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Expérimenter une pratique infirmière différente

Maintenant que les différentes transitions personnelles vécues par les participantes ont été abordées, une attention particulière doit être portée à la transition professionnelle. « Ce n’est pas vraiment le même métier qu’en France. C’est être infirmière, mais il y a vraiment plein de variantes » (E3). Les propos de cette participante introduisent bien le deuxième thème abordé dans cette analyse puisqu’il portera sur l’expérience d’une pratique infirmière différente. Trois sous-thèmes seront présentés : 2.1 Les différences soulevées, 2.2 Le paradoxe entre le plaisir de découvrir des pratiques différentes et les malaises ressentis face à ces pratiques et 2.3 L’adaptation graduelle à la différence (de l’inconfort à la routine, au confort).

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Tableau 5. Thème 2 et sous-thèmes

Sous-thème 2.1 : Différences soulevées

Dans cette section, les différences soulevées par les participantes au niveau de la pratique infirmière seront abordées. En effet, les éléments suivants ont été remarqués par les participantes comme étant contrastants avec leur pratique dans leur pays d’origine : la communication, le nom des médicaments, la multidisciplinarité, le niveau d’autonomie, certains soins techniques de même que les normes de pratique.

Tout d’abord, des différences quant à la communication dans un contexte de soins ont été soulevées par toutes les participantes, plus particulièrement au niveau des expressions québécoises et des abréviations utilisées par les professionnels de la santé. Une participante mentionnait que le nom des examens est parfois différent, par exemple, pour elle, un « taco c’est une vieille voiture » et non un examen radiologique (E4). Cela rendait aussi la communication avec les patients plus « difficile parce que ce n’est pas les mêmes termes. Il y a des expressions ici et que je ne connaissais pas et inversement » (E3). Cela peut laisser place à des situations plutôt comiques avec les patients. « J’ai eu une patiente qui m’a demandé de lui donner ses bobettes » (E 3). C’est quoi une bobette se rappelle s’être demandée cette participante. Fait un peu cocasse, une autre infirmière a raconté avoir vécu exactement la même histoire avec le même mot problématique. Dans cet exemple, les différences au niveau des expressions n’ont pas des répercussions très importantes pour l’infirmière immigrante et ses patients. Il en va tout autrement lorsque l’on s’attarde à la communication entre les professionnels de la santé.

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L’utilisation d’abréviations, tant dans les dossiers que de façon orale, entraîne de la confusion chez les infirmières immigrantes qui n’y sont pas habituées. Une infirmière raconte son expérience en ces mots :

« Ah, les abréviations ! Par exemple, hs. Ça paraît idiot, mais pour moi hs ça veut dire hors service (au lieu de "à l’heure du coucher"). Et prn, die, id, au début c'était une catastrophe […] c'était très déroutant. Et je pense que les autres infirmières n’arrivent pas […] à comprendre qu’il n’y a rien qui est pareil » (E5).

Même chose pour le nom de médicaments qui est différent d’un pays à l’autre : « C’est super compliqué les médicaments, ce n’est pas les mêmes noms » (E5). Dans un autre ordre d’idées, une autre participante mentionne qu’au début, elle trouvait difficile de savoir comment codifier un médecin et de savoir comment lui parler. Il ne va pas s’en dire que de telles différences nécessitent une adaptation importante de la part des infirmières immigrantes.

Un autre élément, ayant attrait à la communication, perçu comme différent par les infirmières immigrantes rencontrées est tout ce qui est en lien avec les notes infirmières et la communication interservices. En ce qui concerne les notes infirmières, les participantes ont été surprises de la quantité de formulaires différents à remplir, dont plusieurs n’ont pas les équivalences dans leurs pays d’origine. À titre d’exemple, une participante mentionne qu’elle était très « étonnée par toute la paperasse. [Qu’elle] doit passer un temps fou à remplir des papiers » alors que dans son pays, elle avait plus de patients à charge, mais puisque les dossiers étaient informatisés et qu’il y avait moins de formulaires à remplir, elle avait plus de temps (E4). Une autre mentionne que les différents formulaires à compléter ont rendu son premier mois en emploi difficile : « C’était difficile, parce que la paperasse c’est trop. Mais, je m’habitue. Là, ça ne me stresse plus » (E2). En ce qui a trait à la communication interservices, une autre participante soulignait que dans son pays, les infirmières utilisaient beaucoup plus la « transmission orale » (E3) alors qu’ici, elle doit lire un rapport et regarder le dossier. Finalement, les outils de planification des soins peuvent différer d’un pays à l’autre comme le mentionnait cette même participante :

« Chez moi, on travaillait avec le tableau mural. On planifiait tous les soins là-dedans et c’est ce qui servait de kardex. Sauf qu’il y a tous les patients, et toutes les infirmières savaient à quelle heure il faut faire les soins » (E3).

