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CHAPITRE 4 LA PARTICIPATION AU SEIN DU MINISTÈRE

4.8 Expressions de silence

Le silence c’est retenir sa voix ou celle des autres – se taire et taire - donc limiter la participation. Tel que mentionné à la section 1.4, il y a trois sortes de silences selon Thiesmeyer (2003). Dans le cas du Ministère, le premier type, le silence imposé, est une suppression de la voix centrale et de la voix régionale liée à un manque de temps. Le second type, le silence de conformité au silence imposé, est un silence collectif et le troisième type, le silence auto-imposé, est une forme de non-participation volontaire.

Le silence imposé revient à deux occasions dans le discours des membres de l’équipe du Ministère. La première, qui a lieu au moment de la réunion, est causée par le manque de temps et la seconde, qui nous est révélée pendant les entrevues, c’est la période qui a lieu quelques années avant la réunion, c’est-à-dire la période de changement rapide qui limite la communication entre le centre et les régions.

En entrevue, quand nous avons demandé aux participants leur évaluation de la réunion, ils nous répondent que la rencontre que nous avons observée est essentiellement une transmission rapide d’information à sens unique. Par exemple, pour un directeur régional : « Yesterday’s meeting was an information download. I don't think it's supposed to be that. … It was an information download with not much discussion. […] Fairly typical. We don't get around to policy decisions. » (David, directeur régional, extrait des notes d’entrevue). Un de ses collègues à l’administration centrale corrobore la perception de ce directeur régional : « On ne fait que passer à travers la liste des items. OK, on this item, where are we? [...] It's always a big horse-race to force the agenda through » (Claude, directeur central, extrait des notes d’entrevue). Si la réunion est une course pour passer à travers des sujets à l’ordre du jour, n’est-elle pas aussi un silence? Cette rencontre, aux yeux de

167 David et Claude, ne représente pas un partage d’opinions dans une discussion pour arriver à prendre une décision collective, mais est une vitrine de communication rapide à sens unique. Par conséquent, la voix centrale et la voix régionale sont supprimées quand le temps manque.

La réunion s’est déroulée rapidement et les participants se sont sentis bousculés par le temps en passant rapidement à travers l’ordre du jour. La raison évoquée par Alice pour cette bousculade était le besoin de rencontrer les directeurs régionaux pour discuter d’un autre programme. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Catherine qui préside la réunion dans ses commentaires d’ouverture de la rencontre. « It was a compressed meeting. Usually we have a full day. We added a full day on program Y. Usually we have one full day for program W. […] Normally, we are not as rushed » (Alice, directrice centrale, extrait des notes d’entrevue). L’ajout d’une journée sur le programme Y est le résultat d’un changement de politique nécessité par un événement externe qui exerce une pression sur ce programme. La directrice générale reconnaît, dans ses propos d’introduction, l’importance de la discussion avec les directeurs sur ce programme. « Need time with RDs36 on programme Y. There are

regulatory implications, we need to engage regions and get their commitment. This is it: 'get one chance to give input then the train has left the station' » (Catherine, directrice générale du programme W, extrait des notes d’observation). Dans cette citation la directrice générale explique qu’il est important de donner du temps au programme Y (et réduire le temps de rencontre pour le programme W) parce que des enjeux importants doivent être discutés ensemble.

168 Le silence imposé lors de la réunion du programme W était causé par le besoin d’accorder du temps à un autre programme. Ainsi, la suppression de voix est circonstancielle. Et cela est corroboré par un autre exemple de silence imposé qui est rapporté par des participants lors des entrevues. En effet, quand le programme W a connu un accroissement exponentiel en 2002 avec d’autres révisions structurelles en 2004, le centre et les régions ne trouvent pas le temps de communiquer régulièrement. Durant la période de changement, chaque groupe, le centre et les régions, travaille de part et d’autre à livrer le programme tout en s’occupant d’embaucher et de former de nouveaux employés. On peut comprendre que les deux groupes ne peuvent pas se parler durant un changement majeur. En aucun temps n’avons-nous entendu une mention de frustration de la part des quatre directeurs régionaux du Ministère que nous avons interviewé sur le manque de voix dans le passé. Ces deux exemples de suppression de voix sont circonstanciels et temporaires. De plus, ils illustrent non seulement la suppression de la voix régionale, mais aussi la suppression de la voix centrale.

Le silence de conformité au silence imposé fut noté lorsque la présidente de la réunion demande aux participants s’ils sont d’accord pour reporter le tour de table à la période du dîner.37

We have one hour to go and we are one hour behind. We have … items on the work plan that need decisions on how to deal with them and try to get them done. We will use lunch for the round table. Is that OK with everyone?

Silence. (Extrait des notes d’observation)

37 Des plateaux de sandwiches et du café furent apportés par un traiteur pour cette période de ce qui

169 Un silence poli collectif suit la question de la présidente de la réunion. Il n’y a pas vraiment lieu de commenter le déplacement du tour de table à la période du lunch où tous mangeront leur sandwich assis à la même table dans la salle de réunion. Cela ne changera rien à la situation et ne fera que donner une perception négative de la personne qui ose commenter. Encore une fois, ce silence est une expression centrale et régionale.

Le silence auto-imposé est un silence intentionnel de non-participation et il prend plusieurs formes dans le cas du Ministère. Par exemple, certains participants sont plus réservés et ne s’expriment pas lorsque leur idée a déjà été défendue. Selon un des directeurs régionaux, son collègue Chad s’exprime plus que les autres : « You might have noticed that Chad talks a lot for us38. He expresses our views » (David, directeur

régional, extrait des notes d’entrevue). Une autre directrice régionale confirme que les commentaires de Chad sont représentatifs des siens : « Je ne me suis pas exprimée parce que souvent j’ai les mêmes idées que Chad. J’ai un style réservé de nature » (Christiane, directrice régionale, extrait des notes d’entrevue). L’hypothèse sous- jacente, c’est que l’on ne s’exprime que lorsque l’on a quelque chose de nouveau à ajouter à la discussion.

D’autres peuvent s’abstenir de s’exprimer parce qu’ils sont nouveaux dans le groupe et ne possèdent pas suffisamment d’expertise pour contribuer. Chad confirme que l’interaction des directeurs régionaux à cette rencontre est assez typique. « It was pretty much standard. Scott is the most senior, he was very quiet. He doesn't speak very much. David and François are newer in the group and are in a learning mode.

170 But they will speak up more in due course » (Chad, directeur régional, extrait des notes d’entrevue). Il fait allusion au fait qu’un nouveau directeur régional contribue moins parce qu’il est moins familier avec les enjeux. Chad interprète le silence de ses collègues comme un silence d’écoute et d’apprentissage. Le directeur régional qui s’est le moins exprimé est généralement plus réservé comme le souligne un directeur central: « Il y a certaines personnalités, comme Scott, qui s’expriment peu, mais ça sort quand c’est important » (Mario, directeur central, extrait des notes d’entrevue). Un autre exemple de silence auto-imposé est l’absence à la réunion. Un des directeurs centraux, celui qui est responsable des opérations, n’était pas présent à la rencontre et fut remplacé par un de ses gestionnaires. Sa présence se fait sentir d’une certaine façon, malgré son absence, car plusieurs font référence à son rôle sur certains enjeux ou à des actions prises sur des dossiers qu’il coordonne. En somme, le silence de non- participation était peu présent dans la rencontre du Ministère.