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DISCUSSION ET PERSPECTIVES 177 Pour l'enfant confronté à l'anglais et au néerlandais, le fait de ne pas

Dans le document Rythme des langues et acquisition du langage (Page 184-186)

Conclusion : le rôle du rythme dans l'acquisition du langage

7.4. DISCUSSION ET PERSPECTIVES 177 Pour l'enfant confronté à l'anglais et au néerlandais, le fait de ne pas

distinguer ces deux langues à la naissance est informatif : il signie que quel que soit le nombre de langues que l'enfant est en train d'apprendre, elles ont toutes le même rythme, c'est-à-dire, selon notre hypothèse, la même com- plexité syllabique. Cet enfant acquiert donc une information sur les syllabes de sa/ses langue(s) aussi précocement que l'enfant confronté à l'anglais et au japonais, pour qui la discrimination entre les deux langues signierait qu'il y a deux grammaires syllabiques à apprendre.

Cela signie de manière plus générale que l'intérêt de l'enfant n'est pas nécessairement de discriminer les langues le plus tôt possible. Lorsque l'enfant discrimine deux langues à un âge donné, cela lui indique que les propriétés sur la base desquelles il a eectué la discrimination dièrent dans les deux langues, et donc qu'il y a lieu d'en apprendre les deux versions diérentes. En revanche, lorsqu'il ne discrimine pas deux langues sur la base de ces propriétés, il sut de les apprendre une seule fois pour que cela vaille pour les deux langues. Dans le cas où ces propriétés phonologiques servent à initialiser d'autres propriétés de la langue, la même démarche convient. Ainsi, plus les langues sont proches, moins il est dommageable de ne pas les distinguer précocement.

Nous prédisons donc que l'apprentissage de la phonologie se fait de ma- nière parallèle chez l'enfant monolingue et chez l'enfant bilingue. Et compte tenu du calendrier des acquisitions phonologiques que nous avons dressé au Chapitre 1, on peut estimer qu'à la n de la première année de vie, lorsque l'enfant apprend ses premiers mots, il possède l'essentiel de la phonologie de sa ou ses langues. On ne s'attend donc pas à observer de diérence dévelop- pementale dans l'acquisition du langage entre l'enfant monolingue et l'enfant multilingue9.

9. À cette réserve près que l'acquisition de la phonologie nécessite certainement une quantité d'exposition minimale à chaque langue, notamment pour que les analyses distri- butionnelles et statistiques convergent vers des résultats ables. Pour un bébé exposé à 10 langues, l'exposition à chacune d'entre elles serait divisée en moyenne par 10 par rapport à un bébé monolingue, à exposition totale constante. Il n'est pas certain que cela suse, mais nous n'avons pas de données concernant des enfants décalingues (s'il y en a !). Nous n'avons de manière générale aucune donnée sur l'exposition minimale nécessaire à l'acqui- sition du langage (en dehors des cas normaux et des cas d'isolement extrême). Comme le trilinguisme est assez répandu sans que cela ait l'air de présenter des dicultés, on peut estimer qu'un tiers de l'exposition totale standard est susant.

7.4.5 L'hypothèse de l'initialisation par le rythme est-

elle testable?

Nous supposons que l'enfant utilise sa perception des propriétés ryth- miques de la parole pour acquérir des informations sur la structure des syllabes de sa langue. Cette hypothèse ne repose actuellement que sur la corrélation entre les propriétés rythmiques et la structure syllabique, et la capacité du nouveau-né à percevoir les propriétés rythmiques. Est-il possible de prouver que l'enfant utilise réellement les indices rythmiques comme nous le supposons?

Cela peut s'avérer dicile. En eet, nous postulons que le rythme ren- seigne l'enfant sur la structure des syllabes très précocement. Or l'enfant ne commence à babiller qu'à partir d'environ 7 mois. Et à cet âge, il ne pro- nonce qu'un sous-ensemble des syllabes autorisées dans sa langue, la plupart du temps les syllabes de type CV. On pourrait voir cela comme indiquant que l'enfant de 7 mois n'a, malgré sa sensibilité au rythme, toujours pas appris les syllabes de sa langue, ce qui inrmerait notre hypothèse. Cependant il est probable que des contraintes articulatoires l'empêchent de prononcer correc- tement les syllabes plus complexes (Macken, 1995). Dans ces conditions, il est bien dicile d'évaluer sa grammaire syllabique.

Ce que l'on souhaiterait, nalement, c'est observer l'acquisition des syl- labes sans la contribution du rythme. Serait-elle impossible, altérée, retardée, ou normale? De telles observations peuvent être éventuellement apportées par la neuropsychologie. Nous prédisons qu'un enfant ayant un décit congénital de la perception du rythme devrait avoir des dicultés avec les syllabes de sa langue. Un tel décit existe-t-il? Peut-être... À titre de spéculation, nous proposons que les enfants dyslexiques sont peut-être dans cette situation.

La dyslexie est un trouble neurologique héréditaire, qui se manifeste par des dicultés d'apprentissage de la lecture, chez des enfants qui n'ont pas de problèmes familiaux, et qui ont par ailleurs des compétences intellectuelles normales (Morgan, 1896; Miles & Haslum, 1986; Olson, Wise, Conners, Rack, & Fulker, 1989). De nombreuses recherches ont montré que ce décit n'est pas directement lié à la lecture, mais semble être un trouble spéciquement phonologique (Brady & Shankweiler, 1991; Frith, 1985; Wagner & Torge- sen, 1987) qui n'est généralement pas dépisté avant l'apprentissage de la

lecture10. Ce décit phonologique se manifeste dans un grand nombre de

10. D'autres hypothèses existent, notamment concernant des troubles plus généraux d'at- tention visuelle ou auditive (voir par exemple Galaburda & Livingstone, 1993, et Tal- lal, 1980). Toutes ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives, car la population dyslexique est assez inhomogène, et de nombreuses causes peuvent être responsables de troubles de la lecture. Il est donc probable que l'on regroupe sous le terme de dyslexie des

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