Dans un tout autre ordre d’idées, un autre élément auquel elles doivent s’adapter est le rôle des différents professionnels de la santé. À cet effet, une des participantes a exprimé sa surprise de voir autant de personnes dans son département alors qu’elle s’attendait à une pénurie d’infirmières :

« Il y avait au moins 30 personnes au mètre carré. C’était l’enfer ! Ce que je n’avais pas compris, c’est qu’en plus de l’équipe, il y avait tous les étudiants, les résidents, les chirurgiens, les physiothérapeutes, et tous les autres qui interviennent de manière ponctuelle » (E6).

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D’ailleurs, une autre infirmière rencontrée affirme que la façon de travailler et l’approche utilisée au Québec est très différente de ce qu’elle connaissait. Qu’ici, « il y a beaucoup d’intervenants qui sont mis au dossier du patient et très rapidement » (E3). Même si pour cette infirmière, cette façon de faire lui donnait « l’impression que le patient est mieux pris en charge dans sa globalité », cela engendrait aussi des difficultés supplémentaires en ce sens qu’il faut savoir « qui est qui, qui fait quoi et solliciter la bonne personne » (E3). D’ailleurs, d’autres infirmières immigrantes ont soulevé sensiblement le même défi. En voici un autre exemple :

« Il faut savoir ce que l’on peut confier à qui. Aussi, les gens ne se présentent pas toujours, donc il faut savoir à qui l’on parle. Physiothérapeute, ah ça doit être l’équivalent du kinésithérapeute. Diététiste, ça doit être comme nutritionniste. À tâtonnement, on arrive à connaître la profession des gens. L’AIC, quel est son rôle ? La difficulté c’est de bien observer, car si on le fait, on finit par s’adresser aux bonnes personnes au bon moment » (E6).

Dans ce témoignage trois éléments ressortent. Premièrement, en évitant de se présenter, les différents professionnels de la santé dans les milieux de soins tiennent souvent pour acquis que l’infirmière immigrante sait à qui elle s’adresse. De deux, le nom donné à chacun des professionnels peut varier d’un pays à l’autre. Troisièmement, il peut y avoir des professionnels qui ont un rôle qui n’existe pas dans le pays d’origine de l’infirmière diplômée hors Québec. D’ailleurs, des participantes qui ont eu à travailler avec des infirmières auxiliaires mentionne que ce rôle infirmier n’existe pas dans leur pays : « Chez nous, on a juste des aides- soignantes (équivalent du préposé aux bénéficiaires), ça n’a rien à voir avec les infirmières auxiliaires » (E5). Le travail auprès de cette professionnelle demande une bonne connaissance des rôles de l’infirmière et de l’infirmière auxiliaire ce que n’ont pas les nouvelles arrivantes.

« J’étais tout le temps en train de demander si elle a le droit de faire telle ou telle chose. J’avais très peur de blesser les gens, de les rabaisser. Demander es-tu capable de faire ça ou as-tu la compétence pour le faire, c’est très gênant. […] En plus, j’avais cru comprendre qu’il y avait des conflits entre les infirmières et les infirmières auxiliaires et que ce n’était pas toujours évident » (E6).

Les participantes qui ont été confrontées à cette situation ont mentionné avoir eu besoin de temps afin de comprendre le rôle de chacune d’autant plus que lorsque « l’infirmière auxiliaire est expérimentée, on ne voit pas la différence (avec une infirmière) » (E6).

D’autres divergences soulevées par les participantes concernent les méthodes de soins et le matériel. En effet, elles ont mentionné des différences dans des domaines aussi variés que les soins de plaies, l’administration de transfusion et la double vérification lors de l’administration de certains médicaments (par exemple, l’insuline). D’un autre côté, la base de certaines techniques reste la même tel que le mentionne cette participante : « poser un cathéter, c’est assez universel » (E1).

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Les normes de pratique sont d’autres éléments qui varient entre le Québec et les pays d’origine des participantes. Concrètement, une infirmière affirme son malaise devant les normes d’hygiène différentes qu’elle a rencontré ici : « Aller à la cafétéria et voir tous ces gens avec leur tenue de travail me choque beaucoup. Chez moi, on se changeait avant d’y aller » (E5). Elle dit d’ailleurs, avoir vécu cela comme une « catastrophe ». De plus, une autre participante mentionne son étonnement face au fait que les hommes et les femmes partagent la même chambre. Un autre élément ayant surpris une participante est la rapidité à laquelle les infirmières québécoises ont recours au rapport d’accident lorsqu’une erreur est commise. Celle-ci mentionnait que dans son pays, la déclaration des erreurs n’était pas aussi courante.

