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Un exemple d'intégration théorique-épistémologique : Protéger l'existence de la vie

Chapitre VIII. Ancrages théoriques : outils pour aborder les analyses argumentatives des

4. Un exemple d'intégration théorique-épistémologique : Protéger l'existence de la vie

théorique-épistémologique : Protéger l'existence de la vie

dans la planète.

Un exemple qui nous permet de clarifier l'intégration des ancrages théoriques de notre travail peut être illustré à partir des observations qui ont été formulées par OMA, étudiant universitaire de la Communauté Nasa Kiwe quand il analyse l'exploitation du pétrole dans les

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territoires indigènes. L'idée sous-jacente est que la négation de l'exploitation mentionnée a une cause et que, de manière intrinsèque à la situation expérimentale conçue dans cette thèse, celle-ci sera expliquée au sein d’un registre argumentatif. L'hypothèse est qu'une structure linguistique profonde doit être sous-jacente à l'affirmation faite permettant d'éliciter son raisonnement sur le sujet examiné. Voyons dès lors un extrait d'OMA :

Code : ETNIQ1_00: 00_08: 41

Scénario : Exploitation du pétrole

Participants : OMA(21) Universitaire avec sens ethnique

OMA(T6): nosotros no queremos ninguna explotación de la tierra en nuestros territorios que aún estamos viviendo nosotros y que son ahora pocos queremos seguirla cuidando y no es tampoco para nosotros sino para la existencia de la vida en el planeta nosotros no queremos eso ningún tipo de explotación pues nos van a destruir a todos y a todo

OMA (T6) : nous ne voulons aucune exploitation de la terre dans les territoires où nous vivons encore et qui sont maintenant peu nombreux nous voulons continuer à la préserver (la terre) et ce n’est pas seulement pour nous mais pour préserver la vie dans la planète nous ne voulons d’aucun type d'exploitation parce que ils vont nous détruire tous et ils vont tout détruire

Du point de vue des schémas argumentatifs, on propose le schéma « argument from danger appeal » pour expliquer l'intervention d'OMA. Le schéma « argument from danger appeal » éclaire le raisonnement de l'individu car il nous permet de pénétrer, d’une part, la manière qu’a OMA de réfléchir sur le problème et, d’autre part, il nous permet également de voir quelles sont les prémisses sur lesquelles ses décisions sont fondées. Ce schéma est organisé de la façon suivante :

Premise I : If A (the respondent) bring about A, then B will occur. Premise II : B is in danger to you.

Conclusion: Therefore (on balance) you should not bring about A.

Dans le cadre d’un exercice académique, cet énoncé peut être transcrit par l’intermédiaire du schéma proposé par Walton, Reed et Macagno (2009), ainsi :

Prémisse I : Si la communauté indigène donne son autorisation, l'exploitation du

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Prémisse II : L'exploitation est un danger pour ma communauté.

Conclusion : Par conséquent, et en faisant une évaluation globale, je ne devrais pas

permettre l'exploration pétrolière.

Ce raisonnement, que Walton place comme une partie des arguments fondés sur un raisonnement pratique, partage des similitudes avec un autre schéma qui fait partie de cette même catégorie : Le schéma argumentatif par l’analyse des conséquences. Comment les différencier ? L'idée est qu'il y existe une prépondérance de l'énonciation sur l'effet nuisible de la conséquence et non sur la description de la conséquence en elle-même, ce qui se produit dans l'argumentation ad consequentiam, dans laquelle on peut explorer les développements positifs et négatifs de l'action à mettre en œuvre. Ensuite, la personne qui argumente doit démontrer que ce qui est fait est dangereux, et dans ce cas d’espèce, l'exploitation du pétrole.

Ces trois propositions théoriques décrites ci-dessus sont complémentaires. Cependant on peut s’interroger pour savoir dans quel sens s’exercent ces complémentarités. Comme nous l’avons déjà précisé, pour Laurence Simonneaux et Jean Simonneaux l’identité se définit par un processus continu de rejet/assimilation (ce qui est identique/différent par rapport à soi) ; comment expliquer la réitération lexicale de «nous » qui, comme ressource de cohésion en espagnol est certainement peu élaboré ? Pourquoi ne pas le remplacer, comme il est habituel en espagnol, afin de ne pas le répéter constamment ? Ce « nous » établit une marque de différenciation entre les communautés qui rivalisent dans les situations où sont impliqués le développement agro-minier et l'impact écologique, car on crée deux points de vue antagoniques : celui de la communauté indigène et un contradicteur qui représente à la société urbaine.

Par conséquent, le schéma argumentatif et l’inférence qui s’en découle sont étroitement liés à l'image que cet étudiant, ayant conscience d’appartenance ethnique, crée sur la communauté indigène et ses valeurs. La dimension des valeurs commence à s’afficher dans les analyses à effectuer ici. Ceci parce qu’il existe, pour OMA, deux groupes humains : d’une part, un groupe qui peut effectivement être considéré comme « communauté », avec des valeurs positives issues de la préservation de l'environnement, avec une idéologie définie et qui est cohérente avec les mouvements des environnementalistes mondiaux, et d’autre part, il existe pour lui un deuxième groupe qu’il sera nécessaire de caractériser à différents moments de cette troisième partie, étant donné qu’il s’agit d’un groupe qui n’est pas homogène. Ce second groupe contient diverses personnes, communautés, sociétés, sociétés multinationales

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et même des pays qui par définition ne partageraient pas les coutumes, les valeurs et l’idéologie des communautés indigènes. Si une communauté accorde de la valeur aux conduites qui sont typiquement évaluées comme positives, on déduit que celles qui ne partagent pas leur idéologie auront des comportements qui seront évalués négativement.

