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DISCUSSION ET PERSPECTIVES 175 pas aussi ne que celle de l'adulte, et ne lui permet pas de distinguer le

Dans le document Rythme des langues et acquisition du langage (Page 182-184)

Conclusion : le rôle du rythme dans l'acquisition du langage

7.4. DISCUSSION ET PERSPECTIVES 175 pas aussi ne que celle de l'adulte, et ne lui permet pas de distinguer le

polonais des autres langues accentuelles. Dans le cas où il discrimine eec- tivement les deux langues, cela n'implique pas non plus qu'il doive postuler une structure syllabique diérente pour le polonais. Il sut qu'il sache que l'information apportée par ∆V n'est pas pertinente du point de vue de la structure des syllabes (de la même manière qu'il doit savoir que la phoné- tique et l'intonation ne sont pas non plus pertinentes pour cet apprentissage). En revanche, ∆V pourrait apporter de l'information concernant les voyelles de la langue, les phénomènes de réduction et d'allongement vocalique. Nous n'avons cependant pas d'hypothèse détaillée dans ce domaine.

7.4.3 Et les singes?

Au Chapitre 6, nous avons montré que des tamarins étaient également capables de discriminer le néerlandais du japonais, et échouaient de même lorsque la parole était jouée à l'envers. Ceci suggère que la capacité du nouveau-né à discriminer des langues et à percevoir leurs propriétés ryth- miques n'est pas nécessairement spécique au langage. Cela remet-il en ques- tion l'utilisation de cette capacité pour un apprentissage linguistique?

En fait, comme nous l'avons déjà expliqué à la Section 6.6, si nos résultats montrent qu'eectivement les tamarins ont le même comportement que les nouveau-nés dans la tâche de discrimination de langues, ils ne permettent pas d'en déduire qu'ils utilisent les mêmes mécanismes de perception de la parole. Il reste possible, par exemple, que les tamarins utilisent des indices phonétiques plutôt que rythmiques pour la discrimination de langues, auquel cas cela ne remettrait pas en cause l'hypothèse selon laquelle la sensibilité aux propriétés rythmiques des langues est spécique au langage.

En tout état de cause, même s'il s'avérait que la perception du rythme de la parole n'est pas spécique au langage, cela n'impliquerait en rien qu'elle ne peut pas servir dans l'apprentissage du langage. Il est certain que la per- ception de la parole repose en partie sur des capacités auditives générales, qui sont pourtant recrutées par le cerveau humain pour accomplir des tâches spéciques au langage. Par exemple, de nombreux travaux ont suggéré que la perception phonétique universelle était en grande partie une capacité audi- tive générale également présente chez d'autres mammifères (Kuhl, 1987), et néanmoins il est incontestable qu'elle est à la source d'apprentissages spéci- quement linguistiques, qui ne sont jamais observés chez d'autres animaux. Il n'y a donc aucune incompatibilité entre les résultats que nous avons obtenus sur les singes et notre hypothèse d'initialisation phonologique.

7.4.4 Les enfants bilingues

La majorité des enfants du monde naissent et grandissent dans un en- vironnement multilingue (Hakuta, 1985; Harris & Nelson, 1992). Ils n'en deviennent pas dysphasiques pour autant, et aucune étude n'a montré de trouble ou de retard de l'acquisition du langage chez ces enfants, par rap- port aux enfants monolingues. Ils ne semblent pas non plus avoir tendance à confondre les deux langues. Comment font-ils pour se rendre compte que plusieurs langues sont parlées dans leur milieu, et pour apprendre deux gram- maires sans les mélanger?

Il leur est sans aucun doute d'un grand secours de distinguer des langues le plus précocement possible. D'après nos résultats et ceux de Mehler et coll. (1988) et Nazzi et coll. (1998), un enfant en présence de 2 langues de classes rythmiques diérentes peut les distinguer dès la naissance. À 2-3 mois, il pourra distinguer des langues ayant des contours d'intonation diérents (Guasti et coll., sous presse ; voir Section 5.1.2). Et à 4-5 mois, il pourra distinguer des langues aussi proches que l'espagnol et le catalan ou l'anglais et le néerlandais, qui ne possèdent que des diérences beaucoup plus sub- tiles (Bosch & Sebastián-Gallés, 1997; Nazzi et coll., soumis). On voit donc qu'il n'y aucune raison de redouter la confusion.

Mehler et coll. (1996) prédisaient cependant des dicultés, ou tout au moins un léger retard dans l'acquisition du langage, aux enfants bilingues dont les deux langues appartiennent à la même classe rythmique. On pourrait eectivement penser que les enfants confrontés à des langues présentant des diérences rythmiques pourraient prendre un peu d'avance dans l'acquisition des deux langues, par rapport à des enfants confrontés à des langues dont les diérences seraient seulement phonétiques, qui devraient attendre 4 mois de plus pour les distinguer. Il nous semble cependant que cette prédiction est liée à une conception selon laquelle la discrimination de langues serait un but en soi de l'enfant, pour se prémunir contre la confusion.

Du fait de notre engagement en faveur de l'initialisation phonologique, nous proposons une vision légèrement diérente de la discrimination de lan- gues. Selon nous, la capacité du nourrisson à distinguer des langues n'a

pas évolué spéciquement pour répondre aux problèmes du bilinguisme8.

Le nourrisson n'a pas une capacité à discriminer les langues en soi : il a une capacité à percevoir et à distinguer des propriétés phonologiques, et cela parce qu'il doit apprendre ces propriétés, et parce qu'elles vont lui servir pour initialiser l'apprentissage d'autres propriétés de la langue.

8. Bien qu'il s'agisse de pure spéculation, il peut sembler logique que le langage n'ait évolué qu'une fois dans un seul groupe humain, et donc avant que la diversité linguistique apparaisse (Ruhlen, 1996).

7.4. DISCUSSION ET PERSPECTIVES 177

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