Finalement, le dernier élément soulevé par les infirmières est l’étendue de pratique. De façon plus large, une infirmière souligne que dans son pays, les infirmières qui pratiquent dans les domaines de la santé mentale et de la gériatrie sont des infirmières spécialisées. D’ailleurs, elle a dû refaire une formation au collégial dans ces domaines avant de pouvoir pratiquer au Québec. D’un côté plus spécifique, une participante mentionnait que le fait de pouvoir avoir recours à des ordonnances collectives est un avantage pour les infirmières au Québec : « On sent que l’infirmière n’a pas vraiment le même rôle quand même. On a plus de responsabilités ici et c’est vraiment intéressant » (E1).

En somme, les infirmières diplômées hors Québec sont confrontées à de nombreuses différences. D’abord, la communication, tant orale qu’écrite, est très différente notamment, au niveau des abréviations, des expressions, des noms des médicaments et des examens. Ensuite, elles doivent s’adapter au rôle des différents professionnels de la santé et doivent composer avec du matériel et des techniques de soins parfois différents. Finalement, certaines normes et l’étendue de la pratique infirmière peuvent différer de ce qu’elles connaissaient. Toute cette nouveauté entraîne un plaisir à découvrir de nouvelles choses, mais également de l’appréhension face à tant de nouveauté.

Sous-thème 2.2 : Paradoxe entre le plaisir de découvrir des pratiques différentes et

les malaises ressentis face à ces pratiques

À l’image de l’adaptation vécue par les infirmières et leur famille présentée dans la section portant sur le parcours migratoire, à leur entrée dans leur nouveau milieu de travail, les infirmières immigrantes doivent s’adapter à une nouvelle réalité professionnelle. La découverte des différences de pratique présentées précédemment peut être une source de plaisir pour les infirmières immigrantes. Néanmoins, elle peut également entraîner de l’appréhension, un sentiment d’incompétence ou une remise en question chez les participantes. Ces différents aspects sont présentés dans la section qui suit.

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Dans un premier temps, il faut rappeler qu’un des motifs d’immigration des infirmières diplômées hors du Québec est la découverte de nouvelles pratiques. Par exemple, une participante mentionnait qu’elle : « [est] venue ici pour le plaisir de découvrir d'autres pratiques » (E3). Une fois sur place, plusieurs participantes ont en effet souligné apprécier les découvertes ou vivre de petites aventures comme cette infirmière qui mentionnait que « c’est toujours intéressant de voir d’autres façons de faire » (E4). Un peu dans le même sens, une autre participante racontait une anecdote par rapport au fait qu’elle avait eu beaucoup de difficultés à se retrouver dans l’hôpital au début :

« J’avais noté mon trajet pour aller au vestiaire et il ne fallait pas que j’y déroge. Et puis un jour ça a été bloqué pour des travaux et puis mince, je me suis dit comment je vais faire ! Voilà, ça procure de petites angoisses de temps en temps, mais c’est passager. Une fois que vous connaissez, ça va » (E6).

Cette petite histoire racontée à la blague met quand même en lumière un autre aspect de l’expérience des infirmières immigrantes, soit la possibilité de vivre de l’angoisse face à de nouvelles situations. À cet effet, plusieurs participantes ont indiqué avoir vécu du stress ou de l’appréhension en raison de la nouveauté comme cette participante mentionnant qu’au : « départ, j’appréhendais un peu parce que ce n’est pas du tout la même façon de faire, il y a pleins de trucs qui changent » (E3).

Dans un autre ordre d’idées, d’autres émotions telles que l’incompréhension face aux nouvelles pratiques rencontrées au Québec peuvent être rencontrées par les infirmières immigrantes. En effet, certaines pratiques de soins ont été qualifiées de choquantes par les participantes. Une d’entre elle soulignait qu’elle avait beaucoup de difficultés avec les normes d’hygiène ici, qui n’étaient pas assez strictes pour elle. Une autre infirmière expliquait qu’une des difficultés auxquelles elle a dû faire face dans son adaptation professionnelle est liée aux différences dans les techniques de soins :

« Au début, il y a des soins qu’on se dit que ce n’est pas la bonne méthode. Ça n’est pas comme ça que j’ai appris, ils doivent se tromper. Pour moi, c’était surtout les pansements. Chez moi, on apprend les antiseptiques en trois phases puis ici, c’est juste du sérum physiologique. Je me disais qu’il devait y avoir des infections. Puis, au final, on réalise qu’il n’y a pas plus d’infection et on se dit que ça doit marcher. Au fur et à mesure on prend conscience de certaines choses » (E6).

Ces pratiques différentes entraînent une adaptation qui s’accompagne aussi d’un sentiment d’incompétence :

« J’avais quand même 8 ans d’expérience dans mon pays et pourtant j’avais l’impression de devoir tout réapprendre et de ne plus rien savoir, car ici c’était complètement différent de ce que je connaissais. Ça a été vraiment difficile au début » (E4).

