Campenhoudt, 2012) démontrent que la chance de réussir à la fin de sa première année est 1.5 fois plus élevée pour les étudiants ayant au moins un parent diplômé de l'université, même si l'on contrôle le sexe, le redoublement, la pratique d'une langue ancienne et le fait d'avoir suivi un cursus avec un nombre d'heures de mathématiques conséquent (+ de 6h). En outre, cet effet positif demeure pour l'année redoublée : « Le fait d’avoir au moins un parent diplômé de l’enseignement supérieur (universitaire ou non) a un effet positif marqué sur la probabilité de réussite de l’année redoublée » (p.19, Ibid). Ces auteurs montrent également que le sexe, la pratique de langues anciennes et le nombre conséquent d'heures de mathématiques suivies influencent positivement la probabilité de réussir en un ou deux ans alors qu'avoir redoublé l'influence négativement. Plus globalement, dans leur revue de la littérature, Dupont et al. (2015) notent à propos des facteurs d'entrée que « ce sont essentiellement, et par ordre d'importance, les performances passées […] ainsi que l’origine socio- économique de l’étudiant qui sont des prédicteurs de la réussite » (p.111, Ibid). Ces auteurs relèvent que l'influence du sexe sur la réussite s'expliquerait surtout par une meilleure stratégie d'étude et plus d'engagement de la part des filles.

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En outre, la composition des établissements, expliquant une part des différences de parcours et de réussite des élèves avant le baccalauréat, demeure un facteur potentiellement explicatif des inégalités de réussite après le baccalauréat. Les caractéristiques individuelles, agrégées au niveau du groupe- classe ou au niveau de l'établissement, vont donner à ce groupe ou à cet établissement une certaine « tonalité » socio-académique : les caractéristiques contextuelles issues de la composition académique et sociale du groupe classe peuvent apporter une part d'explication de la réussite individuelle (Duru- Bellat et al., 2004). Les auteurs soulignent l'effet modeste de ces caractéristiques sur la réussite lorsqu'elles sont mesurées au niveau d'un établissement, mais ils montrent également que la tonalité académique et sociale de l'environnement scolaire peut avoir un impact sur un ensemble de représentations personnelles, notamment sur le nombre moyen d'années d'études supérieures envisagées. Ce projet de poursuite d'étude est « un « produit » de la socialisation scolaire et un « ingrédient » de l’investissement dans les études » (Duru-Bellat et al., 2004, p. 462). En tant que tel, il constitue une projection initiale concernant sa propre réussite universitaire et est positivement corrélé avec l'intention de persévérer (Boudrenghien et al., 2013). Il paraît donc important d'adjoindre aux trajectoires académiques et aux catégories socio-professionnelles de l'entourage, les tonalités contextuelles qu'elles font naître et une dimension liée au projet initial des étudiants en termes de poursuites d'étude, de projet professionnel et de choix de la section en cours.

Ces données d'entrée serviront de toile de fond aux étudiants pour l'interprétation et la représentation de leur propre expérience universitaire. Ces interprétations et ces représentations orienteront alors la lecture qu'ils auront du contexte académique, leur motivation et leur engagement lors des phases d'apprentissage.