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PARTIE I - PRÉSENTATION DE LA RECHERCHE

3. Encadrements théoriques et hypothèses générales de départ

3.2. Le modèle Sémiogénétique de Cuxac : l’iconicité comme principe opérationnel à tous les niveaux d’organisation et à différentes étapes évolutives tous les niveaux d’organisation et à différentes étapes évolutives

3.2.3.2. Dire « sans donner à voir » avec visée catégorisante

L’autre embranchement de la bifurcation a donné lieu d’une part, à l’émergence progressive de signes lexicalisés (ensemble d’unités significatives discrètes) et d’autre part, à une organisation et une utilisation pertinente de l’espace. Les signes gestuels lexicalisés sont spécifiques à chaque langue des signes ce qui permet de les différencier. Ces signes disposent d’une compositionnalité interne dans laquelle un type d’iconicité dégénérée (Cuxac, 2003a), sans pertinence cognitive, favorise une organisation de type morphémo-phonétique (voir discussion détaillée dans le chapitre 1 – partie II destiné à notre analyse morphosémantique).

Le maintien d’éléments lissés iconiquement au sein du lexique standardisé favorise le passage continuel d’une visée à l’autre.

L’agencement de cette visée est caractérisé également par deux composantes structurales fondamentales que nous présentons brièvement :

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1. Multilinéarité paramétrique95 (signes manuels, regard, mimique faciale et mouvements corporels et rythmiques). Cette multilinéarité est accompagnée d’une spécialisation sémantique de chacun des paramètres suivants :

Signes gestuels : responsables de l’agencement morphologique et sémantico-syntaxique du contenu des énoncés ;

Regard : gestion de l’interaction, activation des SGI (garant de la visée illustrative) et identification des énoncés dans des genres discursifs.

Mimique faciale : expression des valeurs qualitatives, quantitatives et modales.

Mouvement corporels et rythmiques : changement de thématique et frontières de syntagmes.

2. Utilisation pertinente de l’espace de signation : l’espace tridimensionnel de réalisation des messages se structure selon une organisation diagrammatique. Les signes lexicalisés peuvent être placés ou repris à différents endroits favorisant l’émergence d’une syntaxe spatiale. Cette possibilité de diagrammatisation syntaxique de l’espace permet des résolutions hautement économiques concernant : a) les relations sémantiques entre les procès et leurs entités ; b) la construction des relations temporelles selon trois axes (ces relations seront détaillées dans le chapitre 3 – partie II portant sur la construction de références temporelles). L’organisation des axes temporels dans l’espace tridimensionnel et linguistique permet l’agencement des relations temporelles et l’expression de différents types d’aspectualités.

3.2.4. Trois types d’iconicité déployés en LSF

L’analyse descriptive de la LSF proposée par Cuxac (1996, 2000, 2003a,b,c) a permis l’identification de trois types de propriétés iconiques présentes dans cette langue. D’abord, l’iconicité d’image structurée à partir de structures déployées dans les visées illustratives.

Ensuite, l’iconicité diagrammatique permettant l’exploitation de l’espace de réalisation de messages et qui régit de façon économique les relations inter-signes standards. Enfin, l’iconicité dégénérée, sans pertinence cognitive ni référentielle, entrant en jeu dans la compostionnalité interne des signes standards.

95 Cette composante structurale est retrouvée dans l’ensemble des langues des signes étudiées jusqu’à ce jour.

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3.2.5. L’hypothèse de la bifurcation et la corrélation entre les visées

Cuxac (2004 à paraître) présente un état des lieux critique concernant la pertinence de l’hypothèse de la bifurcation de visées et présente trois arguments en faveur de la validité de son approche :

1) Les structures iconiques déployées dans la visée illustrative ne sont pas marginales dans la production langagière des langues des signes (voir les éléments quantitatifs présentés par Sallandre, 2003) ;

2) Les opérations de transferts, en tant que structure, s’actualisent dans le cadre de la fonction référentielle du langage et s’inscrivent dans la « dialectique de la créativité » selon laquelle un nombre fini de structures (proformes = configuration des mains en structures de transferts) permet de représenter un ensemble non fini de formes extra linguistiques ;

3) Ces structures n’ont rien de spécifique puisqu’elles ont été relevées selon une analyse structurale, prenant en charge l’ensemble global des occurrences, basée sur des concepts et outils dégagés à partir des analyses des langues vocales.

L’hypothèse de la bifurcation ne détermine pas de frontières strictes entre les visées. Au contraire le modèle envisage trois types de rapports entre les deux visées : d’opposition, de complémentarité ou encore de recouvrement partiel ou même total.

Au niveau cognitif, la notion de « bifurcation » ne doit pas être considérée au sens d’une opposition d’étanchéité cognitive, mais au contraire comme une complémentarité lors du traitement de l’information96.