Si l’on prend en compte le fait qu’OMA a choisi le schéma de l'argumentation en faisant appel au danger, cela suscite-t-il une tonalité émotionnelle spécifique ? D’après Plantin, on doit prendre en considération l'existence de différents axes qui organisent et orientent le discours émotif, comme l'accord, le type d'événement, le type de personnes, la quantité et l'intensité, entre autres qui seront examiné par la suite dans cette thèse. Dans ce cas, l'évaluation de l'événement sur l'axe plaisir/déplaisir s'approche radicalement du deuxième car c’est une conduite typique de tout être vivant que d’éviter une situation qui met en risque sa vie. Ceci produirait chez tout interlocuteur un rejet du fait générateur de risque puisqu’il orienterait l'attitude émotionnelle de toute personne vers la peur. Sur la quantité de personnes touchées, Plantin a mentionné :

« La modulation quantitative peut affecter différentes catégories (Distance ou Temps : (très) loin de nous ; qualité des Personnes concernées : un (tout jeune) enfant, etc.). L’émotion varie également avec la quantité de personnes affectées : un accident qui affecte cinquante personnes induit plus d’émotion et de plus gros titres dans les journaux qu’un accident qui touche une personne (Plantin, 201 ; p. 180) »

L'échelle des conséquences posées par OMA sont énormes et dépassent dramatiquement l'échelle régionale pour atteindre un impact global : « elle n'est pas non plus pour nous, mais pour l'existence de la vie dans la planète ; nous ne voulons d’aucun type d'exploitation parce que ils vont nous détruire tous et tout ». Les conséquences négatives d'un tel événement sont par conséquent effroyables et auraient besoin d'être décidément évitées. L'étude de l'intensité émotionnelle, dans notre perspective de l'analyse des QSS, est toujours parallèle et en complémentarité avec l'étude du schéma argumentatif utilisé pour justifier un point de vue. Les analyses avec les trois théories citées jusqu'à présent s’épuisent-elles ? Sûrement pas. L'idée est d'établir un « dialogue » épistémologique entre celles-ci mais en laissant une marge pour d'autres contributions qui s'avèrent complémentaires, depuis les sciences du langage, la psychologie ou même l'anthropologie.

Notre intérêt, dans cette troisième partie, est de savoir comment les étudiants participants argumentent leurs décisions. Savoir ainsi si les émotions constituent un aspect significatif au moment de réfléchir, quand des décisions sur des questions socialement vives

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sont examinées, et très spécialement, quelles sont les différences identifiables, s'il y en a, au sentiment d’appartenance ethnique. Comme nous l’avons déjà analysé, en Colombie, il n'y a pas d'études sur le discours et la prise de décision chez la population autochtone colombienne. Le Master en Ethnolinguistique de l'Université de los Andes, à Bogota, fondée par le Français Jon Landaburu a eu une grande influence dans la connaissance que nous avons, en Colombie, sur les langues indigène, mais qui reste circonscrite au niveau de la syntaxe, du développement conceptuel et de la légitimation sociale de la langue écrite indigène, et ne porte pas sur le discours et la prise de décision qui sont, en fin de compte, le grand apport de ce travail. Par conséquent, nous nous intéresserons et nous orienterons les analyses de cette troisième et dernière partie de notre travail vers les aspects suivants :

1 L’ethos discursif construit par les participants autour de leur appartenance identitaire, de leurs représentations sociales à propos des personnes, des communautés, des entreprises et des pays concernés directement ou indirectement, et leur relation avec le choix de schémas argumentatifs pour défendre les décisions prises.

2 Les schémas argumentatifs qui sont élicités pour argumenter les décisions prises par les étudiants. Ce point précis est fondamental, car il nous semble intéressant de caractériser les compétences discursives des étudiants et d’établir des variables qui affectent cet exercice, telles que le niveau scolaire et les différences culturelles des participants.

3 La construction d'une tonalité émotionnelle attachée aux questions socio-scientifiques. Ce dernier point est également fondamental dans cette thèse : Dans l'évaluation des projets il existe des points de vue rationnels et émotifs qui contiennent une même valeur argumentaire. Ces émotions sont par conséquent partie intégrante du processus argumentatif.

4 Le type de discours qui prédomine dans les différents groupes et le cadrage du débat égal par le recours aux modèles mentaux qui guident la discussion et justifient les arguments en rapport avec ceux-ci. Ces modèles montreront la relation qu'établissent les étudiants entre les contenus socio-économiques présents dans le texte et les enjeux économiques, politiques ou technologiques qui évoquent leur patrimoine propre, et qui dénotent une compréhension des situations analysées.

On étudiera, dans les chapitres suivants, diverses séquences argumentatives pour rendre compte de ce qui a été ici mentionné plus haut. Comme cela a été précisé par Kerbrat-Orecchioni (1990 : les 218), la séquence est une unité intermédiaire entre

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l'interaction et l'échange constituant un bloc d'échanges reliés par une forte cohérence sémantique et/ou pragmatique. Comme Kerbrat-Orecchioni (1990 : 218) l'a souligné, « selon la nature du contenu de la séquence envisagée, c'est tantôt l'aspect sémantique, tantôt l'aspect pragmatique qui guidera de façon prédominant l'opération de découpage ». En définitive, on prétend ainsi refléter la dynamique réelle du discours consigné dans notre corpus.

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Chapitre IX. L'éthos discursif et le