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EXEMPLES D'INITIALISATION PHONOLOGIQUE 27 Contribution à l'acquisition du langage Plusieurs problèmes de l'ac-

quisition du langage peuvent se trouver considérablement simpliés s'il s'avère que les enfants peuvent apprendre précocement les mots de fonction.

Comme nous l'avons mentionné plus haut, tout mot, une fois appris, facilite l'acquisition des autres mots. C'est bien sûr vrai aussi des mots de fonction. Si à un stade précoce, l'enfant a appris les mots de fonction les plus fréquents (comme le déterminant  le ), la segmentation de toutes les phrases les contenant (comme  Regarde le chien ) en sera simpliée. Le bénéce est d'autant plus grand que, si les mots de fonction sont en nombre limité, leur fréquence est considérable : ils constituent seulement 0,1% du dictionnaire, mais 40% des phrases (Kucera & Francis, 1967) ! Ainsi, un début de lexique comprenant seulement une cinquantaine de mots de fonction peut permettre

à l'enfant de placer correctement plus de 40% des frontières de mots22.

Le problème d'une telle stratégie est qu'elle conduit à sur-segmenter la parole : par exemple, à extraire l'article  la  des mots  lapin  ou  ma- ladie , d'où une segmentation et une analyse de la phrase complètement fausses. C'est là que la hiérarchie prosodique (Section 1.3.1) a son rôle à jouer. En eet, les mots de fonction se situent le plus souvent aux extrémités des groupes phonologiques (voir ci-dessous). Cette contrainte permet de faire un tri signicatif entre les vrais mots de fonction et les mêmes syllabes situées à l'intérieur d'autres mots. On peut dès lors segmenter systématiquement les mots de fonction situés en bordure de groupes phonologiques, et de ce fait restreindre encore plus le domaine d'analyse, éventuellement jusqu'au mot phonologique.

A la Section 1.1.1, nous avons également vu qu'un des problèmes de l'ap- prentissage du sens des mots résidait dans l'attribution à chaque forme sonore de mot du sens qui lui revient. Savoir reconnaître certains mots de fonction peut éviter de leur attribuer un sens inapproprié : toujours dans le même exemple, si l'enfant sait que  le  est un mot de fonction, il ne lui attribuera pas le sens de  chien . Il n'aura plus qu'à déterminer les rôles respectifs du

verbe et du nom23.

Enn, l'enfant pourrait détecter les liens entre les mots de fonction et les constituants grammaticaux auxquels ils appartiennent, c'est-à-dire re- contenu.

22. Chaque mot de fonction a deux frontières, ce qui porte le pourcentage théorique aux alentours de 80, moins les cas (nombreux) où le mot est déjà en bordure d'unité prosodique, et moins les cas où plusieurs mots de fonction sont contigus.

23. Cet argument suppose en outre que l'enfant n'a pas seulement isolé les mots de fonction comme un ensemble de formes sonores reconnaissables, mais aussi qu'il  sait  quel rôle grammatical ils peuvent (ou ne peuvent pas) jouer. Cette connaissance pourrait être innée, ou due à un apprentissage qui reste à préciser.

marquer quels mots de fonction peuvent appartenir à quels constituants. Il pourrait en cela être aidé de certains universaux du langage, comme le fait qu'au sein d'un groupe intonationnel, il ne peut y avoir qu'un seul groupe verbal, mais éventuellement plusieurs groupes nominaux (Nespor, Guasti, & Christophe, 1996). Il pourrait donc en déduire que les mots de fonction ap- paraissant plusieurs fois dans un même groupe intonationnel appartiennent à des groupes nominaux, et que ceux qui n'apparaissent jamais qu'une fois sont associés à des groupes verbaux (Christophe, Guasti, Nespor, Dupoux, & van Ooyen, 1997).

Caractérisation phonologique. De nombreux auteurs ont signalé que les mots de fonction et de contenu possèdent généralement des propriétés phonologiques assez diérentes (Selkirk, 1984; Nespor & Vogel, 1986). Par exemple, en anglais, la plupart des mots de fonction sont monosyllabiques et non accentués, alors que les mots de contenu comportent toujours un accent tonique. En serbo-croate, les mots de contenu comportent toujours un ton haut sur l'une de leurs syllabes, mais pas les mots de fonction. En japonais de Tokyo, les mots de fonction peuvent perdre leur ton haut dans certaines circonstances, les mots de contenu jamais (Selkirk, 1996 ; voir Peters & Strömqvist, 1996; Morgan, 1996; Hung & Peters, 1997 pour des exemples en suédois, chinois mandarin, taïwanais...). De manière plus générale, Selkirk (1996) propose deux propriétés universelles des mots de fonctions :

1o

Contrairement aux mots de contenu, les mots de fonction n'engendrent pas systématiquement leurs propres mots prosodiques.

2o Les mots de fonction ont une prosodie plus variable que les mots de

contenu.

Morgan, Shi, et Allopenna (1996) proposent une autre généralisation (com- patible avec la précédente) : les mots de fonction sont  minimaux , à la fois dans la production et dans la perception de la parole. En se basant avant tout sur l'anglais, le turc et le mandarin, ces auteurs remarquent notamment que :

 Les mots de fonction ont une complexité minimale, à la fois en termes de nombre de syllabes (plutôt une que plusieurs), et en termes de com- plexité syllabique (souvent V ou CV, avec la voyelle non diphtonguée et souvent réduite). De plus, ils tendent à se simplier encore plus dans certains contextes (par exemple la contraction de l'auxiliaire dans  he's , ou du déterminant dans  l'avion  ou encore  je l'vois ).  Ils utilisent souvent un répertoire de phonèmes réduit par rapport aux

mots de contenu (notamment des voyelles plus centrales), et ces pho- nèmes sont plus sujets à des phénomènes d'assimilation ou d'harmonie

1.3. EXEMPLES D'INITIALISATION PHONOLOGIQUE 29

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