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CHAPITRE 3 CADRE MÉTHODOLOGIQUE

3.4 Analyse des données

Notre intérêt porte sur le sens donné à la participation dans l’interaction entre pairs au niveau de cadre de direction afin de répondre à la question principale : comment se construit la participation régionale dans le discours des réunions à l’interface politiques-opérations? Le cadre analytique s’appuie sur les six questions spécifiques découlant de la question principale de recherche :

Comment l’identité régionale/centrale est-elle construite discursivement? Comment les cadres régionaux/centraux construisent-ils la participation en réunion?

L’interprétation du centre diffère-t-elle de celle des régions ou est-elle similaire?

Comment le contexte pour la participation régionale à la prise de décision est-il construit dans le discours des cadres centraux/régionaux?

Où se situe l’interprétation de la participation sur un continuum voix/silence?

S’il y a expression de silence, est-il intentionnel ou imposé? À ces questions, nous ajoutons une autre qui se dégage du cadre théorique :

S’il y a des tensions paradoxales dans le discours entre cadres de direction centraux et régionaux, comment les acteurs les gèrent-ils?

129 La présente thèse adopte une position où le langage n’est pas limité à servir de conduit pour transmettre l’information, mais a un rôle dans la construction de la réalité organisationnelle (Phillips et Oswick, 2012) dans un contexte organisationnel et temporel défini. Dans son sens général, le discours est synonyme de langage et de façon plus spécifique et critique, le discours est une façon de représenter le monde (Grant et al, 1998). Pour notre part, nous considérons le discours comme un construit regroupant les textes écrits et parlés qui forment une pratique sociale de parler et d’écrire dans un contexte donné. Tous ces éléments sont le fruit d’une relation sociale et constituent des éléments significatifs pour les membres de l’organisation. Cependant, pour les fins d’analyse nous adoptons la notion de discours comme étant le discours oral et nous associons le mot texte au discours textuel. Le discours dans cette thèse est l’interaction orale dans la réunion et les réponses aux questions d’entrevue.

Le discours est non seulement le produit d’une activité de communication qui fait partie de l’ensemble des activités de gestion telles que la prise de décision, la planification stratégique et la gestion des ressources humaines, mais est également un processus de construction de l’organisation (Mumby et Clair, 1997). Le discours est le fruit d’une relation sociale; il est relationnel et tous les acteurs dans un contexte donné participent à cette création de la réalité : « management realities and identities are not created internally in the manager’s mind, nor externally by the organization and its structure, but constructed dialogically between managers and others in everyday conversations » (Cunliffe, 2001, p. 354). Le discours figure de trois façons dans la pratique sociale, comme activité sociale, comme représentation et comme façon d’être (Fairclough, 2003). Pour un gestionnaire, le discours est une activité qui fait partie de la fonction de gestion. C’est une représentation des réunions puisque le discours y est incorporé et représenté différemment selon la position de l’acteur. Finalement, le discours est une partie constitutive de l’identité de gestionnaire. Cette

130 thèse s’intéresse au microcontexte organisationnel dans un événement particulier, une réunion regroupant les directeurs centraux et régionaux autour d’une table.

L’analyse discursive examine comment le langage construit un phénomène plutôt que de le révéler (Phillips & Hardy, 2002, p. 6) et permet de se concentrer sur la représentation des acteurs dans le discours (« nous », « eux », « les régions », « l’organisation », etc.), de leur choix de sujets d’intervention, de leur argumentation et de la dynamique d’interaction tout en analysant le contexte de l’événement et des acteurs. Dans l’analyse discursive, il est primordial de tenir compte du contexte du discours et de la spécificité du langage utilisé (Jarzabkowski et Sillince, 2007; Alvesson et Karreman, 2000). « Discourse analysis provides […] a practical methodological approach, for organizational researchers interested in understanding the constructive role of language in organizational and inter-organizational phenomena » (Phillips et Oswick, 2012, p. 445). Il y a plusieurs types d’analyse de discours qui se regroupent en deux approches, certaines utilisant une analyse linguistique et détaillée des textes (oraux et écrits) et d’autres qui ne sont pas axés sur l’analyse détaillée des textes. (Fairclough, 2003). Notre analyse s’appuie davantage sur cette deuxième approche et c’est pourquoi l’utilisation de rapports plutôt que des enregistrements d’entrevues est acceptable.

