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Être différente des autres (Conditions sociétales)

La marginalisation, la stigmatisation et les stéréotypes présents dans une société sont des conditions entravant la transition des personnes immigrantes (Meleis, 2010c). Les infirmières rencontrées ont fait face, à

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différents niveaux, à des situations où elles se sont senties peu acceptées dans leurs différences. Le sixième thème à ressortir de l’analyse des données porte donc sur ces expériences. D’abord, il faut rappeler que cinq des six participantes venaient de la France et ne faisaient pas partie de minorités visibles alors qu’une des femmes rencontrées est maghrébine et de confession musulmane. Elle peut facilement être identifiée comme telle puisqu’elle porte le hijab. Chez les infirmières européennes, certaines ont dit avoir eu des commentaires sur le fait qu’elles sont immigrantes alors que d’autres affirment n’avoir jamais vécu de discrimination. Leur témoignage sera d’abord présenté suivi de celui de l’infirmière originaire du Maghreb.

Pour commencer, des participantes provenant de France ont mentionné avoir été l’objet de plaisanteries de la part de collègues de travail. Elles avaient l’impression que certaines personnes tentaient de leur passer un message de cette façon : « Ben des fois, sur le ton de la plaisanterie. Tu sais, des fois où tu te dis, même si c’est dis en plaisantant, tu dis il y a un petit peu de vrai dans ce que... Je le ressens de certaines personnes » (E5). Une des infirmières explique également que son mari a eu des commentaires désobligeants dans son milieu de travail : « Mon mari, il a des collègues qui lui ont dit : si t'es pas content, on te renvoie dans ton contener » (E6). Elle explique par la suite ne pas avoir eu de remarques de ce genre à l’hôpital, mais cela semble rester tout de même à son esprit :

« Ça (les remarques) a jamais été méchant comme pour mon mari. […] Moi, jamais personne ne m’a dit… Parce que j'ai tendance à râler... Personne ne m'a dit tu rentres chez toi. Peut-être que les gens l'ont pensé, mais en tout cas, personne ne me la dit » (E6).

Finalement, une infirmière s’expliquait le fait qu’elle n’a pas fait l’objet de discrimination du fait qu’il y a une certaine parenté entre le Québec et la France : « J'ai pas vraiment ressenti ça. En discutant avec d'autres infirmières qui venaient d'autres pays, je pense qu'elle l'on ressenti plus que moi. Finalement, nous on vient de la même souche et j'ai l'impression qu’on est perçu un peu différemment » (E4). Les témoignages recueillis lors de cette étude semblent aller dans le même sens que les propos de cette participante. En effet, la participante d’origine maghrébine a fait face à des stéréotypes et à des propos discriminatoires dans la société et au sein de l’hôpital.

Dans un premier temps, cette participante prenait la situation avec beaucoup de philosophie : « Écoutez, dans toutes les couleurs, dans toutes les nations, dans toutes les religions, il y a la discrimination, il y a le racisme. On ne peut pas nier que c'est. Que ça n’existe pas. Ça existe » (E2). Elle mentionne avoir ressenti le jugement dans le regard des autres et leur difficulté à l’accepter. Elle l’explique de cette façon :

« On ne te connaît pas. On te juge. Peut-être qu'on juge ta religion, parce que t'a un nom, pis t'as l'air d'une musulmane. Ça fait peur des fois. Les médias ont tout fait pour faire peur. T'es jugée, les stéréotypes » (E2).

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Par ailleurs, elle affirme avoir déjà fait l’objet de discrimination dans son pays natal en raison de ses origines berbères : « Le fait que je suis d'origine rifaine pas arabe, c'est comme les autochtones chez vous. J'avais ce regard des autres dans mon pays, je n'ai pas eu ce choc en arrivant ici » (E2). Malgré cela, la discrimination qu’elle vit a eu des conséquences sur sa capacité à trouver un emploi et une garderie pour son fils. En effet, elle a passé plus d’un an au Québec avant de pouvoir reprendre la pratique infirmière et pendant cette période la recherche d’un travail a été difficile : « Je suis passé par le Service d’Orientation et d’Intégration des Immigrants au Travail (SOIT). Je suis passée par le centre multiethnique. Mais quand t'es nouvelle ici, on ne t'accepte pas » (E2). Elle a aussi dû faire face à beaucoup de refus lorsqu’elle se présentait pour trouver un service de garde pour son enfant. En plus, elle fait parfois face à des remarques désobligeantes de la part de parfaits inconnus. Par exemple, elle raconte s’être fait interpeller par une dame alors qu’elle montait dans l’autobus :

« Elle m’a dit « Hey vous! Retournez d'où vous venez ! » Je la regarde et je ne voulais pas répondre, mais m’a redit : « Oui, oui, vous ! C'est à vous que je parle. Retournez chez vous! Qu'est-ce que vous faites ici ? » (E2).

Elle mentionne qu’il a été plus difficile de vivre cette discrimination lors de son arrivée au Québec en raison de nombreux bouleversements qu’a entraîné son immigration :

« Je l'ai senti, parce que je n'avais pas de ressources. Je n'avais pas un réseau, je me sentais perdue. J’étais en plein divorce. Donc, peut-être que c'est pour ça que je l'ai senti. C'est comme si je n'avais pas besoin de ça en ces moments-là » (E2).

Près de deux ans après son arrivée au Québec, cette participante a commencé à travailler comme infirmière. Dans son milieu professionnel, elle raconte ne pas avoir de difficultés en général en raison du fait qu’elle est d’une origine ethnoculturelle différente, mais ressent chez certaines collègues le jugement et doit faire face à leurs préjugés : « Quand je travaille, je l'ai pas senti en général, mais je le sens chez certaines personnes dans leur regard et leur attitude » (E2). Notamment, elle explique avoir changé sa façon de s’habiller au travail en raison du « regard des autres, de leurs questions » (E2). Par exemple, elle a dû répondre à des questions du genre : « [Dans ton pays], est-ce que vous voyager sur les chameaux? » (E2). Finalement, pendant sa période de jumelage, elle raconte avoir reçu des commentaires sur sa religion de la part de l’infirmière qui la supervisait : « Elle a écrit des bons commentaires sur le plan professionnel, mais à la fin elle me dit : […] j'ai de la misère avec ta religion » (E2). Pourtant, il n’avait pas été question de pratique religieuse dans la journée où de quoi que ce soit du genre comme l’explique la participante : « J'étais comme bon, mais je ne la pratique pas au département. Est-ce que vous m'avez vu en train de prier au service? » (E2). Finalement, elle explique avoir souri à sa collègue et lui avoir indiqué qu’il : « y a toujours des gens qui ont de la misère avec plein de religions. C'est comme ça. Il faut accepter l'autre » (E2).

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En somme, les participantes ont des expériences distinctes quant au fait d’être différentes des autres. Certaines ont fait face à de la discrimination alors que d’autres se sont senties bien accueillies. De façon plus générale, cet élément est une condition sociétale pouvant entraver la transition professionnelle des infirmières immigrantes. Tel que présenté précédemment, des conditions personnelles (attitudes d’ouverture et capacité à mobiliser ses connaissances et expériences antérieures) et des conditions communautaire et sociétale ont également un impact sur la transition de ces travailleuses. Lors des entrevues, les participantes ont été encouragées à évaluer leur cheminement et à faire un bilan de leur parcours. C’est ce qui sera présenté dans l’axe suivant.

Axe 3 : Le bilan que font les infirmières immigrantes de leur