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DISCUSSION GÉNÉRALE 161 général servant à sélectionner les stimuli pertinents pour l'organisme,

Dans le document Rythme des langues et acquisition du langage (Page 168-170)

Discrimination de langues par des singes

6.6. DISCUSSION GÉNÉRALE 161 général servant à sélectionner les stimuli pertinents pour l'organisme,

et ce dispositif pourrait également être présent chez le singe. On doit alors se demander sur quelles propriétés du signal acoustique se base ce dispositif de ltrage, propriétés non spéciques à la parole, mais qui permettraient néanmoins de distinguer la parole à l'envers de la parole à l'endroit? Nous voyons au moins deux possibilités.

 La première est que certaines propriétés de la parole à l'envers, et notamment des occlusives à l'envers, pourraient ne pas être  na- turelles  dans un sens assez général. Par exemple, il se pourrait que les sons émis par des objets entrant en vibration respectent toujours un certain prol d'émission d'énergie acoustique dans le temps. Dans ce cas, les mêmes sons joués à l'envers pourraient avoir un prol d'énergie non naturel, et être détectés (et rejetés) comme tels par le système auditif, à la fois chez l'humain et chez le singe.

 Nous avons également pensé à un autre indice qui pourrait  dé- masquer  la parole à l'envers. Toutes nos phrases (et aussi la base de diphones du logiciel de synthèse mbrola) ont été enregistrées dans une cabine insonorisée, mais pas anéchoïque. Ainsi, tous nos stimuli comportent un peu de réverbération, due à la réexion du son sur les parois de la cabine. Bien entendu, dans les enregistre- ments, la réverbération de chaque son arrive après le son source. Lorsque la parole est jouée à l'envers, la réverbération arrive alors avant sa source, ce qui est parfaitement anti-naturel. Il se pour- rait donc que cette propriété de la parole à l'envers suscite le rejet de ces sons par le système auditif, et ce aussi bien chez le singe que chez l'humain. Pour tester cette hypothèse, on pourrait re- faire les expériences de discrimination de langues à l'envers avec des phrases enregistrées en chambre anéchoïque : on prédirait alors une discrimination correcte.

 Enn, la dernière possibilité est que la réaction négative des nouveau- nés et des singes à la parole à l'envers n'est pas due aux mêmes raisons. Il se pourrait par exemple que les nouveau-nés discriminent les langues sur la base de leurs propriétés rythmiques, et possèdent un dispositif de ltrage spécique à la parole, qui rejette la parole à l'envers parce qu'il ne reconnaît pas les occlusives à l'envers. Dans le même temps, les tamarins pourraient discriminer les langues sur la base de leurs propriétés phonétiques, et leur absence de discrimination avec la parole à l'envers pourrait être due à son caractère non naturel, démasqué par la forme acoustique des occlusives à l'envers, ou par la réverbération.

Ainsi, dans l'état actuel des choses, la similarité de comportement entre le nouveau-né et le tamarin ne doit pas nécessairement être interprétée comme prouvant la similarité de leurs mécanismes de perception de la parole.

Ainsi, les résultats de nos expériences autorisent encore de nombreuses interprétations. Ceci est dû au fait qu'il ne sut pas de montrer que les singes et les nouveau-nés ont les mêmes performances dans une tâche donnée pour en déduire qu'ils résolvent la tâche de la même manière. Encore faut-il explorer précisément la manière dont chacune des espèces résout la tâche. En ce qui concerne le nouveau-né, nous sommes arrivés au chapitre précédent à la conclusion que c'est le rythme de la parole qui lui permet de discriminer les langues. De nouvelles expériences seraient nécessaires pour répondre à la même question chez le tamarin. Pour savoir si les tamarins discriminent les langues sur la base de leur rythme ou de leurs propriétés phonétiques, on pourrait les tester sur d'autres paires de langues. Par exemple, deux langues ayant des propriétés phonétiques diérentes mais des propriétés rythmiques similaires, comme l'anglais et le néerlandais. La resynthèse de parole peut bien sûr, comme nous l'avons fait avec les nouveau-nés, servir à départager les diérents indices phonologiques. Quant à l'absence de discrimination avec la parole à l'envers, nous avons déjà proposé à la Section 5.9 une série d'expé- riences visant à déterminer précisément quels sont les indices acoustiques qui  démasquent  la parole à l'envers. Il va de soi que ces mêmes expériences seraient toutes aussi intéressantes à mener chez le singe, car il est tout à fait concevable que le rejet de la parole à l'envers ait des causes diérentes chez le singe et chez l'humain.

Même si nos résultats ne nous permettent pas de conclure sur tous ces points précis, nous pensons qu'ils montrent (une fois de plus) que les hy- pothèses de spécicité au langage et à l'être humain méritent souvent d'être testées. Ces deux premières expériences, et la découverte de la discrimination de langues par le tamarin, suscitent de nombreuses questions passionnantes et ouvrent la voie à toute une série d'expériences visant à mieux comprendre la spécicité des diérentes composantes du traitement de la parole. De plus, par rapport aux expériences de Kuhl et ses collègues, nous pensons que nos expériences apportent un certain nombre d'avancées signicatives :

 D'un point de vue méthodologique, l'utilisation de la procédure d'ha- bituation/déshabituation est un réel progrès. Rappelons en eet que la procédure de conditionnement utilisée par Kuhl demandait aux chin- chillas plus de 6 mois d'entraînement à la tâche sur les exemplaires ex- trêmes du continuum phonétique. Sans parler du coût et de la lourdeur de telles expériences, on peut se demander à quel point cette exposition

6.6. DISCUSSION GÉNÉRALE 163

Dans le document Rythme des langues et acquisition du langage (Page 168-170)

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