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PARTIE II - ANALYSES, RÉSULTATS ET APPORTS

ASPECTS STRUCTURAUX MORPHO-SÉMANTIQUES

6. Analyse morpho-sémantique par paramètre

6.3. Analyses par inventaire

6.3.4. Inventaire des valeurs morphosémantiques du paramètre « emplacement corporel » corporel »

6.4.1.1. Exemples illustratifs

Nous avons observé qu’une même entité peut être représentée par des configurations ayant des valeurs morphémiques distinctes. Le choix de la forme retenue dépend de ce qui est mis en perspective en contexte discursif. En voici une illustration :

192 Nous reviendrons sur la notion de « classificateur » dans le prochain chapitre (partie II – chapitre 2) qui abordera les questions concernant les mécanismes de formation du signe gestuel.

193 Nous reproduisons en annexe I le tableau proposé par Schembri (2003 : 10) qui reprend les différentes classifications selon ces trois catégories de base.

194 Size and shape specifiers (SASS).

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Ana_SEQ_06 (18) Ana_SEQ_06 (65) Iv_SEQ_03 (45) Iv_SEQ_03 (46)

Reprise par contour de forme

Images illustratives de séquences 1 : Dispositifs de reprise gestuelle des formes

Les configurations des mains sont ainsi analysables comme des propriétés formelles s’ancrant dans la perception (saillances, saisies, contours de forme) et visant à spécifier une forme.

Ainsi, dans l’exemple d’Ana (18), la propriété forme « sphérique » est conforme à la représentation du référent.

Il est important de signaler comme le note Cuxac (2004) que « la propriété morphémique des constituants internes ne relève pas de la forme elle-même mais des traits articulatoires participant à sa description phonétique au service d’une représentation iconique de formes dans l’univers de l’expérience perceptivo-pratique. ».

De ce fait un composant « phonétique » (par exemple la configuration ‘5’ doigts légèrement pliés) est en « adéquation optimale avec la perception » de deux formes dans l’univers de l’expérience : les formes « sphériques » et les formes « allongées et ondoyantes ». Dans notre corpus, nous avons trouvé des signes composés non seulement à partir de morphèmes de contour de forme (cf. l’exemple d’Ana (18) ci-dessus) mais aussi de morphèmes de reprise globale de la forme comme l’illustrent les exemples suivants :

© Fusellier-Souza, 2004

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Ana_SEQ_03 (103) Iv_SEQ_05b (Clésio&Iv) Ana_SEQ_06 (60) JO_SEQ_07 (49)

Reprise globale de la forme

Valeur morphémique : forme sphérique

Perspective (Ana) : explicative au moyen d’un proforme de TF

Perspective (Ivaldo) : descriptive au moyen d’un TS (config. + mouvement : soleil couchant)

Entité discursive : « soleil »

Reprise par globalité de la forme

Valeur morphémique : formes allongées et ondoyantes » Perspective : explicative au moyen d’un TF/TS (mouv. des doigts indiquant un procès)

Entité : «flammes de la gazinière»

Sens en contexte : « cuire/cuit»

Images illustratives de séquences 2 : Dispositifs de reprise globale des formes

6.4.1.2. Synthèse

Deux remarques peuvent être faites à partir de ces exemples :

1. Concernant la pertinence de la compositionnalité paramétrique du signe, on observe que le segment configuration implique nécessairement le segment orientation. Les valeurs morphémiques du paramètre configuration conservent les caractéristiques d’orientation propre à l’entité.

2. Les entités représentées partagent des propriétés sémantiques exprimées par les deux valeurs morphémiques. La reprise de forme sphérique de l’entité « soleil » est aussi en adéquation sémantique avec la valeur morphémique « ondoyante » si l’on considère « les rayonnements du soleil » exprimés par le mouvement.

6.4.2. Paramètre mouvement

Les 14 types de mouvement articulatoirement distinct que nous avons dégagés dans notre inventaire renvoient à une vingtaine de valeurs sémantiques. Ces valeurs ont été déterminées à partir de 39 signes gestuels. Ces signes caractérisent de nombreux procès (aspects et type de procès195) et certains marqueurs qualitatifs et quantitatifs. Dans le chapitre 4 (partie II), lors de l’analyse des relations temporelles en LSEMG, nous présentons et discutons plus en détail le rôle du segment mouvement dans la formation des unités de procès et des relations aspecto-temporelles.