Au niveau fonctionnel, cette complémentarité est mise en évidence dans la sphère du discours à partir d’un va-et-vient dynamique entre les deux branches de la bifurcation. Ainsi, les signes lexicalisés semblent fonctionner comme des « annonciateurs des thèmes discursifs » contribuant à l’expression du topic tandis que les structures fortement iconiques permettraient davantage l’expression du focus (Cuxac, 2003c et 2004 à paraître). Cuxac constate que certaines structures, comme par exemple le pseudo transfert personnel97 ou les stéréotypes de transfert, peuvent être gouvernées par des visées distinctes. Ces structures permettent un détournement de la figurabilité, caractérisée par une visée de « donner à voir », vers des

96 Selon Cuxac (2004 à paraître) on doit s’attendre à d’importantes différences en ce qui concerne les zones neurales activées (en termes de production et réception) entre un transfert déployé selon une visée hautement illustrative et un transfert s’inscrivant dans un cadre de routines déployé avec une activation affaiblie de la visée illustrative.

97 Cette structure, formellement proche des TP, s’inscrit dans une intention descriptive visant à décrire un concept n’ayant pas de forme standardisée en langue des signes. (Voir Cuxac, 2000).

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moyens d’atteindre une certaine généricité. L’identification de ce détournement se fait par l’absence de certaines caractéristiques propres de la visée illustrative : rôle du regard (le garant de la visée) participant à une nouvelle dynamique entre plan de l’énoncé et plan de l’énonciation, investissement corporel et mimiques faciales amoindris.

Au niveau formel, cette complémentarité favorise un recouvrement des visées. Certains signes lexicalisés fortement iconiques peuvent perdre de leur généricité et basculer dans une visée illustrative à condition que ces signes soient activés par le regard. Dans ce cas, ils ne catégorisent plus un concept général mais deviennent une entité spécifique de la situation énonciative98.

Cuxac (2000) fait l’hypothèse d’une dérivation diachronique d’un certain nombre de signes standardisés (lexicalisés) résultant des structures de transferts déployées dans le cadre de routines (mentionnées précédemment). Ces routines se situent dans un état transitoire du processus de standardisation. L’observation de leurs conduites permet de tester la validité de l’hypothèse de la bifurcation.

Cuxac (2004 à paraître) évoque un exemple illustratif de ces routines. Il prend comme exemple le TS suivant : « un actant monte et s’asseoit dans un véhicule qui démarre une fois la personne assise ». Ce TS en LSF, se caractérise par l’absence de variations inter-individuelles et une fréquence d’utilisation par les locuteurs. Ces caractéristiques permettent de postuler qu’il s’agit d’un TS exprimant une action routinière qui favorise la mise en forme linguistique de la notion de « départ en voyage ». Cette structure comparée au signe standardisé générique [MONTER, DANS, PRENDRE (un véhicule)] permet de supposer que la forme générique dérive, de façon diachronique, de la forme spécificatrice de la structure de TS déployée dans le cadre de routines. Selon Cuxac, ces structures routinières99 fonctionnent comme des blocs de scripts (Schank et Abelson, 1977) dans une sorte de plan.

Nous nous intéressons tout particulièrement à cette hypothèse de dérivation diachronique puisque nos analyses, centrées sur des LS se situant dans les premières étapes de constitution d’une langue des signes, permettront d’observer ce type de dynamique. Dans le chapitre dédié à notre analyse morphosémantique nous essayons de mettre en évidence le rôle des opérations/structures de transferts dans l’émergence des signes à visée catégorisante (non illustrative).

98 Par exemple le signe standardisé de la LSF [MAISON] basculé dans la visée illustrative sans activation du regard devient [cette maison-la].

99 Cuxac note que ce caractère routinier n’a rien d’incompatible avec la visée illustrative.

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3.2.6. Synthèse et vision schématique du modèle

Le modèle sémiogénétique proposé par Cuxac (1996, 2000) se caractérise par une plateforme formelle flexible et modulable. Son architecture de base est actuellement en plein développement par un certain nombre d’études, centré sur différentes thématiques100, permettant de rendre falsifiable les principaux postulats de ce modèle. Voici une représentation schématique de l’état actuel de son architecture :

Figure 1 : Représentation schématique du modèle de Cuxac (2000)

100 Nous en citons quelques-unes : Jirou (2000 et 2001) – l’organisation des LS micro-communautaires non institutionnalisées au Sénégal ; Monteillard (2001) – la nature linguistique de la LS internationale ; Sallandre (2003) - les fonctions des SGI dans le discours en LSF ; Tranchant (2002) – la représentation de l’espace en LSF ; Boutora (2002 et 2003) – les « pronoms réfléchis » en LSF et l’analyse de systèmes de formes graphiques et de notation des LS ; Jacob (2004 à paraître) – l’acquisition des LS chez les enfants ; Schwartz (2004) - l’analyse de la langue des signes tactile pratiquée par les personnes sourdes-aveugles.

SCHÉMA DU MODÈLE SÉMIOGÉNÉTIQUE (CUXAC, 2000)

Ajouts de nouvelles Bifurcation de visées dans les langues des signes communautaires

Processus d’iconicisation (nature cognitive)

Ancrage perceptivo-pratique de l’expérience Intentionnalité sémiotique et pragmatique à communiquer

Similitude de formes dans la catégorisation du monde Structure linguistique émergeant à partir des opérations de transferts

(Univers de l’imagerie et cognition visuelle)

Va et vient

DT clas TP dr std

TP semi

TP semi profo TP dr std profo DT profo

DT loupe

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