L’analyse des données commence dès que le terrain est amorcé afin d’obtenir le maximum de données. Après avoir transcrit les notes d’observation, l’analyse a permis de dégager des thèmes qui sont abordés dans l’entrevue subséquente. Les réponses obtenues à l’entrevue sont rapidement analysées et comparées avec les données précédentes. La saturation est décelée lorsqu’aucune nouvelle information n’est dégagée par le questionnement sur le même thème.

131 Pour mieux comprendre la dynamique de groupe et le milieu des acteurs, nous avons fait une analyse sommaire des interactions durant la réunion, en utilisant une partie de l’approche d’analyse du processus d’interaction de Bales (1976). Selon la méthode de Bales, un relevé systématique de toutes les interventions des acteurs est produit pendant l’observation faite par une équipe de recherche qui code les interactions dans une douzaine de catégories spécifiques selon que la réaction est associée à la tâche ou est plutôt une expression émotionnelle. Dans sa méthode, Bales utilise un tableau des interactions observées sur place. Travaillant seule, et étant prise par la prise de notes d’observation, nous avons reconstitué le tableau des interactions après avoir complété les notes définitives.

Cela nous a servi à identifier qui a parlé le plus et le moins souvent, et de reconnaître les points de tension dans la discussion. D’abord, nous avons identifié la fréquence à laquelle les acteurs ont parlé, en notant ceux qui avaient le plus parlé et ceux qui avaient le moins parlé. Nous avons cadré ces prises de parole avec le sujet de discussion. Par après, en utilisant la classification de Bales, nous avons noté si le propos de chaque acteur était soit 1) orienté vers la tâche (socio-émotionnel neutre) en posant (demande orientation, une opinion ou une suggestion) ou répondant à des questions (donne suggestion, opinion ou orientation), ou 2) projetait un socio- émotionnel positif (par ex. démonstration de solidarité, d’accord ou d’humour pour sortir la pression) ou 3) projetait un socio-émotionnel négatif (démonstration de désaccord ou antagonisme, expression de tension). Cela nous permet d’identifier des tensions qui ont été discutées lors des entrevues. Cette interprétation est complémentaire à l’analyse du contenu des propos des acteurs. Les tableaux des interactions sont présentés aux annexes J et K et sont discutés aux sections 4.4 et 5.4. Après avoir complété les notes définitives de l’observation de la réunion du Ministère et le verbatim de la transcription de la réunion de l’Agence, comme décrit à la section

132 3.3.1, nous avons procédé à l’analyse discursive qui repose non seulement sur le discours (« language-in-use »), mais aussi sur le processus d’interaction et une compréhension du contexte qui provient de l’analyse des textes institutionnels et des notes d’entrevues.

L’ensemble des textes d’observation et des entrevues fut lu plusieurs fois, puis les éléments pertinents aux questions furent codés, c’est-à-dire que le texte a été découpé en unités d’analyse, soit des phrases ou des paragraphes. À l’aide du logiciel MaxQDA (Kuckartz, 2004), ces codes ont été classés en catégories structurées autour des questions spécifiques mentionnées au début de la section 3.4. Une catégorie est un regroupement d’unités d’analyse dont les significations se rapprochent ou qui ont des caractéristiques de forme commune (Allard-Poesi, 1999). Ainsi les codes furent regroupés en catégories émergentes correspondant à notre objet de recherche (Allard- Poesi, 1999), la participation régionale. Les catégories associées aux questions d’analyse sont reliées aux multiples sens donnés à l’identité, à la participation et au contexte, ainsi qu’à la gestion des tensions. Ces catégories sont présentées dans les tableaux aux annexes L et M. Une fois que les catégories furent précisées pour chaque cas, nous avons fait des analyses comparées des divers codes sous chaque catégorie, faisant ressortir des liens et des distinctions, nous permettant de rédiger des notes analytiques, avec l’intégration d’extraits des notes d’entrevues et des notes d’observation, qui ont servi de base pour écrire les deux cas. Toute recherche qualitative comporte la description, l’analyse et l’interprétation des données (Wolcott, 1994). Nous présentons aux chapitres 4 et 5 une description et l’analyse des données pour chacun des cas et au chapitre 6, leur interprétation comparée.

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