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Comparaison de la gestion des tensions avec les modèles EVL et EVLN

CHAPITRE 2 Cadre théorique

2.3 Comparaison de la gestion des tensions avec les modèles EVL et EVLN

Dans cette section, nous discutons des stratégies de gestion des tensions paradoxales en les distinguant des stratégies de défection, de prise de parole et de loyauté proposées par Hirschman (1970) comme pistes d’action face à l’insatisfaction d’un consommateur envers un produit ou à l’insatisfaction d’un employé face à son organisation. Ces trois pistes d’action forment le cadre EVL (Exit, Voice and Loyalty) pour décrire la réaction individuelle ou collective à l’insatisfaction. Pour Hirschman (199518), la défection implique la cessation de l’achat d’un produit fabriqué par une

firme ou le départ de l’individu de son organisation. Selon lui, la prise de parole est

98 « toute tentative visant à modifier un état de fait jugé insatisfaisant, que ce soit en adressant des pétitions individuelles ou collectives à la direction en place, en faisant appel à une instance supérieure ayant barre sur la direction ou en ayant recours à divers types d’action, notamment ceux qui ont pour but de mobiliser l’opinion publique. » (Hirschman, 1995, p. 41). Cette définition, assez compliquée, est axée sur la résolution constructive d’un problème (Bashshur et Burak, 2015). Enfin, lorsqu’insatisfait, le membre de l’organisation ou le consommateur peut se résigner par inertie ou par manque de véritable alternative, c’est-à-dire faire preuve de loyauté (Hirschman, 1970; Delwit, 1995). La loyauté est l’élément le plus critiqué dans le cadre EVL de Hirschman et n’est pas considérée comme une piste d’action séparée, mais plutôt un qualificatif de la prise de parole (Dowding et autres, 2000).

La thèse de Hirschman a inspiré plusieurs scientifiques, dans des domaines variés allant des sciences politiques à la gestion, mais peu de recherches empiriques ont mis à l’épreuve les hypothèses sur les relations entre la défection, la prise de parole et la loyauté (Dowding et autres, 2000). Un modèle inspiré de la thèse d’Hirschman et qui a été utilisé dans des études d’insatisfaction dans le milieu de travail bureaucratique est celui de Rusbult et Lowery (1985) où la défection (« exit ») signifie quitter l’organisation, où la prise de parole (« voice ») consiste à activement essayer d’améliorer les conditions de façon constructive, où la loyauté signifie attendre de façon passive et dans un esprit optimiste que les conditions s’améliorent et où la négligence (neglect) représente la passivité entraînant une détérioration des conditions (Lowery et Rusbult, 1986). Ces quatre pistes d’action sont dispersées sur deux axes, selon que l’action soit constructive/destructive ou que l’action soit active/passive; la prise de parole et la loyauté sont constructives alors que la défection et la négligence sont plus destructives à la relation de travail (Lowery et Rusbult, 1986). La défection et la prise de parole sont des réponses actives à la situation

99 insatisfaisante, alors que la loyauté et la négligence sont des réponses passives (Lowery et Rusbult, 1986).

Plusieurs problèmes sont associés au modèle EVLN (Dowding et autres, 2000). D’abord au niveau méthodologique, les données ne sont pas issues de situations actuelles, mais plutôt issues de questionnaires demandant aux répondants d’auto- identifier leur piste d’action ou encore leur intention d’action dans une situation donnée. De plus, la défection et la prise de parole ne sont pas des pistes mutuellement exclusives, mais deux pistes qui se complètent. Par exemple, on peut opter pour la prise de parole avant d’opter pour la défection. Ainsi, il y a une dimension temporelle à considérer, puisque les deux pistes peuvent être diachroniques (Dowding et autres, 2000). La voix est une piste d’action qui est particulièrement problématique parce qu’elle peut désigner plusieurs actions différentes, individuelles et collectives (Dowding et autres, 2000).

Aux fins de la présente discussion, nous choisissons de comparer les caractéristiques du modèle EVLN avec les différentes stratégies de gestion des tensions paradoxales. Le premier rapprochement est celui de l’axe constructif/négatif. En effet, nous pouvons relier les stratégies selon la logique « et/et » à des actions constructives puisqu’elles tiennent compte des deux pôles du paradoxe. À l’opposé, les stratégies utilisant la logique « soit/soit » sont plutôt destructives parce qu’elles ne font que perpétuer un cercle vicieux. L’axe actif/passif est moins pertinent à notre avis, puisque la stratégie d’évitement peut être active. Même si certaines pratiques comme le déni (une réaction de défense) peuvent sembler passives, on ne peut dire la même chose du compromis. Les stratégies de juxtaposition et de résolution du paradoxe sont plurivocales, alors que la stratégie d’évitement ne l’est pas. La notion de voix dans ce contexte est très différente de celle utilisée par Hirschman.

100 Contrairement au modèle EVLN, la logique du « et/et » peut se distinguer au niveau spatio-temporel, avec des pratiques qui permettent d’intégrer les deux pôles opposés par une séparation temporelle ou spatiale, ou par du compartimentage – à différents niveaux organisationnels. Nous concluons que la perspective paradoxale couvre des dimensions qui ne sont pas incluses dans le modèle EVLN.

2.4 Conclusion

Le paradoxe est formé d’éléments contradictoires interdépendants qui persistent dans le temps (Schad et autres, 2016). Une approche paradoxale permet d’analyser les tensions qui découlent du paradoxe de participation régionale. L’exploration de la construction discursive des tensions permettra de comprendre comment elles se présentent simultanément et comment elles sont gérées par les directeurs centraux et régionaux à l’interface politiques-opérations. La question de recherche suivante est dégagée de ce cadre théorique et a servi à l’analyse des données faite dans cette thèse : s’il y a des tensions paradoxales dans le discours entre cadres de direction centraux et régionaux, comment les acteurs les gèrent-ils? La stratégie de recherche qualitative employée est décrite dans le prochain chapitre.

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