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Pour les infirmières immigrantes expérimentées, le recul en arrière peut être perçu comme très grand. D’une part, l’infirmière qui a de l’expérience ne veut pas être traitée comme une débutante. D’autre part, elle craint les différences de pratique qui pourraient la placer en situation où elle serait perçue comme inadéquate. Le témoignage de cette infirmière résume bien ce propos :

« La marche en arrière est très basse en fait. Ensuite il faut remonter. J’avais l’impression de ne plus rien savoir. […] Les gens me demandaient si je savais faire un cathétérisme urinaire. Oui… Mais en même temps, je ne disais rien, car si ça se trouvait ce n’était pas la même méthode. Donc je leur disais montre-moi comment tu fais » (E6).

Finalement, il peut arriver que des infirmières immigrantes commettent des erreurs au départ en raison de leur inexpérience avec certaines techniques de soins ou habitudes de travail ce qui peut amplifier leur sentiment d’incompétence. Par exemple, une participante qui mentionnait avoir commis une erreur en début de pratique affirmait, bien que son erreur n’ait pas eu de conséquences pour le patient, s’être sentie : « interpellée et qu’elle s’est remise en question par la suite » (E3).

En somme, la rencontre avec un milieu professionnel différent avec des pratiques nouvelles qui peuvent parfois être dérangeantes a soulevé, chez les infirmières immigrantes, toute une gamme de sentiments et de réflexions. Le plaisir de découvrir côtoie l’appréhension, l’incompréhension, un sentiment d’incompétence et parfois même une remise en question.

Sous-thème 2.3 : Adaptation graduelle à la différence (de l’inconfort à la routine, au

confort)

L’inconfort généré par les différences rencontrées se transforme graduellement au fur et à mesure que les infirmières s’adaptent à leur nouveau contexte de pratique. En effet, les infirmières mentionnaient passer une période d’adaptation graduelle les menant vers une pratique plus autonome et aisée.

Dans un premier temps, toutes les participantes ont qualifié leurs premiers mois de pratique comme étant une période d’adaptation qui se fait graduellement. Une participante soulignait qu’elle a vécu « une succession de petites choses [auxquelles elle a dû] s’adapter à chaque fois » (E4). Une autre mentionne que « c’est à force de faire » les choses et de vivre de nouvelles expériences qu’elle est arrivée à se familiariser avec les différentes pratiques d’ici (E6). Dans la section précédente, il a été mentionné que les pratiques au Québec peuvent parfois aller à l’encontre des valeurs ou des meilleures pratiques perçues par les infirmières immigrantes. À cet effet, une participante raconte comment elle s’est adaptée à des normes d’hygiènes différentes :

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« Avant, je m’énervais contre le système. Je pestais toute seule. Et puis, au bout d’un moment, je me suis dit que ça ne sert à rien de toute façon. Après un moment, je me suis fait une raison. J’essaye de faire du mieux comme moi je travaille, comme je travaillais. J’essaye de m’intégrer dans le système en conservant ce que j’étais moi et ce que j’ai appris au niveau de l’hygiène. Et maintenant, ça va, je ne m’énerve plus après ça » (E5).

Après une période de « familiarisation » (E6) et d’« appropriation » (E3), d’une durée de quelques mois selon les participantes, les infirmières immigrantes commence à se sentir à l’aise dans leur nouveau travail. Cette aisance se traduit de plusieurs façons selon la personne rencontrée. Une infirmière mentionnait que déjà après quelques jours, elle « reconnaissait l’espace, reconnaissait les lieux et osait poser des questions » (E2). Pour une autre, le fait de « se sentir à l’aise dans un service [de ne pas] se sentir perdue, stressée ou de se demander qu’est-ce qui va encore arriver aujourd’hui ? » (E1) rendait le travail plus intéressant. Finalement, une autre affirmait qu’elle « commence à entrer dans la routine du travail » (E3).

En somme, les infirmières immigrantes intégrant la pratique québécoise sont confrontées à de nombreuses différences de pratique (communication, rôles des différents professionnels, pratique de soins, etc.) auxquelles elles doivent s’adapter. La découverte de ces nouvelles pratiques peut entraîner des sentiments contradictoires : le plaisir de découvrir versus l’inconfort relié à la différence. C’est seulement après une période d’adaptation de quelques mois, que les participantes ont affirmé retrouver un sentiment d’aisance et une pratique de plus en plus intéressante. D’autres considérations, d’ordres organisationnel et professionnel compliquent cependant la transition professionnelle des infirmières immigrantes et seront discutées au prochain thème.

Thème 3 : Réaliser le contraste entre ses attentes professionnelles et la