• Aucun résultat trouvé

EXEMPLES D'INITIALISATION PHONOLOGIQUE 33 sont pertinentes du point de vue syntaxique Le degré d'adéquation entre les

unités prosodiques et les constituants syntaxiques est cependant l'objet d'un débat. Un des exemples typiques utilisés pour alimenter le débat est illustré les deux phrases suivantes :

1o [Les enfants] # [mangent] [du pain].

2o

[Ils # mangent] [du pain].

Ces deux phrases se composent d'un groupe nominal suivi d'un groupe ver- bal ; la frontière syntaxique séparant les deux groupes est marquée #. Dans la première phrase, cette frontière syntaxique correspond à une frontière de groupes phonologiques (marqués par les crochets). Dans la seconde, la ré- duction du groupe nominal à un simple pronom fait qu'il ne constitue pas un groupe phonologique à part entière, mais se rattache à celui du verbe. En conséquence, la frontière syntaxique n'est plus signalée par une frontière pro- sodique. Gerken et coll. (1994) ont exposé des enfants américains de 9 mois à des phrases anglaises du type 2, en insérant des pauses soit à la frontière syntaxique, soit à la frontière prosodique. Les enfants ont préféré écouter les phrases coupées à la frontière prosodique, montrant ainsi qu'à cet âge ils sont plus sensibles à la cohérence prosodique de la phrase qu'à sa cohérence syntaxique. Faut-il par conséquent abandonner l'idée de l'initialisation proso- dique de la syntaxe? Dans les débats récents (Morgan & Demuth, 1996a), la question divise les spécialistes du domaine entre ceux qui pensent que la pro- sodie n'est pas un bon indicateur de la syntaxe (Venditti, Jun, & Beckman, 1996; Fernald & McRoberts, 1996) et ceux qui pensent que la corrélation prosodie-syntaxe, bien qu'imparfaite, est néanmoins susamment able en moyenne pour être utile (Steedman, 1996; Fisher & Tokura, 1996; Jusczyk & Kemler-Nelson, 1996; Gerken, 1996).

Malheureusement aucune étude quantitative n'est venue à ce jour orir des données permettant de réellement juger. Portons néanmoins au crédit des partisans de l'initialisation phonologique trois arguments intéressants :

 S'il est vrai que toutes les frontières syntaxiques ne sont pas nécessai- rement marquées par une frontière prosodique, à l'inverse toutes les frontières d'unités prosodiques (égales ou supérieures au groupe pho- nologique) signalent des frontières syntaxiques. Il s'agit là d'un lien susamment systématique pour ne pas être négligé.

 Le fait que les unités prosodiques ne semblent pas concorder parfaite- ment avec les unités syntaxiques pourrait tout simplement indiquer que les théories de la syntaxe en usage actuellement ne sont pas adaptées. Steedman (1996) propose à cet eet une théorie alternative de la syn- taxe, dans laquelle les unités syntaxiques coïncident réellement avec les unités prosodiques. Il reste néanmoins à évaluer si cette nouvelle théo-

rie est à même de décrire l'ensemble des phénomènes syntaxiques aussi ecacement que les théories classiques.

 L'argument de la multiplicité des indices, qui a déjà prouvé son eca- cité dans les discussions sur la segmentation en mots et sur la distinc- tion mots de fonction/mots de contenu, reste valable dans le présent contexte. La prosodie n'est pas le seul indice disponible, et dans les cas où elle fait faux bond, d'autres peuvent lui suppléer, notamment ce que l'enfant peut déjà avoir appris sur les catégories grammaticales. Par exemple, dans le type de phrases (n2) qui suscite le débat, l'en- fant peut s'épargner une analyse erronée s'il sait déjà que  ils  est un mot de fonction associé à un groupe verbal (en eet,  ils  n'apparaît pas plus d'une fois dans un groupe intonationnel, cf. Section 1.3.3.1), et a fortiori s'il sait que  mange  est un verbe.

1.3.4.2 L'ordre des mots

Pour terminer, mentionnons le seul cas à notre connaissance pour lequel un lien direct et non ambigu entre la phonologie et la syntaxe ait été avancé. Il s'agit à l'origine d'une proposition de Mazuka (1996), selon laquelle un paramètre important gouvernant l'ordre des mots peut être déterminé à l'aide d'indices prosodiques. Cette proposition a depuis été reprise et développée par Nespor et coll. (1996).

L'ordre des mots est bien évidemment un ingrédient essentiel de la struc- ture syntaxique des phrases et, comme nous l'avons dit à la Section 1.1.1, c'est aussi un élément important pour attribuer leur sens aux mots. Pour reprendre l'exemple que nous avions utilisé p. 4  le chien poursuit le chat , si l'enfant sait que  poursuit  est le verbe, et que dans sa langue le verbe précède son complément, il peut en déduire que le complément du verbe est  le chat , est donc que l'animal poursuivi (le chat) correspond au son [lMa]. Dans la situation inverse, où il n'aurait pas la scène sous les yeux, mais où il connaîtrait le sens des mots, il peut en déduire lequel poursuit lequel. C'est en fait exactement l'expérience qu'ont réalisée Hirsh-Pasek et Golinko (1996) sur des enfants de 17 mois, en leur faisant écouter des phrases équivalentes à  le chien poursuit le chat , et en leur présentant simultanément sur des écrans les deux scènes possibles (le chien et le chat échangeant les rôles dans la deuxième scène). Les enfants ont regardé préférentiellement l'écran diu- sant la bonne scène, celle qui correspondait à l'ordre des mots en anglais. Notons de plus que l'expérience de Shady et coll. (1998) suggère également que les enfants de 16 mois sont sensibles à la position des mots de fonction. Il est donc important de comprendre comment cette connaissance au moins partielle de l'ordre des mots est acquise dans ces délais.

1.3. EXEMPLES D'INITIALISATION PHONOLOGIQUE 35

Outline

Documents relatifs