195 Pour une présentation détaillée de ces notions voir chapitre 3 – partie II.

© Fusellier-Souza, 2004

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Nous avons observé que les valeurs morphémiques du segment du mouvement peuvent être annexées aux valeurs morphémiques du segment configuration manuelles afin d’optimiser l’information transmise. Ce que montre l’exemple suivant :

Iv_SEQ_07 (24) Iv_SEQ_07 (25)

Reprise de frontière de lieu Représentation statique Entité discursive : « cimetière»

MF : petit, serré

Maintien de l’emplacement de l’entité, changement de configuration (perspective d’extension) Mouvement progressif d’ouverture des bras : valeur morphémique « augmentation graduelle »

Interprétation : « les frontières du cimetière se sont étendues », « le cimetière est de plus en plus grand » MF : beaucoup, très

Images illustratives de séquences 3 : Juxtaposition des valeurs morphémiques dans une séquence énonciative

Ce fragment de séquence prend « 1sec/4 dixième de sec » en temps de réalisation et illustre bien le phénomène d’économie linguistique émanant de la condensation d’information permise par la compositionnalité interne des constituants. De plus, l’information sémantique exprimée dans le signe comporte une structure syntaxique complexe : le signe (24) représentant l’entité référentiellement stable « cimetière » apparaît en position de thème et le mouvement (25) représentant le concept spatio-temporel « de plus en plus » prend la position de focus (relatum dynamique) exprimant l’idée de « grandir de plus en plus ».

6.4.3. Paramètre emplacement

Nous avons extrait douze zones corporelles porteuse de quatorze valeurs morphémiques productives en LSEMG. On observe que ces zones comportent des champs sémantiques ayant une stratification conceptuelle considérable, allant du plus référentiel (les valeurs autoréférentielles de la zone elle-même) en passant par des associations entre zones/procès (des activités associées à ces parties référentielles) jusqu’à des extensions métaphoriques assez élaborées (associations liées à des réseaux conceptuels). Contrairement à ce qu’a remarqué Yau (1992 : 172), selon lequel « les langues des signes spontanées n'ont pas encore exploité métaphoriquement les parties du corps au même degré que les langues des signes conventionnelles », nous avons des exemples indiquant un processus d’extension métaphorique avérée. C’est le cas pour le signe gestuel [famille] (Iv_SEQ_05) qui est réalisé par un délinéament d’un trait (veines = sang) sur l’avant bras pour signifier « avoir le même sang ». De même, le signe [travail/travailler] s’est constitué à partir d’un procédé

© Fusellier-Souza, 2004

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métaphorique qui consiste à faire entendre la conséquence (sueur sur le front, effort) par la cause (travail)196.

6.4.4. Paramètre mimique faciale

Ce paramètre joue un rôle fondamental dans l’organisation des LSEMG. On a observé qu’il est l’un des seuls à être attesté dans tous les niveaux linguistiques : discursif, fonctionnel et formel. D’abord au niveaux discursif, ce paramètre, fonctionnant conjointement avec le paradigme du regard, participe activement à la modalisation du discours permettant d’exprimer les deux grandes modalités du discours : plan d’énonciation et plan de l’énoncé.

Nous avons remarqué que ce paramètre semble jouer un rôle structural dans l’organisation de thématisation et de focalisation discursives (voir discussion dans le chapitre 4 – partie II).

Ensuite, aux niveaux fonctionnel et formel, il est responsable de l’explicitation linguistique de nombreuses valeurs morphémiques de type aspectuel, qualitatif et quantitatif/évaluatif qui se déterminent par leur caractère autonome pouvant accompagner des signes provenant des différentes catégories linguistiques. Le paramètre mimique faciale contribue également à la formation des unités gestuelles stabilisées dans le sens où les valeurs morphémiques peuvent désambiguïser une unité ayant les mêmes segments de formation (c’est le cas pour les signes

« proche », « pareil », « même »).

6.4.5. Remarques finales

L’application des principes du modèle morpho-phonétique de Cuxac (2000 et 2004) à l’analyse interne des constituants des LSEMG nous a permis de dégager de nombreuses valeurs morphémiques des segments internes de la structure des signes gestuels. Ces valeurs sont représentatives de trois types de langues analysées ; ceci va dans le sens de l’idée que la quadridimensionnalité du canal et les structures iconiques propres à ces langues permettent des résolutions formelles semblables d’une langue des signes à une autre. De plus, les multiples valeurs morphémiques - notamment celles du segment configuration - attestent de la créativité mise en œuvre dans ces langues et révèlent le principe d’économique linguistique exprimé par un processus représentationnel qui permet de passer de la forme perceptuelle à la forme articulatoire de façon optimale.

196 Jirou (2000) observe le même procédé dans la formation du signe [travail] dans la LS pratiquée par une micro communauté de sourds de la ville de Mbour (Sénégal). Jirou considère ce procédé comme un cas de métalepse.

Cette extension métaphorique est perçue aussi en français dans la paraphrase: « gagner du pain, à la sueur de son front ».

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On a observé que les trois locuteurs sourds, principalement Ivaldo, font preuve d’une bonne dextérité dans la description de formes lors de la restitution linguistique des entités entrant dans la construction du référent. De nombreux signes ont été construits à partir de la juxtaposition des valeurs visant une représentation cohérente du concept en contexte discursif.

Nous reviendrons sur les fonctionnalités de ces valeurs morphémiques dans le prochain chapitre qui abordera rapidement certains mécanismes de création de signes et le processus de stabilisation lexicale.

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Chapitre 2 : Formation des signes gestuels - processus et mécanismes

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